À cette simple question, un esprit scientifique pourrait répondre : « À rien, bien sûr ! » Si aujourd’hui chacun peut savoir ce que mangeait le Poilu de 1914-1918, rares sont ceux qui peuvent expliquer les évolutions successives du combat interarmes pendant la Grande Guerre.
En y réfléchissant davantage, un militaire de notre « belle et vieille » armée de Terre pourrait, au regard de ce qui se passe dans toutes les grandes armées - chez les Anglo-Saxons comme en Europe centrale et jusqu’en Russie et en Chine - découvrir au moins deux pistes : l’histoire militaire aide à réfléchir sur les transformations en cours du phénomène guerrier et contribue à se préparer aux prochains conflits. Elle renforce la cohésion interne, comme en témoignent l’engouement pour les innombrables manifestations liées au centenaire de la Grande Guerre et les commémorations annuelles de Camerone, de Bazeilles ou de Sidi Brahim.
L’histoire militaire n’est plus limitée, depuis longtemps, à l’ancienne « histoire-bataille », même si celle-ci conserve son utilité dans l’illustration de savoir-faire spécialisés. Comme le soulignait le professeur Albert Dépréaux dans le premier numéro de la Revue internationale d’histoire militaire, « si l’on veut étudier avec fruit ce que l’on peut nommer les "arts militaires", il est nécessaire de se dégager avant tout d’une idée désuète… à savoir que tous les progrès militaires depuis la fortification -en passant par la stratégie et la tactique- jusqu’à la plus petite question de discipline ou d’équipement, auraient été l’apanage de certaines nations seulement… ». L’histoire « militaire », s’intéresse aussi à l’histoire globale, celle des peuples comme celle des techniques, à la guerre vécue par les simples soldats comme à celle des généraux, à celle des praticiens comme à celle des penseurs.
Le général Gambiez et le colonel Suire, dans leur Plaidoyer en faveur de l’histoire militaire, ajoutent que « les militaires ont prévu et engendré des mutations décisives par la méditation de l’histoire ». Ils citent le chevalier de Folard qui, au début du 18e siècle, « mit en branle des réformes militaires qui aboutissent à Bonaparte », et le capitaine Liddell Hart, qui « a prédit le style opérationnel des blindés en s’inspirant de la cavalerie mongole ». Puisque « le moral, le terrain, les méthodes logiques et les styles de guerre restent indifférents à l’évolution technique », l’histoire militaire se présente comme un élément fondamental de l’éducation et de la formation continue des soldats. Si « l’école du commandement est bien dans la culture générale », comme le soulignait le général De Gaulle, l’histoire en constitue l’un des piliers essentiels, axé non seulement sur l’étude des batailles du passé mais aussi sur l’analyse comparée des opérations récentes.
Un exemple concret de l’utilité de l’histoire militaire est donné dans le récent livre du lieutenant-colonel Jordan qui, au-delà du simple récit de campagne, montre tout ce qu’un officier en situation de commandement opérationnel peut avantageusement tirer d’exemples historiques pour ses propres décisions. Commandant d’une colonne blindée interarmes et multinationale chargée de reconnaître plus de 1 000 kilomètres de pistes désertiques pour installer un poste aux confins libyens, il a utilisé au quotidien les enseignements de chefs des temps passés, français ou non, qui l’ont inspiré au long de son périple.
Ainsi, au-delà du simple retour d’expérience, l’histoire militaire donne au soldat, à chaque niveau de grade et de responsabilités, une capacité à réfléchir et à agir dans les circonstances les plus difficiles, dans un métier où la mort est une hypothèse de travail parmi d’autres.
Plongeant ses racines au plus loin dans notre mémoire commune, l’histoire militaire permet d’expliquer et de comprendre les victoires et les défaites de nos armées aussi bien que les conditions de vie, les doutes et les espoirs des hommes durant les périodes les plus tendues de notre histoire. En ce sens, elle est un levier au service de la cohésion de l’armée de Terre et de ses formations.
Depuis les réformes du marquis de Louvois au milieu du XVIIe siècle, le régiment est une entité de manœuvre cohérente, dont il illustre les vicissitudes et dont il porte les victoires. L’histoire militaire permet ainsi d’enrichir l’esprit de corps en se tournant vers l’avenir. Le drapeau, qui porte les décorations et fourragères et sur lequel les faits d’armes sont inscrits en lettres d’or, en devient à la fois le symbole et le point de ralliement. Or, le drapeau n’est pas un objet « mort ». Il vit, accompagne le régiment et le représente. Demain, il arborera de nouvelles marques de courage, gagnées sur les théâtres d’opérations actuels.
Référentiel pour chaque soldat, l’histoire militaire témoigne ainsi des valeurs développées au sein de l’armée de Terre, en offrant à la réflexion de chacun d’innombrables exemples de comportements exceptionnels.
Droits : Armée de Terre