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Retour sur la possibilité d'une stratégie nationale : Jean-Paul Perruche

Mise à jour  : 11/02/2013 - Direction : IRSEM

Colloque du 14 novembre 2012 : Réflexions sur les stratégies nationales

Ces contributions sont extraites des interventions qui ont eu lieu dans le cadre de ce colloque intitulé « Peut-il encore y avoir des stratégies nationales ».Des hautes autorités, des stagiaires de l’École de guerre ainsi que de nombreux chercheurs universitaires et militaires  étaient présents. 

Voici quelques unes des conclusions.

(Consultez la vidéo, les photos et synthèse de cette journée…)

Par Jean Paul Perruche, général de division (2S), est chercheur associé de l’IRSEM dont il a dirigé le domaine "Sécurité européenne et transtlantique". 

Si l’on définit une stratégie nationale comme étant un ensemble coordonné d’actions pour atteindre les objectifs essentiels de la nation, les objectifs de la stratégie peuvent se ranger en :

 - objectifs de survie : il s’agit des intérêts vitaux, valeurs démocratiques et identité, territoire et vie des citoyens, ordre public et pérennité des institutions, approvisionnements en ressources essentielles (eau, énergie..).

- objectifs de sécurité : promotion à l’extérieur des valeurs démocratiques, rayonnement culturel, contribution à un ordre mondial stable et pacifique (cela inclut la coopération et l’aide à la gestion des crises)

- objectifs de prospérité (de la qualité de vie, développement des richesses) : stratégie de présence et d’influence dans le monde avec identification des zones et espaces prioritaires. 

Les actions principales à conduire pour atteindre ces objectifs englobent tous les domaines de l’action publique, y compris l’usage de la force armée ; la stratégie militaire doit être partie intégrante (un sous ensemble) de la stratégie nationale et épouser ses objectifs. La question qui se pose est donc de savoir quelle doit être le rôle et la place de la stratégie militaire dans le nouveau contexte sécuritaire ainsi que l’utilité stratégique de l’emploi des forces armées.

 S’agissant de la stratégie globale, il est utile d’examiner en premier lieu les facteurs déterminants de la puissance des États au 21ème siècle:

  • la masse critique en termes démographique, économique et militaire :  le temps qui vient sera celui des États-continents (Etats-Unis, Chine, Inde, Russie, Brésil …). Or en l’absence d’une menace fédératrice la simple addition de puissance des Etats européens ne parait pas en mesure de l’atteindre. Il y a donc un besoin d’intégration fédératrice dans l’UE ce qui pose le problème du partage de souveraineté et des conséquences qui en découlent aux plans politique et stratégique.
  •  La force morale, l’acceptation du sacrifice, la cohésion sociale et la préservation de l’identité dans un monde globalisé. Comme l’affirmait déjà le général Beaufre :  «  la puissance idéologique l’emporte toujours sur la puissance matérielle »
  • la maitrise de l’information (réseaux sociaux) et des voies de communication.
  • l’influence dans les systèmes internationaux 
  • le niveau technologique
  • les capacités d’action pour répondre aux exigences du nouveau contexte de sécurité global mais complexe et incertain.

Il faut ensuite identifier les aspects  du nouveau contexte de sécurité mondial qui vont conditionner l’emploi de la force :

  • l’encadrement de la guerre par le nucléaire. Le nucléaire empêche la guerre d’aller aux extrêmes et empêche les guerres symétriques entre puissances nucléaires. Les guerres restent possibles entre puissances non-nucléaires ou entre puissance nucléaire et non nucléaire mais dans ce dernier cas, l’emploi du nucléaire est exclu. Une puissance nucléaire peut donc perdre des guerres contre des adversaires non-nucléaires (Vietnam). Les confrontations d’intérêts entre grandes puissances nucléaires rivales se dérouleront vraisemblablement en dehors de leurs territoires, c’est à dire dans les espaces de communication (maritimes, aériens ou terrestres) ou dans les États-tiers (Syrie, Afghanistan, Iran….) ; sous cet angle, il est clair que les nations européennes seront plus vulnérables individuellement que si elles font partie d’une entité politique européenne.   
  • la globalisation a créé des interdépendances entre Etats qui rendent le rapport coût/bénéfice de la guerre de moins en moins avantageux. L’économie de marché globalisée s’accommode mal des destructions d’infrastructures et de l’interruption des échanges. La stabilité et la sécurité font donc partie intrinsèque du monde global sauf pour ceux qui s’estiment exclus de la prospérité et de la puissance.
  • les valeurs démocratiques n’étant pas adoptées par l’ensemble du monde ; la confrontation de valeurs restera le principal moteur (risque) des conflits potentiels (Islamisme, dictatures…)
  • le progrès des communications physiques (transports aérien, maritime ou terrestre) et électromagnétiques (radio, informatique…) a changé le mode de gestion des crises et des conflits caractérisé par un accroissement de la capacité de contrôle des autorités centrales (capitales) et une réduction des initiatives aux plans local ou régional. Plutôt que le contrôle d’espaces terrestres, la liberté de mouvement et le contrôle des communications sont donc devenus des intérêts stratégiques (A2/AD des Américains)
  • l’affaiblissement du pouvoir des États-nations et de leur capacité de régler à leur niveau la plupart des questions stratégiques qu’il s’agisse d’économie ou de sécurité entraine l’obligation de formats multinationaux
  • les populations sont désormais les premiers enjeux et acteurs des guerres asymétriques. Cela concerne notamment l’adhésion des populations aux objectifs des engagements militaires, mais aussi leur faculté de résistance  à un ordre imposé de l’extérieur. La victoire est vaine si le vaincu n’accepte pas sa défaite (Clausewitz).
  • de nouveaux champs d’affrontement apparaissent : cohésion des sociétés, cyber guerre, espace, prolifération..

Au bilan, la réflexion stratégique nationale demeurera d’actualité et indispensable à la survie des nations au 21ème siècle, mais les stratégies d’action devront distinguer ce qui devra être mené au niveau national et ce qui devra l’être dans des cadres multinationaux. Dans ce dernier cas, les stratégies nationales devront être des stratégies d’influence, utilisant en synergie tous les leviers possibles (politiques, diplomatiques, militaires…). A l’évidence, les capacités opérationnelles demeureront un facteur déterminant. En l’absence de menaces identifiées, c’est sur ces bases que devra être  « repensée la guerre ».


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