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Enjeux de guerre

Mise à jour  : 03/12/2012 - Direction : IRSEM

Colonel Pierre-Joseph Givre et colonel Nicolas Le Nen, Enjeux de guerre, Economica, 2012. Préface de Hubert Védrine.

Après Guerre en montagne, les colonels chasseurs-alpins Le Nen et Givre prennent encore de la hauteur avec une réflexion sur la guerre moderne. En un peu plus d’une centaine de pages et cinq chapitres courts (c’est le principe, heureux, de cette nouvelle collection « Guerres et opinions » chez Economica), ils exposent leur vision de cette guerre mondiale en miettes qui a succédé à la guerre froide. On pourrait résumer leur idée maîtresse à l’embarras des nations occidentales victorieuses, un peu par défaut et beaucoup par surprise, de l’URSS et qui se retrouvent comme puissances militaires dominantes dans l’univers changeant et souvent violent de la nouvelle mondialisation.

Leur premier chapitre, qui n’est pas sans rappeler La géopolitique de l’émotion de Dominique Moisi ou le chapitre de Thomas Lindemann sur les guerres de reconnaissance dans La fin des guerres majeures ?, décrit un nouveau contexte où la stratégie de la guerre froide, froide aussi par la rationalité imposée de l’arme nucléaire, fait place à une palette plus large de motivations que le simple intérêt comme la peur ou l’honneur (la reconnaissance). Le contraste devient alors énorme entre la posture pacifiée sinon pacifiste, européenne et celles des multiples acteurs de l’arc de crise. Cette classification des sources des conflits entre les trois motivations décrites par Thucydide est une première originalité, très éclairante, de l’ouvrage.

La seconde trinité utilisée par les auteurs, plus classique, est la fameuse trinité clausewitzienne décrivant les rapports l’État, le peuple et l’armée. Selon eux, là où Clausewitz décrivait un État souverain chez lui et un peuple obéissant, c’est l’inverse que se passe aujourd’hui, au moins dans les pays démocratiques, heureusement de plus en plus nombreux. Tout se passe en effet comme si c’était le peuple qui finalement dominait complètement un État attentif à ses moindres pulsations. Le duel des armes ne visent plus à convaincre l’État ennemi de la défaite mais à décourager son peuple, l’État ne faisant que suivre ensuite les sondages d’opinion.

Ces guerres d’opinion apparaissent d’autant plus comme la norme que d’un côté, nos adversaires ne peuvent nous affronter sur le champ de bataille sans risque d’être écrasés et que de l’autre, ces mêmes adversaires sont presque toujours non-étatiques formant des trinités beaucoup plus incrustée, par leur tête politique et leurs miliciens volontaires, dans une population. Le jeu d’échecs fait alors place au jeu de Go avec ses stratégies extensives (orientées vers les populations et les forces, amies comme ennemies) et ses victoires toujours relatives. De duel armé avec la grande bataille décisive comme point Oméga, les opérations militaires sont désormais systémiques et surtout destinées à conforter le moral des siens et saper celui des autres par une accumulation de petites victoires.

Dans ce cadre, l’action militaire elle-même étendue à de nouveaux champs comme le cyberespace et l’espace extra-atmosphérique n’est qu’un instrument parmi d’autres pour atteindre cet objectif, d’autant plus difficilement que, tout en se protégeant sur son sol des frappes ponctuelles, terroristes ou non, de l’ennemi, cette stratégie extensive s’exerce presque entièrement au cœur de pays étrangers et souverains. Il s’agira donc de s’associer à une trinité locale, d’essence étatique ou contre-étatique comme en Libye, pour vider de sa substance celle de l’adversaire.

Au bilan, les deux auteurs développent une vision claire et cohérente du contexte stratégique mondial s’appuyant sur des concepts originaux. Elle est à rapprocher de celle, beaucoup plus historique, du général Guy Hubin dans La guerre-une vision française, de The new western way of war de Martin Shaw et bien sûr de La guerre probable du général Desportes. Elle est surtout à lire et à développer.


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