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Retour sur la mission Vietnam - Chine mai 2014

Mise à jour  : 10/06/2014 - Auteur : Pierre Journoud - Direction : IRSEM

Pierre Journoud a effectué une mission à Hanoi, à l’invitation de l’Académie des sciences du Vietnam et de l’Université nationale de Hanoi ; puis à Shanghai, à l’invitation de l’Université de Fudan, dans la première quinzaine du mois de mai. La première était motivée par les colloques organisés pour le soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Indochine ; la seconde par l’inauguration d’un centre d’études françaises visant à devenir une plateforme de la coopération franco-chinoise en sciences sociales et humaines.

 1. Le 60eanniversaire de la fin de la guerre d’Indochine à Hanoi

 Sobrement commémoré parla France lors d’une émouvante cérémonie présidée par l’ambassadeur Jean-Noël Poirier à l’ambassade de France au Vietnam, le soixantième anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu et de la conférence de Genève qui a mis fin à la première guerre d’Indochine a été marqué, au Vietnam, par l’organisation d’une série de colloques et de conférences. Bien qu’en retrait par rapport à l’ampleur et à la qualité de ceux que les universités de Paris I et de Hanoi avaient co-organisés lors du cinquantenaire, les deux colloques organisés successivement par l’Académie des sciences du Vietnam, le 5 mai, puis l’Université des sciences sociales et humaines, Université nationale de Hanoi, les 6 et 7 mai, ont toutefois permis quelques avancées historiographiques notables. Plusieurs chercheurs vietnamiens et étrangers ont présenté des communications nouvelles, sur les conséquences de la bataille de Dien Bien Phu dans la province où elle s’est déroulée, ses interactions avec la réforme agraire, son impact en Algérie, ou encore sur la stratégie vietnamienne pendant la conférence de Genève. La question de l’aide étrangère – de la Chine à l’Armée populaire du Vietnam et des États-Unis aux troupes de l’Union française – a été longuement débattue. Une conférence sur la mémoire de Dien Bien Phu et de la conférence de Genève, co-organisée par l’ambassade de France et Dao Thanh Huyen, journaliste indépendante spécialisée dans la mémoire orale des conflits (Dien Bien Phu vu d’en face. Paroles de Bo Doi, Nouveau Monde éditions, 2009,réédition format Poche 2014), a clos ce cycle en permettant à trois historiens de confronter leurs analyses : le colonel Nguyen Manh Ha, directeur de l’Institut de l’histoire du Parti communiste vietnamien ; l’historien américain Pierre Asselin, auteur de Hanoi’s road to the Vietnam War, 1954-1965 (University of California Press, 2013), et Pierre Journoud, auteur de Paroles de Dien Bien Phu. Les survivants témoignent (Tallandier, 2004, 2012 en collection Texto) et de Dien Bien Phu. Le basculement d’un monde (à paraître chez Vendémiaire en janvier 2015). La présence de nombreux lycéens et étudiants dans un public estimé à 250 personnes a prouvé, une fois de plus, l’attrait d’une certaine jeunesse vietnamienne non seulement pour l’histoire des conflits auxquels les aînés ont participé, mais aussi et surtout pour une histoire plus internationale, moins héroïsante et plus humaine, telle que les écrivains vietnamiens, relayés par les médias, ont commencé à la refléter depuis quelques années. Des anciens combattants ou témoins de Dien Bien Phu ont évoqué le rôle majeur du général Giap, mort le 4 octobre 2013, mais aussi, ce qui est plus nouveau, les difficultés, les épreuves et des immenses pertes subies face à la résistance acharnée des troupes de l’Union française.

