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Communication et PSDC

Mise à jour  : 30/04/2013 - Direction : IRSEM

Par le général de corps d'armée (2S) Jean-Paul Perruche, chercheur associé à l'IRSEM

 

Malgré la perception d’un affaiblissement relatif mais constant des capacités de défense de leurs nations dans un monde qui reste dangereux,  les citoyens européens semblent avoir largement perdu leurs repères dans ce domaine depuis la fin de la guerre froide. Si l’on se réfère aux sondages, l’Union Européenne est instinctivement plébiscitée par la majorité d’entre eux pour devenir le cadre de leur défense tout en restant largement méconnue. Or l’implication des citoyens dans la définition de la défense européenne est un facteur clé de sa construction démocratique et de son efficacité.  Leur information est essentielle et c’est pourquoi il est important de faire un point de situation sur la manière dont la communication sur la défense européenne est construite et parvient aux citoyens européens, d’en analyser les enjeux et les lacunes éventuelles afin de mieux percevoir ce qui devrait être fait pour l’améliorer, notamment dans la perspective d’une  intégration européenne renforcée (Eurozone).

L’expression « défense européenne » est ambiguë, dans la mesure où la frontière de l’Europe n’est pas clairement définie et où la défense européenne est aujourd’hui, la somme de ce qui est réalisé individuellement par les nations européennes, et collectivement dans l’Otan et dans l’UE. La communication sur la défense est donc censée être effectuée par ces 3 sources, mais la communication des nations suit avant tout des priorités nationales et reflète l’importance donnée par chacune à la défense; celle provenant de l’Otan est assez performante mais est orientée exclusivement vers l’image de l’Alliance et le soutien à ses opérations, tandis que celle de l’UE sur l’Europe de la défense, est fragmentée, peu stratégique et peu efficace. La responsabilité de la défense restant in fine une prérogative des États, qui fournissent les moyens et les capacités d’action et décident des engagements, la responsabilité de l’efficacité et de la coordination de la communication qui s’y rapporte devrait être naturellement assurée par elles eux ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs, la difficulté de la complémentarité entre l’Otan et l’UE dont les compétences se recouvrent partiellement, contribue à entretenir le flou sur la part réelle que les Européens prennent dans leur défense, rendant la communication sur le sujet elle-même peu lisible.

Desservie par une communication éclatée et peu coordonnée, l’information des citoyens européens sur la défense européenne et l’Europe de la défense est calamiteuse. L’intérêt pour les questions de défense est faible ; le contexte de sécurité actuel, caractérisé par des menaces et des risques nombreux et diffus, est peu mobilisateur. L’ennemi est peu visible et le lien entre l’insécurité ressentie par les citoyens et les moyens, notamment militaires, nécessaires à leur défense, est mal perçu.  Conséquence logique de ce manque d’intérêt, la connaissance de l’organisation, des structures et des moyens de la défense européenne est extrêmement faible. Il en résulte une très grande confusion dans la perception de ce qui se fait en national, dans l’Otan et dans l’UE (Europe de la défense). S’agissant de l’Europe de la Défense, le manque de connaissance se complique à cause de l’absence de clarté sur l’objectif final de la construction européenne (fédération ou grand marché ?), mais aussi de la complexité des structures et du fonctionnement des institutions de l’UE. Enfin, malgré un soutien de principe à une approche européenne de leur défense, constaté dans la totalité des pays de l’UE, une vision claire du partage des responsabilités et des rôles entre les 2 niveaux national et européen est loin d’exister.

Or la question de l’information des citoyens européens sur les questions de défense est d’autant plus importante que l’enjeu est bien celui de l’opinion publique dont le rôle est capital en démocratie. On peut constater que le défaut d’information et de connaissance de nos concitoyens sur ces sujets ne les empêche d’ailleurs pas d’exprimer leurs vues dans les sondages.

Il semble donc essentiel de définir un contenu d’information minimum que devraient acquérir les citoyens européens à propos de leur défense et en particulier dans le cadre de l’UE et de développer une communication plus stratégique, plus cohérente et plus efficace.

