Intervention de Monsieur Alain JUPPÉ
Ministre d’État
Ministre de la défense et des anciens combattants
A l’occasion de son audition par les membres de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat
Palais du Luxembourg – 25 janvier 2011
--- Seul le prononcé fait foi ---
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Avant toute chose, permettez-moi de vous remercier de votre invitation, qui me permet, quelques semaines après notre échange sur la défense anti-missile balistique, de faire avec vous un premier tour d’horizon des grands sujets d’actualité en matière de défense, comme nous aurons l’occasion de le faire régulièrement au cours des prochains mois.
Avant d’aborder les principales opérations extérieures dans lesquelles nos forces sont actuellement engagées, je souhaiterais évoquer avec vous trois grands chantiers dans lesquels notre pays joue un rôle moteur et qui influeront nécessairement sur les modalités de nos engagements opérationnels à venir.
Le premier d’entre eux, c’est la réforme de l’OTAN.
Je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises sur les décisions majeures prises au sommet de Lisbonne les 19 et 20 novembre dernier.
Aujourd’hui, je voudrais simplement souligner l’effort considérable entrepris pour réformer la structure de commandement, dont le format définitif sera décidé en juin prochain - cette structure, nous la voulons plus ramassée, plus efficace dans la planification et la conduite des opérations. Je voudrais également rappeler la nécessaire réforme des agences et de la gouvernance de l’Alliance, qui sont tout aussi importantes pour les opérations.
Sur tous ces points, nous serons exigeants sur les objectifs à atteindre, comme j’aurai après-demain l’occasion de le rappeler au secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh RASMUSSEN, à Bruxelles.
Le deuxième chantier, qui me tient particulièrement à coeur, c’est la relance de l’Europe de la Défense.
Dans un monde qui demeure imprévisible, je suis en effet convaincu que nous avons besoin d’une Europe politique, capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale et dotée des moyens d’agir pour sa propre sécurité ou pour la paix et la sécurité dans le monde.
C’est tout le sens de la lettre que Michèle ALLIOT-MARIE et moi-même avons adressée, avec nos homologues allemands et polonais, à Catherine ASHTON, Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité. Ce texte, dont nous attendons la réponse, constitue un signal politique fort à un moment où les Européens doivent faire des choix décisifs pour l’avenir de leur défense. Nos trois pays y rappellent l’importance d’une Europe de la défense crédible aux plans politique et militaire, et capable d’entretenir des liens de complémentarité efficaces avec l’Alliance. Ils demandent à la Haute Représentante de s’investir personnellement en ce sens en lui proposant une feuille de route concrète pour les mois qui viennent :
- Le renforcement de la coopération Union européenne / Alliance atlantique, au plan opérationnel comme au plan capacitaire ;
- L’amélioration des capacités de planification et de conduite européennes et le développement des groupements tactiques inter-armés de réaction rapide ;
- Le renforcement des capacités militaires européennes, en recherchant des formules nouvelles de mutualisation ou de partage (« pooling and sharing ») permettant d’optimiser l’utilisation de nos ressources.
Cette ambition de donner un nouveau souffle à la Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune et d’entretenir de vraies capacités européennes de projection a d’autant plus de sens que nos Alliés sont aujourd’hui confrontés à de très fortes contraintes budgétaires, avec une réduction de 7,5 % du budget de défense des Britanniques en 2011, et un objectif de réduction de 14% de ce budget pour les Allemands sur les cinq prochaines années.
Nous inscrivons donc les coopérations bilatérales de défense ambitieuses que nous relançons avec nos partenaires européens dans cette démarche. Je sais que vous êtes d’ores et déjà pleinement mobilisés en ce sens, puisqu’une première réunion du groupe de travail parlementaire sur le partenariat franco-britannique s’est tenue ici même, au Sénat, le 8 décembre dernier.
Ma conviction, c’est que nous devons aller plus loin encore, en matière de coopération, d’emploi des moyens militaires développés en commun, mais aussi d’implication de l’Union Européenne dans le monde. J’aurai l’occasion de la réaffirmer dans deux jours à Bruxelles à Lady ASHTON et au Président du Conseil Européen, M. Herman Van ROMPUY.
Troisième chantier : l’adaptation de notre dispositif sur le continent africain, qui se traduit par la rénovation de nos accords de défense. Je sais que vous en avez déjà examiné quatre en commission, dont deux la semaine dernière.
