Entretien avec M. Vinh sur son voyage dans l’archipel des Spratleys en mer de Chine méridionale (avril 2012),
Propos recueillis par Pierre Journoud à l’IRSEM le 7 février 2013.
Jeune ingénieur vietnamien vivant en France, passionné par les questions de défense et de stratégie industrielle, M. Vinh a eu cette chance – longtemps réservée exclusivement aux Vietnamiens mais auxquels s’ajoutent depuis seulement 2012 les Vietnamiens d’Outre-mer comme lui (les Viet Kieu, citoyens vietnamiens résidant à l’étranger) – d’effectuer une mission dans les Spratleys au printemps 2012. Rappelons que cet archipel s’étend sur une superficie à peu près équivalente à celle du Cambodge (180 000 km²) et se trouve au cœur des litiges territoriaux entre Brunei, la Chine, la Malaisie, les Philippines, Taiwan et le Vietnam.
M. Vinh a bien voulu partager les observations qu’il a pu recueillir de ce voyage qui n’est pas encore ouvert aux experts étrangers de la zone.
J’avais 8 ans en 1988, lors du conflit naval sino-vietnamien dans les Spratleys, et je me souviens avoir été sensibilisé, à travers les bandes dessinées pour enfants et la télévision, à la nécessité de protéger notre territoire et nos frontières, et de combattre la menace extérieure chinoise. Plus tard, dans les cours et les manuels d’histoire de l’enseignement primaire puis secondaire, j’ai appris les grandes étapes du développement de notre nation, selon une logique chronologique héritée de l’enseignement français, à travers 2 000 ans d’une histoire mouvementée pendant laquelle la Chine a souvent fait figure d’ennemi héréditaire. Plus récemment, la formation d’ingénieur que j’ai reçue en France m’a initié à la pensée stratégique et à la responsabilité de l’entrepreneur, aux indispensables synergies entre chercheurs et industriels. Des cours sur les identités françaises m’ont également permis de réfléchir aux valeurs nationales qui fondent l’identité vietnamienne
Quand, pour la première fois en 2011, le gouvernement vietnamien a pris la décision d’ouvrir aux Vietnamiens de l’étranger les voyages qu’il organisait chaque année pour quelques centaines de Vietnamiens du pays, j’ai rapidement saisi l’opportunité de cette ouverture et pu ainsi prendre part au voyage d’avril 2012.
Il s’agit avant tout de donner à voir une réalité encore mal appréhendée par les Vietnamiens eux-mêmes, dans ses aspects positifs (la beauté des paysages) aussi bien que négatifs (la difficulté de la vie sur place). L’ouverture toute récente de ces voyages aux Viet Kieu vise aussi à atténuer les critiques dont la politique du gouvernement vietnamien fait l’objet de leur part, en ce qu’elle leur paraît brader l’héritage des ancêtres. Cette ouverture, qui s’étendra peut-être demain aux étrangers, traduit la volonté du gouvernement vietnamien de faire observer la situation sur place et procède sans doute d’une volonté délibérée d’internationaliser le conflit qui l’oppose à la Chine en mer Orientale. Je pense, enfin, que ces voyages peuvent contribuer à remonter le moral des troupes qui, sur place, demeurent particulièrement isolées et confrontées à mille difficultés pour vivre.
Nous étions une petite centaine de Viet Kieu, issus de 33 pays différents. Il y avait également une grande diversité parmi les religieux de notre groupe : bonzes, prêtres catholiques, protestants, musulmans, Caodaïstes…
Encadrés par la Marine vietnamienne et le ministère des Affaires étrangères, nous sommes partis depuis Ho Chi Minh-Ville, pendant trois semaines dont environ 12 jours en mer, sur un bâtiment de transport militaire (le HQ-571[1]). Nous avons rejoint en premier lieu les îles Song Tu Tay.
D’abord, la distance importante depuis les côtés vietnamiennes ; ensuite, la beauté des lieux. Les eaux sont transparentes et très poissonneuses ; la barrière de corail, magnifique. C’est un paradis naturel, une réserve aux potentialités écologiques considérables, qu’il faut à tout prix protéger pour contribuer au développement durable de notre pays. Malheureusement, d’après le témoignage de nos soldats, certaines zones ont été délibérément empoisonnées par les Chinois, ce qui perturbe gravement l’écosystème et, par conséquent, les activités de pêche. C’est pourquoi, en plus des dangers liés aux méduses, à certains poissons et au corail, la baignade nous fut interdite.
Oui, nous avons été escortés pendant une partie du trajet par un bâtiment militaire chinois, une frégate lance-missiles. D’après les informations que nous avons reçues, 4 frégates lance-missiles de type soviétique (Jianghu II) seraient affectées au contrôle de la zone, dont deux patrouilleraient en permanence, sans compter les avions qui, en survolant ces îles extrêmement surveillées, croisent parfois ceux des Vietnamiens, des Japonais, des Philippins ou des Américains... En mer, en revanche, les Vietnamiens comme les Philippins n’envoient que des bâtiments de transport pour éviter toute provocation. D’ailleurs, entre Vietnamiens et Philippins, dont les postes sont parfois de distants de seulement quelques kilomètres, l’entente est parfaite sur place et nourrit de nombreux échanges, notamment pour faciliter leur ravitaillement.
Il n’en va pas de même avec les Chinois. Certains de leurs navires sont envoyés pour bloquer l’activité économique du Vietnam dans la zone. La situation demeure tendue.
Oui, sur la douzaine de postes fortifiés que nous avons fréquentés, en particulier sur Nam Yet. Et les soldats morts sont parfois très jeunes, comme ce soldat de 19 ans engagé en février 2011 et mort en septembre de la même année. C’est quelque chose de très émouvant pour nous, Vietnamiens, de voir le sacrifice de ces jeunes soldats pour leur Patrie, même si nous ignorons les causes de leur mort. Nous avons également été impressionnés par ces pêcheurs que nous avons croisés qui, avec une flotte de pêche ancienne qu’il faudrait moderniser, vivent aussi loin du continent et font régulièrement les frais des incidents avec les Chinois.
[1] Sorti des arsenaux de Haiphong en 2011, le HQ-571, long de 71 mètres et large de 13,2, capable d’atteindre une vitesse de 16 miles nautiques, est le plus grand bâtiment de transport de la Marine vietnamienne. Il peut naviguer en autonomie totale pendant 40 jours avec l’équipage, et une vingtaine avec plus de 180 passagers.
(Quan Doi Nhan Dan, 6 octobre 2011, http://www.qdnd.vn/qdndsite/en-US/75/72/184/164/164/162803/Default.aspx).
Droits : IRSEM