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Les spahis de 1940 à La Horgne : tactique et rapport des forces

Mise à jour  : 31/07/2018

À la mi-mai 1940, se joue dans l’Ardenne  française une phase cruciale du plan d’attaque allemand contre la France. La Meuse est franchie et les divisions de panzers chargées de l’effort au niveau opératif s’engagent avec tous leurs moyens de combat… à première vue vers le sud-ouest, vers Reims et Paris. En fait, le plan opératif allemand prévoit une conversion de 90 degrés vers le nord  – le coup de faucille – qui permet d’emporter un premier succès opératif en longeant initialement la rive droite de la vallée de la Somme, puis en fonçant plein nord jusqu’à la mer. Les meilleures unités françaises et britanniques engagées en Belgique sont ainsi prises au piège et neutralisées.

Le général Guderian est l’un des principaux responsables du succès de cette délicate conversion. Manœuvrant avec trois divisions de panzers au niveau de Sedan, il se couvre avec l’une d’elles face à une éventuelle réaction offensive française dans le secteur de Stonne et fonce vers l’ouest avec les deux autres pour enfoncer le dispositif français entre Meuse et Somme. L’espace de manœuvre ainsi conquis permet la conversion opérative vers le nord. Une grande vitesse d’exécution est impérative afin que le dispositif français disloqué n’ait pas le temps de se rétablir. Au matin du 15 mai 1940, les chefs de la 1re et de la 2e divisions de panzers sont bien conscients de l’enjeu et veulent aller au plus vite border la Somme dans le secteur de Saint-Quentin.

À la 1re division de panzers, on manœuvre alors avec en tête deux groupements tactiques interarmes de circonstance. L’un de ces groupements est commandé par le colonel Walter Krüger. C’est lui qui aborde le secteur du petit village ardennais de La Horgne, le 15 mai 1940 au matin. Krüger a sous ses ordres le commandant Max Richter pour l’infanterie mécanisée et le commandant Sauvant pour les chars. Dans le village, le colonel Olivier Marc commande la 3e brigade de spahis (3e BS) qui comprend le 2e régiment de spahis algériens (RSA) du colonel Emmanuel Burnol et le 2e régiment de spahis marocains (RSM) du colonel Émile Geoffroy. Le lieutenant Dugué Mac Carthy, commandant le 3e escadron du 2e RSM, résume ainsi la mission de la 3e BS : « Une brèche importante s’étant ouverte entre les 2e et 9e armées françaises après la percée du corps blindé de Guderian à Sedan, le 13 mai 1940, la brigade reçoit l’ordre, dans la nuit du 14 au 15, de gagner le village de La Horgne (14 kilomètres au sud de Charleville), de s’y installer défensivement et de barrer la route aussi longtemps que possible aux blindés allemands, qui, venant de Sedan (20 kilomètres à l’est), ne manqueront pas de se présenter. À 9 heures, tout est en place. Ordre du colonel Marc : tenir sans esprit de recul ».

Précédée par quelques avant-postes temporaires à cheval, la position de résistance de La Horgne s’articule autour d’une ligne principale (LP), d’une ligne des soutiens (LS), et d’une ligne d’arrêt (LA). La 3e BS ne dispose que d’un canon de 37 millimètres du modèle 1916 et de deux canons antichars de 25 millimètres. Le village proprement dit de La Horgne constitue le centre de gravité des spahis du 2e algériens sur la LP. Les spahis du 2e marocains occupent des lisières boisées en fond de tableau à hauteur de la LA, ainsi que les deux positions antichars de la LS.

La première phase de l’attaque allemande se déroule entre 10h et 14h environ. La 13e compagnie est fixée à hauteur des premières maisons. La 11e compagnie tente de déborder à pied par la droite et est également fixée. La 14e compagnie met en oeuvre mitrailleuses et mortiers. La 15e compagnie met en place au moins deux de ses 3 pièces antichars de 37 millimètres et ses deux obusiers légers de 75 millimètres qui tirent un total de 216 obus en début d’après-midi. La 12e compagnie rapproche ses véhicules pour déborder à pied par la gauche quand les appuis lourds et les chars seront en place. Le dernier lien de la 3e BS avec l’extérieur, la station ER 26 ter, est repris par l’échelon supérieur à midi.

À partir de 16h30, les Allemands engagent un bataillon de chars à 50 % de son potentiel : 2 compagnies légères et 1 compagnie moyenne, soit environ 12 Pz.III (3,7 centimètres) et 8 Pz.IV (7,5 centimètres). Les deux compagnies légères combattent à front renversé. Le soir du 15 mai 1940, défenseurs et assaillants de La Horgne peuvent légitimement annoncer « mission accomplie ». Les premiers réussissent le tour de force de tenir la position de La Horgne jusqu’en fin d’après-midi. Les seconds réussissent à faire sauter le verrou de La Horgne. Dans les deux cas, il s’agit de gagner du temps, les défenseurs doivent mettre en place une contre-attaque de niveau opératif qui n’a hélas pas lieu. Les assaillants, quant à eux, doivent maintenir le rythme de progression après le déclenchement du « coup de faucille ».

La 3e BS compte exactement 50 hommes tués (5 officiers, 6 sous-officiers et 39 spahis) et environ 150 blessés pour avoir interdit La Horgne pendant la journée du 15 mai 1940. Les tués de La Horgne représentent un peu moins de 2 % des quelques 2 600 hommes de la brigade. L’histoire est donc fort éloignée d’une mémoire véhiculant la légende de 740 Spahis tués, qui représentent plus de 28 % de l’effectif de la brigade. Les Allemands de la 1re division de panzers comptent 31 tués (2 officiers, 5 sous-officiers et 24 militaires du rang) et 102 blessés pour s’emparer de La Horgne, un petit village ardennais placé bien malgré lui sur l’axe principal d’effort opératif allemand.

Seule l’étude de l’évolution dans le temps du rapport des forces permet de comprendre le déroulement du combat. Alors que le dispositif des spahis est en place avec la totalité de ses moyens et de ses capacités du début jusqu’à la fin du combat, le dispositif allemand est en constant renforcement au fil des heures, passant de une à dix sections de Schützen. La bascule du rapport de forces se produit vers 14h30.

La comparaison prend pour étalon des unités à peu près équivalentes en termes de capacités : le peloton de spahis et la section de schützen, tous deux renforcés de mitrailleuses. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, on constate que les pelotons de spahis sont en permanence plus nombreux que les sections de schützen. Ce sont les appuis qui font toute la différence.

Toute comparaison capacitaire entre une unité à cheval et une unité blindée étant très difficile à réaliser, le dénominateur commun est à rechercher, non pas au niveau de l’unité élémentaire (compagnie ou escadron) mais au niveau immédiatement inférieur de la section ou du peloton. La pertinence de ce choix réside dans la nature même du combat initial de La Horgne qui voit s’affronter des formations de “fantassins” débarqués (les schützen) ou montés (les spahis).


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