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Retour sur la possibilité d'une stratégie nationale : Jean-Jacques Roche

Mise à jour  : 11/02/2013 - Direction : IRSEM

Colloque du 14 novembre 2012 : Réflexions sur les stratégies nationales

Ces contributions sont extraites des interventions qui ont eu lieu dans le cadre de ce colloque intitulé « Peut-il encore y avoir des stratégies nationales ».Des hautes autorités, des stagiaires de l’École de guerre ainsi que de nombreux chercheurs universitaires et militaires  étaient présents. 

Voici quelques unes des conclusions.

(Consultez la vidéo, les photos et synthèse de cette journée…)

Par Jean-Jacques Roche, Professeur de Science politique, Directeur de l’ISAD, Université Panthéon-Assas

La perte d’autonomie des politiques de sécurité nationale est l’un des marronniers des études de sécurité. La mondialisation et ses réseaux, les problématiques de la sécurité globale, l’interdépendance dans le cadre du multilatéralisme constituraient autant de facteurs qui expliqueraient cette réduction des marges de manœuvre. En contrepoint de ce leitmotiv, il est possible de considérer que jamais les contraintes structurelles n’ont été aussi réduites, alors même que le concept de sécurité globale contribue à renationaliser les doctrines de sécurité en donnant tout loisir aux autorités nationales de choisir leur(s) adversaire(s), comme en témoigna la déclaration de notre actuel président de la République qui, le 22 janvier 2012, déclarait avec emphase « mon véritable adversaire, c’est la finance ! ».

Concernant les structures internationales, il est évident que la fin de la guerre froide a considérablement réduit la contrainte systémique. D’une part, la fin de la bipolarité s’est traduite par la disparition de la configuration bipolaire qui, depuis Morton Kaplan en 1957, est considérée comme la configuration la plus rigide et la plus contraignante pour les acteurs. De plus, la fin de la guerre froide s’est traduite par l’éloignement de la menace nucléaire qui, jusqu’en 1989, était la principale crainte de l’humanité effrayée de détenir les moyens de son extinction. Face à la menace d’une « guerre nucléaire limitée » envisagée par Ronald Reagan en 1981 en plein milieu de la crise des Euromissiles, les 3000 morts (certes réels) du 11 septembre apparaissent comme la démonstration quantifiée de la réduction des risques internationaux. Au demeurant, les études statistiques de Rik Coolsaet et de Teun Van de Voorde  par exemple démontrent qu’il n’y a pas eu plus de morts causés par des attentats terroristes durant les années 1970 que dans les années 2000, exception faite du pic de 2004 provoqué par l’intervention américaine en Irak.

La seconde raison qui va à l’encontre du sens commun influencé par ce que Jean Dufourcq nomme « la perversion du discours stratégique » est liée à l’usage actuel du vieux concept de « sécurité globale ». En effet, du fait de son caractère extrêmement large, ce concept permet de choisir les secteurs dans lesquels chaque nation entend porter le maximum d’attention. En corollaire, cette liberté de choix se traduit pour les nations occidentales par la possibilité de choisir leurs adversaires, un choix suffisamment rare dans l’histoire de ces nations pour qu’il soit souligné.

Jamais le monde n’a donc été aussi sûr. Le fait que l’on s’attelle au traitement de «la guerre réelle» que Clausewitz avait laissé de côté parce que «la vraie guerre» (interétatique) est désormais sous contrôle est la preuve de l’amélioration de la sécurité mondiale. Partant, dans leurs relations avec leur environnement stratégique, les nations moins menacées que par le passé récupèrent une autonomie que la bipolarité nucléaire avait réduite. Le fait que, les nations occidentales aient décidé de toucher « les dividendes de la paix » en réduisant drastiquement leur budget de la défense – passé en France de 14% du budget de l’État en 198O à 10% en 2010 et de 3% du PIB en 1982 à 1,7% en 2010– est bien la preuve que le monde est perçu comme étant plus sûr et que l’environnement stratégique mondial nous donne la plus grande liberté qui soit : celle de baisser la garde.


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