[1]Par Pierre Messiaen,doctorant rattaché à l‘IRSEM
[1]Pierre Messiaen réalise une thèse sous la direction d’Anne de Tinguy, sur Les conséquences internationales de l'évolution démographique de la Fédération de Russie depuis l'effondrement de l'URSS, à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales)
La Russie adopte une position défensive vis-à-vis de l’Union européenne tant pour des raisons propres à la diplomatie de l’UE, que par son incapacité à répondre à certains enjeux du monde d’aujourd’hui.
La Russie se sent déstabilisée par une menace de triple nature. La crise économique met un coup d’arrêt à la croissance du pays qui avait permis un retour sur la scène internationale. Les manifestations de décembre 2012 en Russie remettent en cause le « contrat social » entre les autorités et la population, c’est-à-dire une hausse du niveau de vie contre une passivité politique. La Russie voit dans les révolutions arabes une volonté des pays occidentaux d’accroître leur sphère d’influence et de favoriser l’essor de l’islamisme. Ce sentiment influence les relations entre la Russie et l’Europe.
-L’effet contre-productif de la logique de valeurs
L’Union européenne comme puissance normative a souvent basé sa relation avec la Russie sur une logique de valeurs, comme la promotion de la démocratie et la défense des droits de l’Homme.
Moscou perçoit cette politique comme la dissimulation d’une volonté d’accroissement de la zone d’influence de l’Europe, plus largement de l’Occident, au détriment de celle de la Russie. En cela, elle inscrit dans la même logique l’élargissement de l’Union européenne, de l’OTAN, le conflit au Kosovo, le partenariat oriental, les révolutions de couleur, l’intervention de l’OTAN en Libye, etc. Néanmoins, il existe une convergence de vues entre la Russie et l’Union européenne lorsque les valeurs portent sur les thématiques sécuritaires, comme la lutte contre le terrorisme islamiste.
La Russie se sert de l’amertume suscitée par la logique de valeurs de l’Europe chez les autres membres de la scène internationale pour renforcer son poids diplomatique. La Russie arrive à trouver un positionnement alternatif à l’Europe sur la scène internationale en incarnant diplomatiquement la contestation des valeurs européennes. Ainsi, l’utilisation politique du groupe BRICS par la Russie lui permet de créer un contrepoids à l’Union européenne, dont les pays émergents contestent la place excessive dans les institutions économiques internationales et la prééminence du point de vue.
Les organisations régionales créées par les Etats européens, comme l’OTAN ou l’UE, reposent sur les principes que l’Europe cherche à promouvoir. Devant le succès de ces dernières, la Russie cherche à mettre en place des structures semblables, comme l’Union eurasiatique ou l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. Elles regroupent différents pays de la Communauté des Etats Indépendants. L’absence d’exigences concernant la nature des régimes politiques rend ces organisations assez attractives comme le montre l’intégration par l’Ouzbékistan de l’OTSC après des critiques européennes sur le massacre d’Andijan en 2005.
-Leadership régional, statu quo international
Comme héritière de l’Union soviétique, Moscou ne veut pas que l’UE s’ingère dans la CEI et s’affirme comme une puissance globale avec laquelle l’Europe doit discuter pour régler les questions qui agitent la scène internationale.
La Russie revendique dans un monde multipolaire le statut de leader régional dans l’espace post-soviétique. Moscou adopte une position intransigeante dans ses rapports avec l’Europe sur les questions concernant les pays de la CEI. La Russie dispose de différents leviers pour exercer le leadership dans cette région du monde : militaire, économique, démographique et énergétique. Les Etats-Unis par la politique du « reset » prennent acte de la domination de Moscou dans l’espace post-soviétique, et l’UE parvient difficilement à soutenir les Etats de la région en désaccord avec la politique russe.
La Russie a reçu en héritage à la mort de l’Union soviétique des attributs de puissance globale. Elle essaie donc de conserver au mieux ces acquis. La base russe navale de Tartous, en Syrie, permet à Moscou d’assurer depuis 1971 une présence en Méditerranée. Grâce à son industrie nucléaire, constituée à l’époque soviétique, elle joue un rôle de premier plan dans le dossier iranien. Le droit de veto de la Russie au conseil de sécurité de l’ONU, héritage de l’URSS, oblige les Etats européens à négocier avec Moscou pour éviter tout blocage diplomatique dans leurs initiatives internationales.
Cette perception conservatrice des relations internationales conduit la Russie à rechercher le statu quo sur les questions ne concernant pas l’espace post-soviétique. Moscou représente une force de proposition sur les questions qui se trouvaient au premier plan lors de la Guerre froide, comme les problématiques de sécurité, la prolifération nucléaire, les différends diplomatiques à l’ONU. A l’exception des questions énergétiques, la Russie brille par son absence sur des sujets qui préoccupent les Etats : l’environnement, la finance. Cette vision défensive permet encore à la Russie d’avoir une politique sophistiquée vis-à-vis de l’UE, mais la laisse à l’écart du nouveau centre de gravité des relations internationales : la région Asie-Pacifique.
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