De la chute d’une personne âgée à l’extinction d’un feu d’immeuble en passant par le Covid-19, les sapeurs-pompiers de Paris sont sur tous les fronts. Une sollicitation opérationnelle à laquelle ils répondent grâce leur préparation, leur esprit de cohésion et surtout leur envie de sauver des vies. TIM a passé trois jours au sein du centre de secours de Bitche dans le 19e arrondissement de Paris.
« Quand on choisit de servir » dans cette caserne, il faut être prêt à affronter tous les types de problèmes », prévient le caporal-chef Jérémie, sapeur-pompier de Paris. Le centre de secours de Bitche est implanté face au canal de l’Ourcq dans le 19e arrondissement de Paris, depuis sa création en 1901 par Napoléon. Cette unité appartient au 1er groupement d’incendie et de secours de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) couvrant le nord-est parisien. Troisième caserne de Paris en effectif avec ses 71 hommes et femmes, elle l’est aussi en nombre d’interventions avec près de 12 500 sorties en 2019. Toujours sur la brèche, ces sapeurs-pompiers agissent dans un territoire de 185 000 habitants, marqué par d’importants problèmes sociaux.
« On ne sait jamais sur quoi nous allons être mobilisés », poursuit Jérémie. Et le caporal-chef ne croit pas si bien dire ! Ce mardi 2 juin, il a participé toute la journée à des opérations de secours notamment une tentative de suicide d’une personne âgée. Ce soir, il sera mobilisé sur l’extinction de plusieurs feux aux alentours de la place de Clichy. Cette polyvalence est la marque de fabrique de la BSPP. C’est même une spécificité française : d’autres pays comme les États-Unis ou l’Allemagne dissocient l’assistance aux victimes du combat au feu. Le secours aux "personnes représente 80 % des sorties. Viennent ensuite les accidents de circulation, la protection de victimes lors de catastrophes naturelles comme les inondations et enfin la lutte contre les incendies, mission originelle des sapeurs-pompiers.
23 h 15, la sirène retentit dans la caserne. Pour la onzième fois aujourd’hui, le sergent Kévin s’apprête à décaler. Il se précipite vers le poste de veille opérationnelle (PVO) où sont gérées toutes les demandes de départ. Son ordre de mission indique une intoxication médica- menteuse sur un enfant de moins deux ans. Il faut faire vite. Les délais d’intervention se situent entre 3 et 4 minutes maximum mais le trafic routier est le principal ennemi. Le sergent vérifie l’itinéraire sur une immense carte indiquant toutes les zones de travaux et les bouches d’incendie indisponibles. Gyrophare tournant, le véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) traverse Paris. L’incivilité au volant n’est pas le seul obstacle, le conducteur doit faire attention aux cyclistes avec écouteurs sur les oreilles. Sur place, tout va très vite et le pompier dresse un premier bilan : des cachets ont été ingérés non pas par un enfant mais deux. Pour déterminer le nombre de pilules avalées et instaurer un climat de confiance,le pompier compare les cachets à des bonbons. Pendant ce temps, les deux équipiers sous ses ordres vérifient les constantes : tension, température et rythme cardiaque. Il appelle la coordination médicale basée à Champerret qui transmet ses recommandations : le pronostic vital n’est pas engagé. Les cachets n’ont pas été avalés mais léchés par les enfants. « Je n’ai pas le droit de me tromper car mes observations déterminent la suite des moyens mis en œuvre », explique Kévin. Seul le plus jeune sera transporté aux urgences pédiatriques. Avant de partir, le sergent rappelle aux parents l’importance du rangement des produits à risque. Le sergent précise : « tout se fait sans jugement. Notre but est d’amener les personnes à se rendre compte de leurs erreurs ». Dans la nuit, Kévin va être mobilisé à quatre reprises dont deux pour des agressions. Les autres départs sont injustifiés : les victimes étaient introuvables. « Bien qu’agaçantes, ces situations ne doivent pas nous déconcentrer, affirme Kévin. Sur les 30 départs journaliers, un tiers ne sont pas de notre responsabilité. Les gens appellent le 18 souvent par méconnaissance ou par facilité ».
