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1947 Opération « Léa » : l'occasion manquée

Mise à jour  : 23/07/2018

Après l'échec du coup de force du 19 décembre 1946 à Hanoi, Ho  Chi  Minh,  son  gouvernement  et ses meilleures troupes,  se sont retirés dans la région de Bac Kan, à 130 kilomètres au nord de la capitale tonkinoise, et y ont organisé un « réduit national », où s'étend jusqu'à la frontière de Chine une vaste zone de dépôts, d'ateliers de brousse et de stationnement pour l'instruction et l'entraînement. La France décide de porter un coup décisif dont le but sera de couper la principale route de ravitaillement reliant le Viêt-Minh à la Chine, d'isoler, de disloquer puis de nettoyer ce réduit national.

Si le général Salan, commandant les troupes françaises d'Indochine nord (TFIN), ne dispose pas de la surprise stratégique, le débarquement de troupes et leur concentration dans le delta du fleuve Rouge ne laissant aucun doute au Viêt-Minh sur les intentions françaises, les parachutistes peuvent lui assurer la surprise tactique indispensable, tandis que les groupements terrestres progressant sur des routes coupées en nombreux endroits risquent d'être retardés par un ennemi connaissant la région.

Salan va donc surprendre le Viêt-Minh par une manoeuvre aéroportée sur Bac Kan et Cao Bang puis isoler le réduit national par une manoeuvre terrestre en tenaille. Le 26 juillet 1947, il signe l'ordre d'opération « Léa », du nom d'un col à 1 360 m sur la RC3 entre Cho Ra et Phu Tong Hoa, qui concerne trois groupements:

  • le groupement S du colonel Sauvagnac, 1 200 parachutistes, sera largué sur la zone Bac Kan - Cho Don - Cho Moï afin de saisir les organismes du Viêt-Minh et de créer un effet de surprise au centre du réduit. Pour coiffer les objectifs, quatre détachements sont organisés : le jour J, le 1er bataillon de parachutistes coloniaux (BPC, détachement A) sautera sur Bac Kan tandis qu'une partie du III/1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP, détachement B) sautera sur Cho Moi ; le reste du III/1er RCP (détachement C) sera largué sur Cho Don à J+1 ; enfin le I/1er RCP sera largué sur Cao Bang à J+2 avec missions de s'emparer de la ville et de livrer les ponts à la colonne Beaufre ;
  • le groupement B du colonel Beaufre, fort de 8 000 hommes, avancera rapidement vers l'est, rétablissant l'axe Lang Son - Cao Bang sur la RC4, puis fera la liaison avec le groupement S par la RC3 et la RC3 bis vers Bac Kan protégé par le I/1er RCP ;
  • le groupement C du colonel Communal composé de 4 000 hommes abordera le réduit à l'ouest, en remontant la rivière Claire jusqu'à Chiem Hoa pour rejoindre les deux autres groupements au nord de Cho Don.

Le 7 octobre, la première phase de l'opération « Léa » débute à 8h15 par le largage du détachement A sur trois DZ. À 10h35, la seconde vague saute à son tour, bloquant le repli du Viêt-Minh qui, surpris, n'oppose qu'une faible résistance et s'enfuit en laissant 260 tués, abandonnant une grande partie de son matériel, un important stock d'armes ainsi qu'une quarantaine de prisonniers dont un ministre. Une centaine d'otages français et vietnamiens sont aussi libérés et le principal émetteur radio de « La voix du Vietnam » est saisi. En quelques heures, le bataillon de choc occupe Bac Kan. À 14h30, le détachement B (deux compagnies du III/1er RCP) est largué à son tour sur Cho Moi. Le 8 octobre, le reste du III/1er RCP est lâché sur Cho Don.

Le lendemain, la phase aéroportée de « Léa » s'achève par le saut à Cao Bang du I/1er RCP qui s'empare de la citadelle à 15h et se saisit très vite des ponts d'accès à la ville, y pénètre, la nettoie et en organise la défense. Pendant ce temps, les groupements B et C avaient progressé sans incident. Les liaisons s'établissent à partir du 12 octobre avec les premiers éléments de la colonne Beaufre et dès le 15 octobre avec la colonne Communal acheminée par une flottille d'engins amphibies ayant remonté le fleuve Rouge puis la rivière Claire.

Les premiers objectifs atteints, la seconde phase de l'opération, le nettoyage du réduit national, peut commencer. Des reconnaissances visant à rechercher le contact avec les forces ennemies, à les isoler et les détruire, sont effectuées sur les pistes de toutes les vallées autour de Bac Kan, Cho Don et Cho Moi. La topographie de la région, montagneuse et boisée, chaotique et peu perméable, fait qu'il est pratiquement impossible de s'écarter des axes. Les soldats français sont obligés de procéder par des actions de bouclage autour des zones à fouiller.

Parallèlement, il faut assurer la sureté des convois du groupement Beaufre qui procèdent au ravitaillement des diverses unités engagées dans l'opération. En outre, les avions sanitaires faisant défaut, la plupart des blessés sont acheminés sur Bac Kan par la route où est installée l'antenne chirurgicale parachutiste qui soignera plus d'une centaine de blessés, tant français que viêt-minh.

Les opérations de nettoyage de la région se prolongèrent jusque fin novembre et se terminèrent par la destruction de la plus grande partie des dépôts et usines d'armements de la Moyenne Région. « Léa » achevée, le nettoyage fut poursuivi jusqu'à la mi-décembre par l'opération « Ceinture » vers le sud de Bac Kan, dans le quadrilatère Cho Chu-Tuyen Quang-Vietri-Thaï Nguyen.

Durant ces trois mois d'opérations, le Viêt-Minh comptabilise 7 200 tués, 1 600 prisonniers et plus d'un millier d'armes, plusieurs milliers de tonnes de munitions, explosifs, vivres et matériels divers perdus. Mais le succès est illusoire, certes le dispositif viêt-minh est désorganisé mais le coup décisif n'a pas pu être porté, Ho Chi Minh court toujours. Il n'était pourtant pas loin, il avouera lui-même que battant les fourrés en lisière de Bac Kan, un « para » est passé à moins d'un mètre de lui. C'est peut-être à cause de ce mètre là que la France a définitivement perdu l'initiative et que la guerre d'Indochine a continué. Opération interarmées la plus importante de tout le conflit, « Léa » faillit réussir et marquera le corps expéditionnaire pour les années à venir par cette recherche perpétuelle de la bataille décisive qu'on loupa de si peu à Bac Kan et qu'on croira enfin tenir à Dien Bien Phu.


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