Le 20 mars 1940, le lieutenant Bourguignon prend le commandement de l’ouvrage de La Ferté (bloc I) ; il a sous ses ordres le sous-lieutenant Thouemont (bloc II), et commande des fantassins (4e compagnie d’équipages d’ouvrages du 155e régiment d’infanterie de forteresse), des observateurs d’artillerie (169e RA) et des sapeurs, soit un effectif total de 107 personnels (2 officiers et 1 médecin, 15 sous-officiers et 89 soldats).
Le fort de Villy-la-Ferté est situé à l’extrémité ouest de la Ligne Maginot, face à la frontière belge. Construit à partir de 1935, il est isolé de l’ouvrage le plus proche par la vallée de la Chiers ; malgré son armement (14 mitrailleuses, 6 pièces antichar et 8 fusils-mitrailleurs), il est considéré comme le moins bien équipé du secteur. Il n’y a pas d’entrée arrière ; les cloches de guetteurs ne tournent pas et n’ont pas de mortiers de 50 mm, pourtant destinés à couvrir les angles morts. L’ouvrage peut être décrit sommairement comme étant composé de deux blocs séparés de 250 m (Ferté nord et Ferté sud). Le bloc I est doté d’une casemate avec canon de 47 mm antichar et de trois cloches pour guetteur avec fusil mitrailleur, plus trois cloches pour armes mixtes et une d’observation périscopique ; le bloc II d’un canon de 25 mm antichar et un jumelage de mitrailleuses. Une galerie de 270 m de long, enterrée à 35 m de profondeur, permet de relier les deux parties.
En mai 1940, les Allemands décident d’attaquer à la jonction entre l’aile marchante française et la ligne fortifiée. Le 15, ils arrivent au contact de la Ferté par la vallée de la Chiers. Bourguignon expédie une lettre à sa femme : « Ils vont nous prendre par la gauche. Avons entière confiance et bon courage ». Les Allemands se heurtent d’abord à des éléments de la 3e division d’infanterie coloniale, mais isolent aussi l’ouvrage de La Ferté. Bourguignon ne parvient plus à communiquer que par téléphone et radio avec ses supérieurs. Le 16 mai, il fait tirer sur l’angle mort situé entre les deux ouvrages par les 75 mm de la batterie du Chesnois pour limiter les infiltrations ennemies, puis le lendemain, sur les abords des blocs.
En fin d’après-midi le 18, les coloniaux se replient, ce qui décide les Allemands à s’attaquer directement aux blocs dont les feux menacent les flancs. Après une intense préparation d’artillerie - réalisée par près de 200 canons et mortiers lourds - qui lamine les réseaux de barbelés et fatigue nerveusement les défenseurs, les tirs directs des canons de 88 mm sur les cloches blindées et la tourelle bétonnée du bloc II commencent. Ces derniers les détruisent et permettent aux pionniers, dissimulés par des fumigènes, d’accéder sur l’ouvrage pour y placer des charges. En une heure, l’ouvrage - ravagé par les explosions et en flammes - est quasiment perdu ; ses défenseurs se sont réfugiés dans la galerie souterraine. Au crépuscule, une contre-attaque de la 3e D.I.C., appuyée par des chars, échoue.
Le 19, un peu après minuit, les Allemands s’en prennent au bloc I en procédant de la même façon. Vers deux heures, l’équipage doit se réfugier dans la galerie. Privée d’alimentation en air et gênée par les fumées toxiques des explosions, la garnison a mis le masque à gaz ; la situation semble désespérée puisque le taux d’oxygène baisse dangereusement. Bourguignon téléphone au général commandant la 3e D.I.C. pour tenter une sortie, mais on la lui refuse. La dernière communication avec l’ouvrage est établie à 5 heures 30. Dans la matinée, en voyant les Allemands juchés sur le fort de La Ferté, les observateurs français comprennent que son équipage a succombé. Les 107 hommes sont morts à leur poste, tués par les explosions ou asphyxiés. En juin 1940, les Allemands enterrent les morts de La Ferté.
En 1945 cependant, on ne retrouve que 90 Français, enterrés près du village de Sailly. Il manquait donc 17 corps, dont celui du lieutenant…
Le 13 juin 1973, grâce au témoignage d’un ancien sous-officier allemand ayant participé à l’inhumation en 1940, on finit par retrouver le corps de Bourguignon, de son adjoint, et de 15 de ses soldats près de l’entrée du bloc II. Leurs dépouilles reposent depuis au cimetière, à 100 mètres de l’ouvrage de Villy.
Sources : Soldats de France n°1
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