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« China 3.0: What does the new China think?»

Mise à jour  : 18/12/2012 - Direction : IRSEM

Compte-rendu d'une conférence organisée par par l’Asia Centre et le European Council on Foreign Relations (ECFR) le 20 novembre 2012 à la Fondation Gulbenkian.

Le 20 novembre dernier, la Fondation Gulbenkian de Paris a accueilli une conférence organisée par l’Asia Centre et le European Council on Foreign Relations (ECFR) et intitulée « China 3.0: What does the new China think?». La rencontre a été inspirée par la récente apparition de l’ouvrage China 3.0 dirigé par Mark Leonard,[1]directeur de l’ECFR, et publié grâce au soutien des fondations Robert Bosch et Calouste Gulbenkian, du Freidrich Ebert Stiftung, et du Stiftung Mercator.

Présentée sous la forme de recueil d’essais, cette publication fait partie d’un projet plus vaste appelé « What does the new China think and what does it mean for Europe ? », et est le résultat d’une série de rencontres qui ont eu lieu en Chine en 2011 et 2012 entre une délégation du ECFR et des intellectuels chinois. Renaud Girard, grand reporter au service étranger du Figaro a lancé le débat à partir d’une réflexion sur cette expérience de voyage. François Godement[2] (Asia Centre/ECFR) et Sylvie Kauffman, directrice éditorial du journal Le Monde et correspondante itinérante sur l’Asie, ont animé le débat et partagé leurs impressions personnelles sur la Chine et sur cette expérience.

Dans un premier temps Sylvie Kauffmann a expliqué la genèse du travail, qui remonte au  2008, année où Mark Leonard a publié le livre What Does China think ?. Dans China 3.0, c’est bien la « nouvelle Chine » que les auteurs se proposent de montrer, à travers les mots et les réflexions des intellectuels chinois les plus connus. L’objectif de la mission était d’avoir un panorama des points de vues, des questions, et des débats qui agitent en ce moment les élites chinoises. La nomination de Xi Jinping lors du XVIIIe congrès et les attentes en Chine et en Occident pour tous les changements que son leadership est censé apporter dans les années à venir sont grandes, notamment suite à la « décennie perdue de Hu Jintao »[3] : la méthode de direction collective du Parti Communiste Chinois (PCC) aurait permis jusqu’au présent d’assurer la stabilité du pays, mais aux dépenses des réformes. C’est ce que François Godement a appelé le « piège du succès »[4] : au carrefour entre les réformes économiques, politiques et juridiques et la poursuite de la voie de l’autoritarisme, Xi se trouve désormais à devoir prendre des décisions importantes, et de lui beaucoup d’intellectuels chinois attendent des changements remarquables et historiques au niveau de ceux de Mao Zedong (Chine 1.0) et de Deng Xiaoping (Chine 2.0).

Dans son intervention Sylvie Kauffman a voulu souligner la diversité des points de vues, la vigueur des débats, et le nombre d’interrogations posées par les intellectuels chinois lors de ces rencontres, et a ensuite essayé de répondre avec François Godement aux nombreuses questions provenant de Renaud Girard et du public. Divers aspects de la Chine contemporaine ont été traités. Le début de la discussion a notamment porté sur la définition de certains concepts/expressions souvent inconnus au grand public, comme la différence entre « Consensus de Pékin »[5] et « Consensus de Washington »[6], ou encore celle entre « modèle de Chongqing » et « modèle de Canton »[7]. Cela a permit aux discutants d’aborder ensuite les sujets plus d’actualité tels que le XVIIIe Congrès du Parti Communiste Chinois ou l’affaire Bo Xilai.

  • Chongqing vs. Canton et le XVIIe congrès. L’arrivée de Bo à Chongqing et les pratiques politico-sociales qu’il a promu ont déterminé l’apparition de deux modèles, l’un à l’opposé de l’autre: d’un côté le modèle de Chongqing, dominé par l’idéologie maoïste et qui a été contesté notamment à cause des énormes financements ; de l’autre celui du Guangdong, en faveur de l’intégration internationale, de l’adaptation au marché dans les aspects économiques et du recours aux ONG, et prôné par une partie des gens de l’Académie des Sciences Sociales, de l’université Sun Yatsen et de l’entourage de Wang Yang[8]. C’est à partir de cela que l’on a construit une opposition politique, opposition qui n’a pris fin qu’avec l’affaire Bo Xilai et la nomination du nouveau groupe des dirigeants à la tête de la Chine : depuis l’affaire Bo Xilai, a fait remarquer François Godement, Wang a complètement évité d’exposer ou de promouvoir le modèle de Guangdong, et finalement il n’a pas été élu parmi les sept du Comité Permanent. A cette « chute » en on suivies d’autres, comme par exemple celle du ministre du commerce Chen Deming qui n’a pas été nommé. Mais la chose la plus étonnante, d’après François Godement, reste la désignation officielle des deux vice présidents militaires de la Commission des Affaires Militaires juste avant le congrès et non pas après comme l’on s’attendrait : à priori, cela devrait être le Comité qui désigne les membres, alors qu’en ce cas-là les membres ont été ratifiés par le sommet du Parti avant même le congrès.