Le lendemain, comme tous les matins, le sergent de semaine rassemble les 21 sapeurs de garde à 7 h 45 et leur attribue leur fonction pour les prochaines 24 heures. Aujourd’hui, Kévin est chef d’agrès sur le véhicule de premier secours évacuation (PSE) principalement destiné aux interventions sur incendie. « Après une garde sur le VSAV, nous sommes affectés sur le PSE qui est un engin moins sollicité » explique-t-il. À l’issue, il effectue avec son équipe une revue complète du fourgon. Check list en main, ils activent les sirènes et vérifient tous les équipements comme les appareils respiratoires isolants. Les véhicules ont déjà été désinfectés par les équipes descendantes pour pouvoir décaler en cas de besoin. Priorité aux urgences. Face au chef de garde tonnant « à vos rangs ! », les chefs d’équipe s’alignent et rendent compte de l’état de leur véhicule. « RAS » annonce Kévin contrairement au caporal-chef Jérémie dont le véhicule a subi des tirs de cailloux la nuit dernière.
Après une séance de sport, les pompiers se préparent pour un exercice d’extinction d’incendie simulant l’émanation d’une fumée suspecte au 3e étage d’un immeuble à l’arrière de la caserne. Avec 32 kg d’équipements sur le dos, ils mettent en place l’échelle et le fourgon pompe, secourent les victimes et attaquent le feu. Le bruit de leur pas résonne dans toute la caserne. Le chef de centre, l’adjudant-chef Jordan, commente : « tous ces gestes doivent devenir des automatismes. C’est d’autant plus important pour les opérations de nuit où la fatigue se fait plus sentir ». Après une heure d’exercice, l’adjudant-chef revient avec le chef d’équipe sur le déroulement de la manœuvre. Ces révisions quotidiennes à la caserne s’ajoutent aux formations de cursus. « La vie de sapeur-pompier de Paris n’est pas qu’une accumulation d’interventions. L’enjeu est de tout concilier : la formation et la préparation, les interventions et le travail des services », certifie Jordan. Midi approche et sur les six équipes de garde, cinq sont sur le terrain. Après le déjeuner, tous les sapeurs-pompiers présents bénéficient d’une pause opérationnelle de 20 minutes. Instaurée par le chef de centre depuis près d’un an, elle est le fruit d’une étude commune menée sur le sommeil avec l’Institut de recherche biomédical des Armées. Le reste de la journée se déroule au rythme des alertes.
Entre chaque intervention, les hommes se consacrent au travail d’un service commun dans lequel ils sont affectés : secrétariat, cuisine, inventaire… Les pompiers font tout eux-mêmes. Affecté au soutien et à l’habillement, Kévin s’apprête à commander de nouvelles chaises pour le réfectoire. « Le centre est notre deuxième maison. On doit s’y sentir bien » assure-t-il.
En fin d’après-midi, certains trouvent le temps pour une deuxième séance de sport. Au programme : 50 montées de cordes, seulement avec les bras. L’adjudant-chef commente : « les séances sont construites en fonction de nos interventions : des efforts intenses sur de courtes durées. Le sport permet aussi de maintenir le corps en activité ». La nuit commence à tomber et le chef de centre reçoit une alerte d’un de ses sergents en intervention. Ce dernier vient de porter secours à deux victimes de plaies ouvertes au couteau. Une mission délicate réalisée sous les yeux d’adolescents désœuvrés. « Les esprits sont échaffés ce soir. J’ai peur d’un attroupement entre bandes rivales », souligne le sergent. Le chef de centre recoupe avec des informations de police et du centre opérationnel de Champerret. Quelques minutes plus tard, il convoque ses chefs d’équipe. Cette nuit l’attention doit être maximale et il faut se tenir prêt. Avec ses équipes, il identifie les quartiers sensibles et rappelle le principal risque sur les émeutes urbaines : le guet-apens. « Souvent on nous attire à un endroit et on nous empêche d’en sortir », explique Jordan avant de lancer à ses hommes : « discrétion absolue, on n’utilise pas les gyrophares ».
