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Synthèse de l'étude n°10

Mise à jour  : 08/03/2012 - Direction : IRSEM

Etude de l’Irsem n°10
Enquête sur les jeunes et les armées : images, intérêt et attentes
par Ronald Hatto, Anne Muxel et Odette Tomescu

Plusieurs études ont mis en évidence un affaiblissement de l’antimilitarisme et des images négatives qui pouvaient être associés à l’armée il y a encore une vingtaine d’années. Certains, comme Pascal Boniface, ont d’ailleurs émis l’hypothèse que la disparition du service national pouvait avoir des effets positifs sur la perception que les jeunes ont de l’armée. (1) La fin du rapport d’obligation vis-à-vis de l’institution militaire, et d’une certaine forme de coercition, a pu libérer d’autres façons d’appréhender l’armée et de considérer son utilité sociale et son champ d’action. Cette hypothèse semble se vérifier dans la dernière enquête menée auprès d’un corpus de jeunes lycéens sur l’image et les attentes à l’égard de l’armée, et pourrait expliquer en partie leurs dispositions favorables envers l’institution militaire.(2)

Une perception positive des armées

L’image des armées est assez largement consensuelle et plutôt positive. L’institution militaire est placée de loin en tête des institutions auxquelles les jeunes accordent le plus de confiance : 85% d’entre eux déclarent avoir confiance, dont plus du tiers (35%) tout à fait confiance. Seule une minorité, 15%, exprime de la défiance. Ce robuste capital de confiance se double d’une bonne image. Plus de huit jeunes sur dix (83%) en donnent cette appréciation positive.

L’utilité des armées n’est pas remise en question. Les jeunes considèrent positivement l’importance d’une force militaire dotée en moyens conséquents pour le pays. Dans l’enquête quatre jeunes sur dix (42%) jugent même qu’il faut plutôt renforcer l’armée, tandis qu’un jeune sur deux (54%) pense qu’il faut plutôt la laisser telle quelle. Seuls 4% envisageraient de la supprimer.

L’inventaire des qualités qui font un « bon militaire » privilégie les valeurs d’engagement à celles d’autorité, et valorise des qualités individuelles dont la finalité et le sens restent dédiés au collectif. Cette interprétation altruiste du métier de militaire se retrouve dans la vision que les jeunes ont du rôle et de l’utilité de l’armée.

Toutefois les façons de considérer le monde militaire ne sont pas univoques. La jeunesse d’aujourd’hui ne remet plus en cause l’institution qu’il représente, et fait preuve de dispositions majoritairement favorables à son égard. Mais certains tropismes demeurent. La jeunesse de droite lui apporte un soutien plus marqué et plus inconditionnel. La jeunesse de gauche ne développe pas des représentations négatives de l’armée et n’est pas dans une position d’hostilité, loin de là, mais elle conserve sans doute plus de réticences et potentiellement une certaine distance critique.

Méconnaissance des armées et vision protectrice dominante

Les jeunes Français connaissent assez peu les fonctions et les activités des armées. Leur professionnalisation a eu pour effet direct d’éloigner les questions militaires des préoccupations des jeunes. Comme le souligne Charles Moskos l’absence de menace de guerre et la fin de la conscription ont favorisé la montée en puissance d’un public plus indifférent à l’égard des armées(3) . La relative méconnaissance des métiers de l’armée est à rapprocher du faible intérêt des jeunes pour les questions militaires. Seul un tiers des jeunes reconnaît s’y intéresser (37%, dont 13% beaucoup et 24% assez). Les garçons s’y intéressent plus que les filles : 47% des garçons disent s’intéresser assez ou beaucoup à ces questions, seulement 27% des filles.

La famille est une instance de socialisation importante dans la formation des attitudes et des opinions, et joue un rôle indéniable dans la transmission des connaissances associées à l’univers militaire. 60% des jeunes interrogés déclarent que leur père a fait son service militaire (24% ne le savent pas), et 58% disent que leurs parents leur ont déjà parlé d’une expérience à l’armée, 63% leurs grands-parents, et 43% un autre membre de leur famille.

Les campagnes de communication de la Défense semblent avoir touché les jeunes générations. 89% des jeunes ayant participé à l’enquête déclarent avoir déjà vu ou entendu des campagnes publicitaires lancées par les armées. La quasi-unanimité d’entre eux (92%) a vu ou entendu des campagnes publicitaires concernant l’armée de terre, 47% en ce qui concerne l’armée de l’air et 39% la marine. La Défense en général et la gendarmerie ont recueilli respectivement 25% et 24% des réponses. La télévision reste le principal canal d’information pour les jeunes. 92% des jeunes affirment avoir vu ou entendu des campagnes publicitaires pour l’armée à la télévision. Les campagnes d’affichage se situent en deuxième position (60%) suivies par Internet (41%).

