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Sur les révolutions arabes

Mise à jour  : 04/04/2012 - Direction : IRSEM

Sur les révolutions arabes

Par Frédéric Charillon, directeur de l’IRSEM

 

 Le nombre d’ouvrages parus en un an sur les révoltes arabes est déjà impressionnant. On y retrouve, du côté français, des valeurs sûres, des collections d’articles, et des essais plus personnels. Davantage que dans la production anglo-saxonne (1), on s’efforce d’éviter le jugement où la prescription, comme guidé par le mot d’ordre : « ne pas donner de leçons ». D’où peut-être, un optimisme que certains trouverons excessif, ou du moins un enthousiasme volontariste que l’on ne partage pas ailleurs(2).

Illustratif de cette volonté de croire à l’avènement d’un nouvel âge d’or arabe, l’ouvrage La Révolution arabe. Dix leçons sur le soulèvement démocratique, de Jean-Pierre Filiu, figure néanmoins incontestablement dans la catégorie des valeurs sûres. Par son analyse expérimentée, mais aussi par l’originalité d’une approche qui fait souvent sa marque de fabrique (teintée de références littéraires, souvent aussi artistiques), par son écoute de la société au-delà du seul jeu interétatique (la bibliographie / webographie / blogo-graphie qui clôture ce travail est un bonheur en même temps qu’une source d’information précieuse), l’auteur nous met en garde contre les erreurs d’appréciations et les clichés d’une analyse que l’on ne peut plus se permettre, cette fois-ci, de rater, à l’égard d’une région qui nous est si proche mais qui a tant changé.

Parmi les travaux collectifs cette fois, on note la très bonne tenue du volume édité par Pierre Blanc (Révoltes arabes, premiers regards, L’Harmattan, Paris, 2011). Les contributions d’Amélie Régnault sur les oppositions gauchistes et islamistes en Egypte, de Mohammed Chérif Ferjani sur la révolution tunisienne, de Sarah Ben Néfissa sur les angles morts de l’analyse politique des sociétés de la région (entre pactes sociaux, hybridation du politique et du social), ou de Roger Heacock sur l’impact de ces révolutions en Palestine (que l’on croyait épargné par le mouvement, mais sans compter le rapprochement forcé de l’Autorité Palestinienne et du Hamas à la suite des printemps), méritent, entre autres, une lecture attentive.

  Dans le recueil Le Moyen-Orient à l’aube du printemps arabe. Sociétés sous tension, S. Boussois et ses collègues (Editions du Cygne, Paris, 2011) nous offrent des regards d’autant plus rafraîchissants qu’ils sont issus de jeunes chercheurs, dont plusieurs membres des groupes de travail de l’IRSEM. Marion-Nour Tanous sur la Syrie, Julien Salingue sur l’Etat palestinien, Julie Chapuis sur l'Etat libanais et sa faible influence au sud du pays, font partie des contributions notables. La revue Mouvement des idées et des luttes, dans un numéro spécial (Printemps arabes. Comprendre les révolutions en marche), attire justement notre attention sur la « sortie de la fatigue sociale » (H. Bozarslan), sur l’élément clef des événements que fut le processus de la disgrâce du chef et d’un Zaïm ayant perdu tout charisme donc toute légitimité (M. Camau), ou encore sur l’incompréhensible réaction d’Israël, qui préférait pouvoir continuer à ne voir en les Arabes que des despotes (Avi Schlaim).

Sorti plus récemment, en ce mois de mars 2012, la dernière livraison de la revue de l’IFRI, Politique Etrangère (Vol.77/1) se consacre au bilan issu d’un an de recul. Sous la coordination de Denis Bauchard, Bernard Rougier revient sur le processus égyptien, où la révolution s’est faite sans rupture avec l’ancien régime puisque l’armée garde à ce jour le contrôle du pouvoir.

 Il y décode notamment la symbolique des évolutions électorales récentes, et de la surprise salafiste. Et s’interroge sur l’avenir de la relation entre les religieux désormais vainqueurs électoraux, et un appareil militaro-policier jadis spécialiste de leurs interrogatoires musclés, comme de leur éviction systématique de l’académie militaire. Tandis que David M. Faris opère un point utile sur le rôle des réseaux sociaux et des blogs dans les révolutions tunisienne et égyptienne, sont également analysés les postures saoudienne et iranienne (M-R. Djalili et Cl. Therme montrent que le renversement d’alliés arabes de Ryad affaiblit l’Arabie Saoudite, mais que le mouvement démocratique constitue pour Téhéran un danger qui l’empêche de profiter de la situation – et c’est au final le Qatar qui tente de profiter de ce match nul), et I. Greilsammer éclaire pour le lecteur l’embarras israélien face à cette nouvelle donne.