Les citoyens devraient en premier lieu être mieux informés de ce que représente l’UE en termes d’enjeux et de vulnérabilités : « ce que nous n’aurions pas si l’UE n’existait pas » et la dépendance de nos pays à l’égard de l’UE, les convoitises extérieures aiguisées par nos richesses, les bénéfices de la solidarité entre les États de l’UE, mais aussi les vulnérabilités  résultant de notre faiblesse démographique, de l’instabilité à nos frontières ou de notre dépendance énergétique.

 Il s’agirait ensuite d’éveiller leur conscience aux menaces et aux risques de ce temps en montrant l’incidence des évènements extérieurs à l’Europe sur la sécurité de notre continent, en évoluant d’une conception territoriale à une conception globale de la défense. L’UE devrait avoir un rôle central dans cet exercice en tant qu’organisation intégratrice des capacités (devenues insuffisantes) de ses États-membres, à partir de la définition d’objectifs stratégiques concrets. A l’heure du continuum entre défense et sécurité, il serait avisé également de lever les restrictions mises initialement aux compétences de l’UE dans ce domaine par crainte d’affaiblir l’Otan, et qui l’empêche d’avoir une approche globale de ses besoins de défense. Il faudrait encore mettre en évidence le lien entre la sécurité des individus, les défenses nationales et la défense européenne ainsi que clarifier dès que possible l’état final recherché dans la construction européenne.

Pour atteindre ces objectifs, une communication plus performante est indispensable. Elle doit être :

- plus stratégique, c’est à dire servir les mêmes objectifs que la stratégie à laquelle elle se réfère (Stratégie de Sécurité Européenne) à partir de messages et de cibles bien définis.  Le but est d’informer les citoyens européens mais aussi de les faire adhérer à la politique suivie, en les rendant acteurs de leur sécurité et en stimulant une réflexion européenne plus responsable et donc plus autonome ;

- plus cohérente : d’abord en redéfinissant les bases et les conditions d’une complémentarité réelle entre l’Otan, l’UE et les nations puis en mettant en réseau leurs services de communication. Il serait souhaitable aussi de créer un office central de  communication de l’UE, éventuellement au niveau de la Présidence du Conseil, avec un département dédié au domaine sécurité/défense.  Cet office pourrait veiller à l’unité d’action de la communication de l’UE, définir une stratégie globale déclinable par les différentes entités, jouer un rôle de coordination, veiller à l’équilibre des ressources allouées à la communication entre les différentes entités (Conseil, SEAE, Commission, PE, AED…) et améliorer sa réactivité ;

- plus efficace : en organisant la communication de défense européenne sur la base des intérêts communs des Européens avec des messages transnationaux, s’adressant directement aux opinions publiques sur les valeurs, mais aussi sur les risques et menaces potentiels susceptibles d’affecter l’ensemble de notre continent (voisinage, zones de transit stratégiques, accès aux ressources énergétiques…). Une communication ciblée tenant compte de la sensibilité des pays et des générations serait sans doute plus performante. Elle se concentrerait sur les facteurs qui rapprochent les États membres et dénoncerait ceux qui les divisent, permettrait de passer de la méfiance à la confiance entre les États européens et permettrait d’aller progressivement vers une citoyenneté européenne.

Au bilan, la façon de parler de la défense européenne doit évoluer vers plus d’homogénéité entre la communication des États membres qui met souvent l’accent sur toutes les insuffisances de l’Europe (« la faute à l’Europe ») qui traduit en fait leur difficulté d’agir ensemble, et celle venant des institutions bruxelloises (Conseil, Commission, Parlement européen) responsable d’informer sur « le bien commun européen » et la responsabilité des États dans la défense commune ( « les dommages dus au manque d’Europe »). Si la première peut décrire les difficultés de « faire ensemble » l’autre doit faire ressortir l’intérêt des solutions communes. L’information des citoyens européens est un facteur clé de la construction européenne ; cela vaut en particulier pour la défense et justifie que des mesures urgentes soient prises pour améliorer la communication sur le sujet.

                                                                                            


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