La légitimité reconnue à l’armée française varie selon ses domaines d’action. Le terrorisme et les catastrophes naturelles sont les interventions considérées comme les plus légitimes (respectivement 84% de citations)(4) . Le rétablissement de la paix (79%) et les interventions humanitaires (78%) sont pour les jeunes des missions à part entière des armées. Pour une large majorité des jeunes interrogés, ce sont les missions les moins « militaires » qui sont les plus légitimes. Ceci confirme la vision d’une armée protectrice des populations et d’abord engagée dans le maintien de la paix qui est privilégiée par les jeunes générations.

Les organisations internationales sont reconnues dans leur rôle de médiation dans les conflits nécessitant une intervention de l’armée. Près des deux tiers des jeunes interrogés (63%) considèrent légitime pour la France d’intervenir dans le cadre d’une opération sous commandement de l’ONU, de l’Union européenne et de l’OTAN. Cela montre le relatif attachement des jeunes aux interventions de l’armée dans un cadre multilatéral.

Un engagement au nom de l’intérêt collectif

L’étude montre une relative disponibilité des jeunes pour envisager un éventuel engagement dans l’armée. Quatre jeunes sur dix (42%) évoquent pouvoir exercer un jour un métier dans l’armée (15% disent l’avoir déjà envisagé et 27% répondent qu’ils pourraient peut-être l’envisager). Les filles apparaissent très nettement moins tentées. Seules 9% disent l’avoir envisagé et 20% répondent qu’elles pourraient l’envisager (respectivement 21% et 34% des garçons). Dans l’enquête, plus d’un garçon sur deux se montrent ouverts à l’idée d’engagement dans l’armée.

Si le volant de jeunes disposés à éventuellement s’engager dans l’armée apparaît relativement stable dans le temps, en revanche les motivations invoquées ont évolué et sont très révélatrices des changements d’image dont l’armée est l’objet dans la période récente. Parallèlement à la reconnaissance d’un certain nombre valeurs fondamentales et centrales pour l’institution militaire, aussi emblématiques que le sens du devoir, le courage ou le sens du sacrifice, elles ont changé de nature, et se sont déplacées du terrain pragmatique et opportuniste vers le terrain des idéaux et des valeurs.

La première motivation de ceux qui pourraient s’engager dans l’armée est l’envie de faire quelque chose pour son pays (37%), la seconde est le goût pour le travail en équipe (30%). Dans la présente enquête, on ne trouve plus qu’un quart des jeunes tenté par l’engagement évoquant la possibilité d’avoir un emploi stable (24%) ou d’échapper au risque du chômage (16%).

Cette évolution apparaît d’autant plus significative que l’on observe peu de changements sur les autres items. Une certaine idéalisation des métiers de l’armée semble donc opérer. Les motivations mises en avant relèvent moins de logiques individualistes, organisant la mise en forme d’une carrière ou d’une étape dans son parcours de vie, que de préoccupations animées par un sens de l’engagement collectif.

Une typologie a permis de mettre en évidence deux profils de jeunes bien différenciés quant à leurs dispositions à s’engager.
Le premier concerne les jeunes qui se montrent « tentés et disponibles pour l’engagement », sont en majorité des garçons (63% contre 37% de filles). Une partie importante de ce groupe suit une filière technique et professionnelle (43% contre 30% de l’ensemble de l’échantillon). Ils présentent un ensemble de dispositions favorables à l’armée plus élevées que la moyenne. Ils ont des scores plus élevés que dans le reste de l’échantillon tant sur l’indicateur d’adhésion à l’institution militaire que sur l’indicateur d’autorité (respectivement 23% contre 18% dans l’ensemble de l’échantillon (note 3/4) et 21% contre 15% (note 2/3)). Leur disponibilité pour l’engagement apparaît relativement déconnectée de toute obédience idéologique. Ils mobilisent surtout des raisons d’ordre utilitaristes et témoignent d’une adhésion plus franche à l’institution comme à l’idéologie militaire. En effet, 22% d’entre eux considèrent qu’un engagement dans l’armée leur permettra de « bien gagner leur vie » (8% seulement de l’ensemble de l’échantillon) ; 18% voient dans cette perspective de carrière une façon d’éviter de se retrouver au chômage (7% de l’ensemble de l’échantillon).

Le second groupe rassemble les jeunes qui ont déjà plus ou moins concrétisé le projet d’un engagement dans l’armée. Ces jeunes « prêts à s’engager », sont en majorité importante des garçons (70% contre 30% de filles) et font preuve d’une adhésion forte à l’institution militaire. Ils ont généralement bénéficié d’une socialisation militaire relativement soutenue et sont plus nombreux que dans les autres groupes à être issus de familles dont le père exerce une profession indépendante (25% contre 11% dans le groupe précédent et 11% dans l’ensemble de l’échantillon). De tous les groupes, c’est celui qui est situé le plus à droite : 79% déclarent se positionner à droite (4% seulement à gauche, et 17% ni à gauche ni à droite). Cette obédience idéologique va de pair avec une confiance dans les institutions comme dans le système politique plus forte, une reconnaissance de l’autorité plus établie, ainsi qu’un attachement à l’identité nationale plus marquée. C’est aussi dans ce groupe que l’on constate l’idéal d’engagement le plus en lien avec l’institution militaire. Plus d’un jeune sur deux (54%) déclare que « c’est une façon de faire quelque chose pour son pays » (16% de l’ensemble de l’échantillon et 30% des jeunes du groupe 4).