  Mais une autre leçon de ces révoltes arabes, du point de vue de l’analyse prospective, vient d’ailleurs. A ceux qui se sont étonnés de ne pas avoir eu les éléments permettant d’anticiper les révolutions, la réponse ne saurait être autre, en effet, que : lisez mieux. Dans l’introduction de notre travail annuel sur la région Afrique du Nord Moyen-Orient, publié avec Alain Dieckhoff(3), nous invitions, dans ce même esprit, à revisiter les classiques, c'est-à-dire les textes prémonitoires issus d’une école française de science politique qui en la matière, disions-nous, de Rémy Leveau (4) à Ghassan Salamé (5) en passant par Gilles Kepel(6), n’avait jamais démérité(7). Une fois de plus nous constations que les sciences sociales, lorsqu’elles s’appuient sur des recherches de terrain à la méthodologie rigoureuse, permettent de rassembler les éléments qui, sans prétendre au statut de boule de cristal ni à celui de prophétie parfaitement datée, permettent de présenter des symptômes inéluctables. Nul ne sait, naturellement, quand la sentence tombera. Mais, lorsque nous sommes éclairés par les bonnes hypothèses, nous savons quand les éléments constitutifs d’une rupture de système sont réunis.

 Dans cette veine, et parmi les travaux publiés récemment, nous ne pouvons qu’inviter à la consultation du tome impressionnant que constitue L’Egypte au présent, par V. Battesti et F. Ireton (Sindbad, Actes Sud, Paris, 2011), gigantesque travail lancé il y a plusieurs années autour du CEDEJ du Caire, notre centre de recherche français en Egypte. On y retrouve, sous les nombreuses plumes rassemblées ici de nombreuses mises en garde. Sur l’espace urbain, sur les vicissitudes et contradictions d’une libéralisation économique, sur les dynamiques confessionnelles, sur l’explosion des médias, les éléments mis en lumière sont édifiants. Ils prennent une toute autre résonance après les révolutions arabes, preuve que les spécialistes du terrain ne sont pas aveugles sur les maux et dynamiques du monde contemporain. Autant que dans l’écriture a posteriori, c’est donc bien dans une attentive lecture en amont que l’on trouve les clefs d’une rupture stratégique.

 (1) Voir par exemple Council on Foreign Relations, The New Arab Revolts. What Happened, What it Means, What Comes Next, Foreign Affairs, New York, 2011. Ou K.M. Pollack, The Arab Awakening. America and the Transformation of the Middle-East, Brookings Institutions, Washington, 2011.
 (2) En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Canada, on enregistre, chez les décideurs comme dans le monde de la recherche ou de la presse, une approche plus critique des événements arabes. Plusieurs points sont mis en avant : la chute de régimes favorables à l’Occident sera quoi qu’on en dise difficile à gérer ; la victoire des partis religieux compliquera encore cette relation ; enfin le scénario tunisien risque de rester une exception, dans son bon déroulement.
 (3)F. Charillon, A. Dieckhoff (dirs), Afrique du Nord Moyen-Orient 2012, Révolutions sociales, bouleversements politiques, ruptures stratégiques, La Documentation Française, Paris, 2011.
 (4) R. Leveau, Le sabre et le turban, F. Bourin, Paris, 1992.
 (5) Entre autres, Gh. Salamé, Nation, State and Integration in the Arab World, Croom Helm, Londres, 1987, ainsi que Démocraties sans democrates, Fayard, Paris, 1994.
 (6) Le Prophète et le Pharaon : Aux sources des mouvements islamistes, La Découverte, Paris, 1984.
 (7) Et de mentionner Bruno Etienne, Alain Roussillon, Jean-Claude Vatin, Jean Leca, Michel Camau, Elisabeth Picard, Jean Hannoyer, Nadine Picaudou, Bernard Botiveau, Olivier Roy, François Burgat, Pierre-Jean Luizard, Jean-François Legrain, Jean-Pierre Filiu, Luis Martinez, Bernard Rougier… Sans oublier Jacques Berque, Henry Laurens, Maxime Rodinson, Robert Mantran, Maurice Flory...


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