Comme vous le savez, dans l’esprit du Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale et à la suite du discours du Président de la République prononcé au Cap, en février 2008, nous avons en effet entrepris une réorganisation profonde de nos forces pré-positionnées en Afrique. Elles s’articuleront dorénavant autour de deux bases opérationnelles avancées, au Gabon et à Djibouti, et d’un pôle opérationnel de coopération, au Sénégal.
Notre premier objectif, c’est d’assurer toujours plus efficacement la sécurité de nos ressortissants. C’est dans cet esprit que nos forces pré-positionnées prennent toute leur part à la lutte contre le terrorisme et se tiennent prêtes à intervenir en cas de menace sur la sécurité de nos compatriotes. J’ai pu constater début janvier lors de mon déplacement au Niger et au Tchad combien la communauté française en Afrique est attachée à cette mission de nos Armées.
Notre deuxième objectif, c’est d’aider l’Afrique à bâtir son propre système de sécurité collective, mais aussi de soutenir les pays qui souhaitent faire respecter leur souveraineté. C’est tout le sens des nombreuses actions de formation que nous menons au profit d’unités africaines engagées dans des opérations de maintien de la paix.
Cette réforme de notre dispositif pré-positionné, l’actualité récente nous en a montré la pertinence. Sur le continent africain, deux zones figurent en effet parmi les théâtres qui font en ce moment l’objet d’une vigilance particulière de notre part.
Ces théâtres, je voudrais aujourd’hui en évoquer quatre avec vous.
Le premier, c’est le Sahel, où nous mettons tout en œuvre pour assurer la sécurité de nos ressortissants.
Dans cette région, en collaboration avec d’autres partenaires occidentaux, notre ministère apporte un soutien résolu aux Armées des Etats qui en font la demande pour les accompagner dans la lutte contre Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Au-delà de cette stratégie de prévention, nous veillons également à adapter notre dispositif pré-positionné à la menace. C’est dans cet esprit que nous l’avons renforcé à la suite de la prise d’otages d’Arlit, le 16 septembre. Cela nous a permis de réagir instantanément au tragique enlèvement de nos compatriotes, Vincent DELORY et Antoine de LEOCOUR, le 8 janvier, au Niger. J’ai une pensée pour leurs familles auxquelles j’exprime notre compassion et notre solidarité à tous.
Enfin, nous agissons auprès des autorités locales pour leur préciser nos attentes en matière de sécurité de nos ressortissants. C’est dans cet esprit que je me suis rendu à Niamey le 10 janvier pour rencontrer les autorités nigériennes. Lors de ces entretiens, mes interlocuteurs se sont engagés à mettre en place une série de mesures concrètes pour renforcer la protection de nos compatriotes.
Deuxième théâtre : la Côte d’Ivoire, où, vous le savez, la situation est particulièrement instable et préoccupante depuis le 28 novembre.
Pour sortir de cette crise, la France privilégie une solution diplomatique.
Dans ce domaine, notre position est claire.
- Pour nous comme pour le Conseil de sécurité, l’Union africaine, l’Union européenne et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), le président légitime est le président Alassane OUATTARA. Nous l’avons réaffirmé avec beaucoup de force.
- Par ailleurs, l’Union européenne a conforté ses sanctions contre 87 personnalités proches de Laurent GBAGBO, dont les avoirs sont gelés, et qui, pour 59 d’entre eux, sont frappé d’une interdiction de visas. La communauté internationale est donc pleinement mobilisée pour faire respecter le vote des Ivoiriens.
Sur le plan militaire, en cas de dérapage sécuritaire, il revient à la Force de l’ONU en Côte d’Ivoire (ONUCI) d’agir, de s’interposer entre les Ivoiriens et de protéger le gouvernement légitimement élu. Le Conseil de sécurité des Nations unies a d’ailleurs renouvelé à l’unanimité fin décembre le mandat de l’ONUCI pour 6 mois et vient de voter un renfort de 2000 hommes supplémentaires pour alléger la pression subie sur le terrain par les casques bleus.