Comprendre les attentes des jeunes

Le but des armées modernes est d’attirer le plus grand nombre de jeunes recrues. Et pourtant, les nouvelles générations se montrent assez mal informées sur les démarches à suivre pour obtenir un emploi au sein des armées et sur les formations et les emplois possibles. Seuls 8% des jeunes Français déclarent être très bien informés sur la démarche pour devenir militaire contre 40% qui affirment être assez mal informés et 16% qui estiment être très mal informés. Seuls 9% estiment être bien informés sur les opportunités de formation et de carrière, 36% affirment être assez mal informés.

Le désir d’avoir des informations spécifiques sur l’institution militaire et sur les possibilités d’engagement est relativement élevé. 45% des jeunes voudraient connaître les conditions pour s’engager, 47% aimeraient avoir des informations sur la durée de l’engagement et 60% souhaiteraient en savoir plus sur les emplois proposés par l’armée. On remarquera que les filles sont même un peu plus intéressées que les garçons par les emplois proposés (62% contre 58% pour les garçons). Il y a là un potentiel pour un recrutement futur qu’il ne faut pas négliger et qui nécessite la mise en place d’une stratégie de communication adéquate.

La popularité et l’attractivité de l’armée de terre sont incontestables. Les jeunes qui veulent s’engager choisissent d’abord ce corps. Mais l’armée de l’air suscite également un intérêt (22% des choix). La gendarmerie suscite 19% des choix. L’attractivité de la marine reste plus en retrait (17%).

Cette étude révèle une disposition relativement favorable à l’institution militaire mais qui reste peu investie. L’ouverture des jeunes à l’institution militaire, et leur relative disponibilité à l’éventualité d’une formation ou d’une carrière dans l’armée, méritent d’être prises en considération. Elles permettent d’envisager un certain nombre d’actions de sensibilisation et d’information en direction de la jeunesse.

Les dispositions favorables de la jeunesse : un potentiel pour les armées

Le métier militaire bénéficie d’une bonne image auprès des jeunes Français qui, malgré un manque de connaissances approfondies des fonctions et des interventions de l’armée, se disent intéressés par les métiers de la défense. L’institution militaire se fait connaître et reconnaître, mais elle pourrait encore améliorer son effort de communication en ciblant celle-ci à la fois sur le champ de compétence des différentes armées qui la constituent et sur la diversité des types de mission qui sont au coeur de son activité. Les jeunes interrogés dans le cadre de cette étude ont une vision très « militarisée » des emplois. Or, l’armée offre un éventail beaucoup plus vaste de métiers (administratif, scientifique, etc.). La méconnaissance des différents types de métiers offerts réduit de fait les contingents de recrutement. Les formations offertes par l’armée restent également trop peu connues. Un effort de communication devrait donc être fait pour combler ce déficit d’information, tout particulièrement en direction des filles qui, bien que plus en retrait et plus indifférentes aux questions militaires, sont néanmoins demandeuses d’information sur les opportunités de carrières.

Si les jeunes se montrent globalement satisfaits de la JAPD, ils ont néanmoins exprimé leur souhait de mieux connaître l’armée « en dehors » de la seule journée d’appel. La mise en place de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) pourrait être l’occasion de davantage insister sur les opportunités professionnelles et de mieux développer les échanges entre le personnel de la Défense responsable de cette journée et les jeunes générations. Le but est de construire des relations durables avec les jeunes générations à l’aide d’échanges à la fois formels et informels (discussions, débats, témoignages).

Enfin, l’étude a montré que les attentes des jeunes à l’égard de l’armée étaient chargées d’un certain nombre de valeurs et d’idéaux pouvant donner un sens nouveau à l’engagement : moins d’individualisme et davantage d’engagement collectif, moins d’utilitarisme et davantage d’altruisme moral, recherche de conciliation entre la fonction combattante et la fonction protectrice de l’armée. Pour aller à la rencontre des jeunes générations l’armée a tout intérêt à renforcer ses messages en termes éthiques, à mettre en avant son utilité sociale et humanitaire tout en promouvant ses atouts en matière d’orientation professionnelle et de réalisation de carrière.

1- Voir Pascal BONIFACE, La jeunesse et la défense. « Génération Tonton David », Centre d’études en sciences sociales de la défense, décembre 1998.
2- Cette étude a été commandée par L’IRSEM et pilotée par une équipe du Cevipof (Centre de Recherches Politiques de Sciences Po). Une enquête par questionnaire a été autoadministrée à un échantillon diversifié de lycéens âgés de 16 à 21 ans, de nationalité française, et scolarisés dans des établissements d’enseignement général, technique et professionnel (n= 993), entre décembre 2010 et janvier 2011.
3- Ibid., p. 20.
4- Notre étude comporte davantage de choix de réponses. Ce qui rend la comparaison directe entre les enquêtes difficile.


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