2. Un nouvel incident sino-vietnamien en mer de Chine méridionale/mer orientale

Par une étrangère coïncidence, si s’en est une, la célébration de la grande victoire vietnamienne, à laquelle la Chine de Mao a d’ailleurs apporté une contribution décisive, a rapidement cédé la place, dans les médias comme dans les esprits, à une nouvelle et sérieuse crise entre Hanoi et Pékin. L’installation de la plate-forme pétrolière chinoise CNOOC 981 dans la zone économique exclusive vietnamienne (200 km environ des côtes vietnamiennes, au sud de l’archipel contesté des Paracels), au début du mois de mai, en a été le point de départ. La virulence de la réaction populaire, au Vietnam et parmi les communautés vietnamiennes de l’étranger, n’a surpris que ceux qui méconnaissent la longue histoire des conflits entre la Chine et le Vietnam, et ce qui en résulte directement : une hyper-sensibilité multiséculaire et viscérale des Vietnamiens à toute initiative chinoise susceptible d’atteindre leur souveraineté. Preuve qu’il est prêt à assumer le risque d’une confrontation diplomatique limitée avec son puissant voisin, le gouvernement, et en particulier le Premier ministre Nguyen Tan Dung, a manifesté une réaction plus ferme qu’à l’accoutumée, évoquant une « menace directe envers la paix, la stabilité, la sécurité et la sûreté maritime de la Mer orientale ». Plusieurs puissances étrangères intéressées à l’évolution de ce conflit, à commencer parles États-Unis et leurs alliés asiatiques, mais aussi des organisations régionales,dont l’Asean et l’Union européenne, ont fait part de leur préoccupation et rappelé l’importance qu’ils attachaient à un règlement pacifique du conflit,basé sur le respect de la liberté de navigation et de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La Chine poursuit néanmoins une stratégie à long terme de contrôle des espaces maritimes qui l’entourent, conforme à ses intérêts stratégiques et économiques de grande puissance en devenir, et semble prête à assumer un niveau de tension contrôlée avec les puissances, grandes et petites,qui lui contestent cette ambition.

L’Irsem,qui a déjà évoqué à plusieurs reprises les différends maritimes en mer de Chine méridionale – dans une étude collective sur l’Asie du Sud-Est publiée en 2012 (lien) puis dans un dossier de la Lettre consacré à l’Asie-Pacifique début 2013 (lien) – prépare une publication collective sur l’évolution de la puissance et de la stratégie chinoises depuis la guerre froide, avec la contribution des doctorants du groupe Asie, à paraître chez L’Harmattan fin 2014.

3. Le colloque de Shangai sur les relations franco-chinoises [voir programme]

 Organisé par le professeur Chu Xiaoquan, les 16 et 17 mai 2014 à l’Université de Fudan,à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, ce colloque a débuté par l’inauguration d’un centre d’études françaises qui souhaite revivifier la tradition francophone originelle de cette prestigieuse université, un moment occultée par un rapprochement exclusif avec les États-Unis, et qui aspire à devenir l’un des hauts-lieux de la coopération avec la France et l’Europe en sciences sociales et humaines (relations internationales, relations franco-chinoises, économie et culture). Le président de l’Université de Fudan,qui s’est félicité de l’existence de coopérations d’ores et déjà fructueuses avec l’Université Paris I, Sciences Po Paris, les ENS de Paris et de Lyon,a d’ailleurs signé une nouvelle convention avec le Collège de France, en présence de sa représentante, le professeur Anne Cheng ; de Mme Sylvie Bermann, ambassadrice de France en Chine, et de M. Emmanuel Lenain, consul de France à Shanghai (une ville qui accueille déjà près d’une vingtaine de milliers de Français). Le colloque a été ouvert, dans le cadre d’un« forum des ambassadeurs », par un débat particulièrement riche sur les enjeux, les difficultés, les succès et les perspectives de la relation franco-chinoise, entre deux anciens ambassadeurs de renom, devenus les conseillers d’honneur du nouveau centre : Pierre Morel, ambassadeur de France en Chine entre 1996 et 2002, et Wu Jianmin, ambassadeur de la République populaire de Chine en France, de 1998 à 2003.

Les premières sessions du colloque ont remis en perspective l’ambivalence qui caractérise les relations entre nos deux pays depuis l’émergence de la sinologie en France, au XVIe siècle. La « sinomania »des débuts a été progressivement éclipsée, à partir de la fin du XVIIIsiècle et pendant tout le XIXe, par le développement d’une« sinophobia » nourrie en particulier par le mythe du despotisme oriental (Anne Cheng). Une partie des communicants ont analysé la richesse des interactions littéraires et philosophiques entre nos deux pays, en particulier l’influence des écrits des philosophes des Lumières (Voltaire, Montesquieu et Rousseau) sur la Chine. Les questions internationales et stratégiques ont été abordées dans la dernière séance : les motivations géopolitiques et l’héritage de la reconnaissance de la RPC par le général de Gaulle (Pierre Journoud) ; les relations franco-africaines (Lionel Vairon) ; la perception chinoise de la diplomatie française (Xing Hua), la France et la Chine dans le système des relations internationales (Richard Balme) ; la Chine, la France et la gestion de la sécurité internationale (Chen Zhimin).

Pierre Journoud,

chargé de recherches à l’IRSEM,

responsable du programme Asie du Sud-Est


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