Au delà des considérations sur le congrès, d’autres questions concernant les aspects sociaux ont nourri le débat :

  • « Comment fait-on de la politique en Chine ? ». En Chine il y a deux moyens de faire de la politique. 1/ hors du système : des personnalités, des activistes, des gens qui développent des idées de façon tenace et qui prennent des positions sur le web, arrivent à être connus et ont des options politiques ; 2/ La voie traditionnelle, à savoir rentrer dans la Ligue de la Jeunesse Communiste. C’est la voie du recrutement que Hu Jintao et sa génération de pouvoir ont promu, mais aussi celle qui semble aujourd’hui en perte de vitesse.
  • Internet et le contrôle de l’information. Les réseaux sociaux tels que Weibo (le Twitter chinois) permettent aux gens de s’exprimer, mais ils sont aussi et surtout un moyen pour le PCC d’interagir avec la population ; il faut souligner d’ailleurs que les critiques sont dirigées surtout aux dirigeants locaux, alors que la direction centrale du Parti est rarement ciblée. Cette libre expression « jusqu’à un certain point » permet de donner une impression de démocratie, mais représente aussi une véritable arme à double tranchant, un « fleuve de feux » difficile à contenir. En ce qui concerne la publication – et la censure successive en Chine – de la fortune de la famille de Wen Jiabao, François Godement a remarqué qu’en Chine il existe un annuaire des millionnaires chinois, qui est une source publique, et qui recense du numéro 1 au numéro 500. D’après cette publication, 70 parlementaires de l’Assemblé Nationale Populaire auraient une fortune moyenne évaluée à 1,2 milliards de dollars chacun. La fortune de la famille de Wen Jiabao doit être considérée aussi en fonction des lois chinoises, selon lesquelles il n’y a pas d’obligations de publications des actifs des dirigeants. Une autre question plus intéressante se pose : dans une phase d’accumulation qui est sans précédents dans l’histoire, comment contrôler et réguler si les contrôleurs et les régulateurs sont eux-mêmes les plus grands profiteurs directs ou indirects du système ?
  • En ce qui concerne les inégalités sociales, il faut admettre que ce que le leadership sortant a fait est assez remarquable : ils ont mis en route un système de santé qui a vocation a devenir universel, et un système de retraite qui peut être minuscule dans le montant mais qui est informatisé et qui s’étend jusqu’au circonscriptions rurales. Tout cela est une innovation en Chine. Cependant, d’après F. Godement il faut avoir clair à l’esprit qu’il ne s’agit que d’un blueprint, un projet qui va moins vite que la croissance économique et l’accumulation de la richesse : il est là mais la croissance des inégalités va plus vite encore. Aux grandes questions concernant les positionnements sociaux et politiques des Chinois vis-à-vis de cet écart grandissant des inégalités, ou la manière dont la Chine va-t-elle gérer ces inégalités, il est impossible pour l’instant de trouver des réponses.
  • La dernière question traitée est celle de la Mer de la Chine du Sud et la possibilité d’un conflit armé dans les prochaines années. D’après les discutants il est impossible de faire des pronostiques, notamment parce qu’on a une nouvelle direction et un nouveau numéro un mais on ne connaît pas vraiment leurs idées politiques et leur conception des changements. La seule chose dont on a conscience, c’est que Xi est quelqu’un qui contrôle, parce qu’il en est issue, l’appareil militaire et les milieux nationalistes beaucoup mieux que son prédécesseur, et pour cette raison il a peut-être plus de chances d’arriver à enrayer les risques de dérapages. Cela dit, la grande énigme des années à venir sur lequel il convient de s’interroger est le suivant : si une politique économique exceptionnelle comme celle chinoise veut vraiment s’intégrer au système international dans l’avenir, comment ses dirigeants actuels arriveront-ils à accepter et décider d’un changement de structure, compte tenu qu’ils sont eux-mêmes les actionnaires propriétaires du système tel qu’il existe ?

[1] China 3.0, Mark Leonard Eds., European Council of Foreign Relations, London, November 2012, p. 134.

[2] François Godement a écrit avec Jonas Parello-Plesner la postface du livre.

[3] Cette expression veut indiquer une période caractérisée par le maintien de la croissance économique pendant les années où il était au pouvoir mais au prix d’une stagnation politique et une absence de réformes. Voir Deng Yuwen, « The Political Legacy of the Hu-Wen Decade », Caijing, 29 août 2012.

[4] Voir François Godement, « China at the Crossroads », European Council on Foreign Relations, April 2012.

[5] Le consensus de Pékin est une expression qui a été inventée par Joshua Cooper Ramo en 2004, et qui désigne un ensemble de pratiques sur l’aide proposées par la Chine au soutien des pays en voie de développement, notamment en Afrique. On peut les résumer à la non-intervention politique, l’absence de conditionnalités libérales sur le marché, et une offre sur les infrastructures. Par extension le consensus de Pékin finit pour désigner une sorte de modèle à la fois autoritaire et développemental.

[6] Ce concept désigne toute une série de mesures promues par les institutions financières internationales (Fonds Monétaire Internationale et Banque Mondiale) dans l’objectif de gérer la crise des PVD pendant les années 1980, et en faveur, entre autres, de la libéralisation financière et des échanges, d’une stricte discipline budgétaire, de la réforme fiscale et de la dérégulation des marchés, mais aussi la lutte contre la corruption, les droits civiques, la démocratisation, et la transparence.

[7] Voir : « Chongqing ou Canton : Deux Modèles Chinois », China Analysis n°35, 4 trimestre 2011, p.60.

[8] A la tête du Parti dans la Province du Guangdong depuis 2007, Wang Yang a depuis promu un modèle à l’opposé de celui de Bo en faveur de politiques sociales et économiques libérales.


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