Finalement, l’orage aura eu raison des manifestations. Le centre de secours enregistre quand même 30 départs en 24 heures, dont une noyade dans le canal.
Jeudi, 23 heures. Le sergent Maxime, chef d’agrès PSE, décale pour la 10e fois. Un homme ivre s’est enfermé dans son appartement situé au 6e étage d’un immeuble et ne répond plus aux appels. Il privilégie une entrée chez la victime par une fenêtre. Il va falloir descendre en rappel à partir de l’appartement du dessus. Des bruits suspects proviennent du logement.
Maxime décide finalement de faire appel aux forces de l’ordre pour casser la porte. « Je ne peux pas exposer mes hommes sans savoir ce qui se passe à l’intérieur. L’un des derniers sapeurs que nous avons perdus, ce n’était pas au feu mais par une attaque au couteau », justifie le sergent. La police arrive, la porte est brisée à coup de hache. Tous se dirigent vers la victime : l’équipier prend les constantes de l’homme retranscrites par Maxime sur sa fiche de bilan. Le 2e équipier cherche des médicaments ou autres produits dans l’appartement. Le sergent établit la liaison avec la coordination médicale : l’homme se porte bien et ne nécessite pas de secours.
« Les médecins se rallient souvent à notre avis », avance Maxime. La police prend le relais. « Pour décider de la suite à donner aux interventions, je suis les procédures. Chacun a un rôle à jouer, d’où la nécessité d’être opérationnel dès son arrivée en unité. Nous sommes responsabilisés très tôt. C’est important car quand on arrive sur une intervention, les gens voient des pompiers pas des grades », avance le chef d’agrès. Cette responsabilité, le caporal Corentin la connaît bien. Depuis hier, il occupe la fonction de stationnaire au PVO pour 24 heures. Il réceptionne tous les appels du centre de suivi opérationnel (CSO) situé à Montmartre, déclenche les véhicules et les alarmes en fonction de la nature des interventions. En charge de l’édition des ordres de départ destinés aux chefs d’agrès, il veille également à la cohérence des moyens demandés par le CSO. Le jeune caporal expose : « on part tous avec les mêmes bases puisque nous sommes tous militaire du rang ».
Vendredi, 7 h 45, le sergent Kévin quitte la caserne après cinq jours de garde. Habituellement, celle-ci dure entre 24 et 48 heures mais la crise sanitaire a imposé un système de bordées : cinq jours de garde et sept jours de repos.
« S’adapter ce n’est pas juste passer d’une urgence à une autre, c’est aussi changer nos méthodes de travail quand la situation l’impose » précise Jordan. Pour affronter l’activité opérationnelle soudaine, le centre de secours s’est réorganisé en un temps record. Les mesures barrières, comme la prise de température journalière, le port du masque, la distanciation sociale, ont été mises en place en avance de phase de l’épidémie. Pour éviter tout risque de contagion, les sapeurs-pompiers devaient se changer après une intervention.
« Au début, nous agissions face à un virus dont nous ne connaissions rien, raconte le chef de centre. Nous avons vu des victimes qui allaient bien et qui tout à coup étaient en détresse respiratoire. » Sur les 11 235 interventions liées au Covid-19 cumulées par la BSPP, la caserne de Bitche en compte 550 en quatre semaines. Elle a été la caserne la plus sollicitée. « Certains d’entre nous ont été malades, d’autres ont perdu des proches, rapporte Jordan. Malgré cela, tous ont levé la main pour prendre des gardes alors qu’ils étaient en repos. Dans ces épreuves, l’envie de servir et l’esprit de corps prennent le dessus. C’est ce qui nous fait tenir, c’est notre principale force ».
Unité de l’armée de Terre, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris est placée pour emploi sous l’autorité du préfet de police de Paris. Ses 76 casernes couvrent les 20 arrondissements de Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne. Elle est aussi la seule unité (avec la Légion étrangère) dont les sous-officiers ne sont pas recrutés par voie directe.
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