Dans ce contexte, les 980 hommes de la force Licorne, force déployée depuis septembre 2002 dans le cadre de l’ONU, apportent un soutien à l’ONUCI dans la limite de leurs capacités, conformément à la résolution 1962 du 20 décembre des Nations Unies. Nous ne prendrons aucune initiative, sauf demande formelle du Secrétaire général des Nations unies et du Conseil de Sécurité des Nations unies.
La première mission de la force Licorne, c’est en effet de garantir la sécurité de nos 15 000 ressortissants. Jusqu’à présent, cette sécurité est assurée. Mais nous restons extrêmement vigilants, car la situation peut basculer à tout moment, même si M. OUATTARA et son Premier ministre, M. Guillaume SORO, n’ont pas voulu accroître le risque l’une intervention militaire.
C’est la raison pour laquelle, en complément de la force Licorne, des moyens sont maintenus en alerte en métropole et à partir de notre dispositif prépositionné. En cas de besoin, nous pourrions notamment nous appuyer sur une force positionnée au large des côtes de la Côte-d’Ivoire pour procéder aux opérations de protection et d’évacuation nécessaires. Par ailleurs, si la force Licorne venait à être attaquée, nous exercerions notre droit à la légitime défense, conformément aux règles internationales.
Troisième théâtre : l’Océan indien.
Il y a un mois, la France a transféré aux Espagnols le commandement des forces aéromaritimes de l’opération Atalante de lutte contre la piraterie, qu’elle assurait pour la première fois. Notre pays reste cependant le principal contributeur de l’opération et je suis déterminé à veiller à ce que les autres nations européennes restent solidaires de notre effort.
Pour nous tous, cette opération est en effet un exemple de ce que nous voulons faire ensemble en matière de coopération militaire européenne.
Mais nous sommes également tous conscients que l’opération Atalante n’apporte qu’une réponse militaire à la question de la piraterie et convaincus de la nécessité pour la communauté internationale, et notamment pour l’Union européenne, de s’impliquer davantage pour la résoudre. L’amélioration du traitement judiciaire des pirates, par exemple à travers la création d’un tribunal somalien délocalisé, et la stabilisation de la région sont pour nous tous des conditions indispensables pour lutter efficacement contre ce fléau. A cet égard, je salue la publication du rapport de Jack LANG, qui, à travers les pistes d’action qu’il propose, apporte une contribution précieuse à cette réflexion.
Naturellement, je compte évoquer ce point avec Catherine ASHTON, au moment où l’Union Européenne procède à une revue stratégique de l’opération Atalante et étudie l’éventualité de s’impliquer dans le renforcement des capacités maritimes régionales.
Enfin, quatrième théâtre : l’Afghanistan, où je me suis rendu au moment de Noël pour rencontrer les militaires français. Je tiens à exprimer à nouveau devant vous mon admiration devant leur engagement et leur professionnalisme.
Sur ce théâtre, nous arrivons incontestablement à un tournant. A Lisbonne, vous le savez, les 49 nations contributrices à la Force Internationale de Stabilisation se sont mises d’accord pour commencer dès 2011 à transférer la responsabilité des districts aux autorités afghanes. Notre objectif commun, c’est d’assurer le transfert de la totalité des districts d’ici à 2014. L’Alliance a également affirmé sa volonté de s’engager au-delà de 2014 dans un partenariat de longue durée avec l’Afghanistan.
En ce qui concerne les forces françaises, l’objectif prioritaire est aujourd’hui d’assurer d’ici la fin du premier semestre 2011 les conditions permettant le transfert aux autorités afghanes de la sécurité du district de Surobi, pour nous concentrer ensuite sur la Kapisa. Permettez-moi cependant de rappeler que ce transfert sera décidé par le pouvoir afghan, en fonction de critères de sécurité et de gouvernance, mais aussi d’un ordre de priorité qui restent à fixer. Les instances décisionnelles se réuniront en février et en octobre prochain pour y procéder.
En tout état de cause, je tiens à le souligner, nous veillons attentivement à ne pas annoncer artificiellement de date de retrait de nos forces. Nous attendons d’ailleurs la même patience stratégique de nos partenaires, car la crédibilité de la coalition en dépend.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Vous le voyez, nous avons de nombreux défis à relever et je mesure chaque jour, sur les théâtres extérieurs, dans les unités sur le terrain, lors de mes entretiens au ministère, l’engagement des femmes et des hommes de la Défense pour les relever.
Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.