Archétype des batailles de matériel de la première guerre mondiale et de ses meurtriers affrontements, Verdun catalyse également les enseignements tactico-opératifs des premières années du conflit.
Verdun marque pour les Allemands l’échec des tentatives de rupture du front continu. Les Franco-Britanniques en ont fait l’expérience l’année précédente en Artois et en Champagne. La puissance des réseaux défensifs méthodiquement organisés dans le cadre d’un très complexe « système tranchées » est telle que l’attaquant dépasse rarement la deuxième ligne de défense, même dans des secteurs considérés comme plutôt favorables à l’offensive. Malgré un emploi massif de l’artillerie (plus de deux millions d’obus tirés le premier jour), l’entrée en ligne d’unités aguerries et préparées, et une nette supériorité numérique initiale (six divisions allemandes en première ligne contre trois françaises, 1 200 pièces d’artillerie contre 270 le premier jour), les renforts français positionnés en arrière du front ont eu le temps d’intervenir et il n’a pas été rompu. En décembre 1916, après dix mois d’affrontements furieux, les forts sont repris, le terrain perdu, majoritairement reconquis, et les pertes allemandes presque aussi importantes que celles de l’armée française. La percée décisive n’a pas eu lieu.
Une fois constaté l’échec de la rupture, le commandement allemand décide de « saigner à blanc » l’armée française en cherchant à épuiser les divisions engagées sur le front de Verdun. Dans une guerre où aucun belligérant ne parvient à rompre les lignes ennemies, l’enjeu devient l’usure du potentiel humain de l’adversaire, jusqu’au moment où, épuisé, il ne peut plus recompléter ses unités. En dépit de l’atout que constitue pour l’Allemagne, sa démographie dynamique et des pertes relativement moins élevées depuis le début de la guerre (650 000 hommes du côté allemand contre 1 600 000 pour les Français et les Britanniques), les pertes (tués, blessés, prisonniers et disparus) tendent à s’équilibrer à Verdun. Au final, toutes catégories confondues, elles sont de l’ordre de 377 000 subies par les Français contre 337 000 pour les Allemands.
La résistance héroïque des troupes du 30e corps d’armée permet, entre autres, lors des premiers jours de la bataille, d’éviter la victoire allemande. Alors qu’un déluge de feu s’abat sur les 10 à 12 km de la ligne d’attaque, les unités françaises réussissent à enrayer l’offensive en se sacrifiant. Les premières semaines sont marquées par d’innombrables actes de bravoure, d’initiatives isolées, de résistances acharnées d’unités élémentaires coupées de leurs chefs, offrant les délais nécessaires à l’entrée en ligne des renforts et à la réorganisation du commandement.
Pour alimenter la bataille au jour le jour, quelque 3 000 camions empruntent chaque jour la route départementale Bar-le-Duc / Verdun montant vers le front les hommes, les munitions, le ravitaillement et les matériels de tous types, puis redescendant les blessés vers l’arrière. Exclusivement réservée à la circulation automobile, entièrement placée sous l’autorité de sa commission régulatrice, qui dispose de gendarmes et de cavaliers pour imposer la discipline de route et des territoriaux pour entretenir la voie au fur et à mesure qu’elle se dégrade, la future Voie sacrée témoigne de l’excellence de la conduite logistique de la guerre par le 4e bureau.
Les combats du bois des Caures des 21 et 22 février sont emblématiques du sens du devoir et de l’acceptation du sacrifice par les Poilus français. Les 1 300 chasseurs à pied du lieutenant-colonel Driant, attaqués par 10 000 Allemands qu’appuient 40 batteries lourdes et 7 unités d’artillerie de campagne, se battent avec l’énergie du désespoir. Les assaillants sont ralentis et parfois stoppés par des hommes épuisés physiquement et psychiquement, mais toujours combattifs, à l’image des sergents Leger et Legrand qui, avec 12 de leurs hommes, armés de mitrailleuses et de grenades, résistent plusieurs heures à deux bataillons ennemis. Georges Duhamel, médecin militaire et écrivain, témoigne d’une conversation avec un blessé :
« Comment cela va-t-il ?, dis-je dans le vacarme, en prenant le pouls de cet homme, simple soldat mais ayant déjà dépassé de loin la trentaine. Oh !, me dit-il d’une voix grave, cela va très bien, ils ne passeront pas. À ce moment-là, je soulevais la couverture et je vis que le pauvre garçon avait les deux jambes arrachées ».
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