Accueil | IRSEM | page d'accueil | Nos chercheurs | In Memoriam Christian Malis (1967-2017) IRSEM ... Nos chercheurs | In Memoriam Christian Malis (1967-2017)

In Memoriam Christian Malis (1967-2017)

Mise à jour  : 06/12/2017 - Direction : IRSEM

Christian MALIS nous a quittés le 19 novembre dernier, vaincu par une cruelle maladie alors qu’il venait tout juste de fêter ses cinquante ans. Normalien de la rue d’Ulm, docteur habilité en histoire, il fut un intellectuel et chercheur de premier plan sur les questions stratégiques, mais aussi une figure de l’industrie de défense qui l’employait depuis de nombreuses années. Directeur de la prospective stratégique du Groupe Thales, il avait aussi travaillé pour Alcatel et Cap Digital. Le fait d’avoir réussi à maintenir une activité de recherche prolifique en même temps qu’une carrière industrielle majeure témoignait d’une capacité de travail hors norme et d’une curiosité intellectuelle continue.

Fortement attaché à la nation française, il avait auparavant servi l’État dans l’un des grands services du ministère de la Défense, avec beaucoup d’engagement et de réussite, alors même qu’il préparait sa thèse de doctorat. Il fonda le bureau Espace de ce service et posa les premières pierres d’une doctrine de l’utilisation de l’imagerie spatiale grâce au soutien sans faille du général Bruno ELIE et de l’amiral DE KERSAUSON, tout comme il contribua plus tard à l’idée d’une doctrine interarmées du renseignement. Il se montra toujours un fervent avocat de la place des civils dans ce monde fermé, gagnant l’amitié de nombre de ses anciens camarades. Il espérait concrétiser son attachement au drapeau français en rejoignant la session Politique de Défense de l’IHEDN qui avait retenu sa candidature il y a deux ans ; la maladie l’a malheureusement touché avant qu’il ne puisse réaliser ce rêve.

 

Homme d’action, Christian MALIS était aussi un homme de réflexion et de plume, comme l’a récemment rappelé en lui rendant hommage la Revue Défense Nationale, dans laquelle il publiait régulièrement. Longtemps professeur associé aux Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, pilier de son centre de recherches, le CREC, directeur scientifique de la Fondation Saint-Cyr, il a longtemps partagé avec les élèves officiers, puis les stagiaires de l’Ecole de guerre et du Centre des hautes études militaires, sa compréhension des enjeux techniques et stratégiques, en les replaçant toujours dans leur contexte global et sociétal. Orateur convaincant, il savait captiver son auditoire, que ce soit en salle de conférence ou lors d’émissions radiophoniques dont il était un invité régulier.

Christian MALIS a publié plusieurs ouvrages marquants dans le domaine des études sur la guerre, à commencer par sa monumentale thèse de doctorat d’histoire contemporaine, dirigée par le Professeur Georges-Henri SOUTOU et publiée en 2005 chez Economica sous le titre Raymond Aron et le débat stratégique français (récompensée par le Prix Raymond Aron). Christian était un véritable aronien, c’est-à-dire un disciple du doute et du questionnement, interrogeant inlassablement les concepts, avec le souci de saisir de manière conséquente la réalité. Il admirait ARON à la fois comme sociologue et historien, mais aussi et surtout comme philosophe, ce qui montrait bien sa compréhension intime de l’œuvre. Au moment de sa mort, Christian MALIS venait d’ailleurs d’achever un magnifique manuscrit de philosophie, intitulé L’Histoire a-t-elle un sens ?, dont on espère qu’il sera bientôt publié, tant il témoigne de la qualité de son auteur et de la profondeur humaniste de sa pensée, imprégnée de questionnement théologique.

En 2009, Christian MALIS avait également publié son Habilitation à diriger des recherches, une véritable somme sur le général Pierre-Marie GALLOIS, sous-titrée Géopolitique, histoire, stratégie, dans laquelle il décortique la pensée de l'un des pères de la doctrine de dissuasion française, dite à l’époque « du faible au fort ». La même année, il publie coup sur coup deux excellents ouvrages collectifs chez Economica, illustrant son énergie qui nous semblait inépuisable : La guerre irrégulière et Guerre et manœuvre, lequel couvre l’ensemble du spectre de la manœuvre interarmes et interarmées (primé par l’Académie des sciences morales et politiques). S’enchainent ensuite deux autres ouvrages chez le même éditeur : Soldat public, soldat privé (2011) et Cyberstratégie (2013). L’année suivante paraît son dernier ouvrage, par lequel il contribue au débat public sur les questions stratégiques, cette fois chez un éditeur généraliste : Guerres et stratégie au XXIe siècle siècle (Fayard, 2014). Couronné par le prix Maréchal Foch de l’Académie française, ce livre couvre l’ensemble du spectre stratégique : dissuasion, technologies numériques, cyberguerre, robotique, armes furtives, éthique de la guerre, etc., posant l’hypothèse que dans les conflits futurs, la victoire ne dépendrait plus seulement du courage ou de la bravoure des combattants, mais aussi de l’appui des meilleurs équipements techniques. Cet ouvrage a fait date dans la pensée stratégique française.

Au-delà de son œuvre, de la puissance de son analyse et de la trace qu’il laissera pour la génération montante de chercheurs que l’IRSEM s'efforce de soutenir, Christian était notre ami. Nous pourrions multiplier les anecdotes, mais nous nous souviendrons toujours de son sourire, de sa modestie, de son écoute et de sa fidélité envers ses amis. Derrière l’intellectuel, il y avait aussi un homme de foi. Doté d’un solide sens de l’humour très britannique, il impressionnait par sa grande taille et sa voix de bronze. C’était un homme à la fois discret et attentif, assis souvent là où l’on ne l’attendait pas. Christian était un ami de l’IRSEM, participant quand il le pouvait à nos conférences et un ami de la communauté militaire qui se souviendra de lui comme d’un homme de parole, de transmission, de convictions et de valeurs. Il laisse derrière lui une épouse, quatre jeunes enfants et une famille en deuil à qui l’IRSE M présente ses plus sincères condoléances. Nous ferons tout pour continuer à faire vivre son souvenir.

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM
Jean-Vincent Holeindre, directeur scientifique de l’IRSEM
Pierre Razoux, directeur de recherche à l’IRSEM

 

Lettre de l’IRSEM de novembre 2017


Droits : IRSEM