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Discours d'introduction du GCA Charpentier, Gouverneur militaire de Paris

Mise à jour  : 30/11/2012 - Direction : IRSEM

Discours d'introduction du GCA Charpentier, Gouverneur militaire de Paris, lors de la journée du mercredi 14 novembre 2012, organisée à l'amphithéâtre Foch de l'Ecole militaire par l'IRSEM avec l'EDG, sur le thème "Peut-il encore y avoir des stratégies nationales?"

Lorsque l'IRSEM m'a invité à ouvrir son colloque, en présence d'éminents experts civils et militaires, ainsi que de mes jeunes camarades de l'École de guerre, je me suis moi aussi posé une question.

En quoi étais-je particulièrement qualifié pour traiter du thème proposé ?

En regardant dans le rétroviseur de ma carrière, j’avais quelques motifs d’être parmi vous.

Effectivement dans la première partie de ma carrière, au Centre opérationnel interarmées puis au cabinet du MINDEF, j'avais été chargé de décliner la stratégie nationale, ou plutôt les directives élyséennes qui la sous-tendent, en modes opératoires pour nos forces engagées dans les crises africaines.

Ensuite, comme général adjoint opérations en Côte d’Ivoire, j’ai pu mesurer combien l’absence de stratégie, ou tout du moins la difficulté à la comprendre et à la mettre en œuvre sur le terrain, pouvaient conduire à l’enlisement.

Puis comme commandant des forces terrestres, je n'ai eu de cesse de veiller à ce que l’entraînement tactique de nos unités ensuite déployées en Afghanistan, et dans un tout autre contexte au Liban, s’inscrive dans l’esprit et la lettre du cadre stratégique fixé par le Président de la République.

Enfin, parce que l'officier général est, par sa raison d'être dans l'espace public, un professionnel de la stratégie, celui qui par son expertise militaire conseille le politique dans la définition des buts, des voies et des moyens de la guerre. Et qui ensuite conduira les opérations.

En ce sens, comme l'écrit Clausewitz, "le général devient homme d'Etat mais il ne devra pas cesser d'être général".

Voilà donc, j’avais quatre bonnes raisons de vous parler ce matin sur le thème de ce colloque, mais aucune d’entre elles qui je ne considère comme décisive !

C'est finalement de retour de la cérémonie du 11 novembre, "en l'honneur de tous ceux qui sont morts pour la France", ma première cérémonie nationale du souvenir en qualité de Gouverneur militaire de Paris, que je me suis dis que ma place était bien parmi vous ce matin.

Déjà la veille au soir, j'avais pu lire sur internet un article honorant la mémoire des milliers de soldats du Commonwealth morts en Libye pendant la seconde guerre mondiale. La photo d'une sépulture portant une épitaphe m'avait particulièrement interpellé et ému :

Into the mosaic of victory, I lay the priceless piece, my dearest son.

« Dans la mosaïque de la victoire, j’ai déposé une pièce inestimable, mon fils le plus cher ».

Dimanche 11 novembre 2012 à 11h00, au pied de l’Arc de Triomphe, voyez vous, j'ai ressenti une émotion encore plus forte : lorsque les noms des 13 soldats morts pour la France en Afghanistan ces douze derniers mois ont été égrenés, en présence du Président entouré de deux orphelins, de leurs familles et des emblèmes de leurs bataillons et régiments.

Cette émotion aussi intense, elle ne pouvait être partagée qu’entre Français. J’ai souvent adressé des condoléances, partagé un moment de recueillement avec mes homologues tout au long de ma carrière et plus particulièrement au cours de cette campagne afghane, mais jamais je n’ai ressenti la force de ce sentiment et de cette émotion comme en France ou parmi les soldats français.

Ces 13 soldats étaient nos fils et nos frères. Ils appartenaient à la grande famille française, militaire et civile, unie en ce 11 novembre pour honorer leur mémoire et célébrer le succès des armes de la France.

Le sang versé pour la victoire, tel est finalement le résumé de la philosophie qui doit sous-tendre notre stratégie.

Voilà ! J’avais la réponse à la question posée : oui il peut, il doit, encore y avoir des stratégies parce que toute stratégie crédible est nécessairement nationale.

Elle est nationale parce que seul l’élan d’une Nation derrière ses dirigeants politiques et ses soldats, son bras armé, peut permettre de dépasser la peur de l’anéantissement et d’accepter le prix du sang.

La stratégie est, en effet, l’expression de la volonté politique suprême d’un peuple, celle qui permet d’affronter la volonté de l’ennemi et de la soumettre par la force militaire si nécessaire.

Quand il s’agit d’évoquer la dissuasion nucléaire, nous pouvons remarquer que la notion de stratégie nationale est plutôt une évidence. Le caractère apocalyptique de l’arme, son efficacité à défendre nos intérêts vitaux pendant la guerre froide ou encore sa contribution à permettre le retour de la France dans le concert des puissances majeures après l’humiliation de 1940, demeurent pour nous tous des données intangibles.

Si nous en revenons à la stratégie non nucléaire, l’évidence nationale n’en est plus une, probablement parce que nos intérêts vitaux ne sont, en apparence tout du moins, pas en jeu.

Pour autant, je considère pour ma part que déléguer la souveraineté stratégique est dangereux et affaiblit notre défense.

Non pas que nous n'ayons pas d'intérêts partagés avec d'autres puissances, comme dans le cadre de nos alliances.

Non pas que la France ne puisse épouser des causes transnationales.

Ce qui est dangereux en fait, c'est de donner aux militaires français, comme à l'opinion française, le sentiment que le choix de faire la guerre n'est pas un choix souverain, mais un choix influencé par la défense d’intérêts qui [nous] sont étrangers.

Alors que la tentation politique existe de diluer la responsabilité stratégique au prétexte que nos intérêts immédiatement vitaux ne sont pas en jeu dans les guerres lointaines que nous menons, comme en Afghanistan, le changement du rapport à la mort au sein de nos sociétés a de fait modifié le paradigme stratégique.

La préservation de la vie de nos soldats est désormais un impératif stratégique, une nouvelle forme d’intérêt vital !

La perte de soldats en opérations provoque en effet systématiquement des réactions, chez les dirigeants politiques et dans l’opinion publique, qui peuvent infléchir le cours de la guerre.

La vie de nos soldats a désormais un prix aussi élevé que celui de nos concitoyens civils.

Le sacrifice injustifié est devenu injustifiable.

L’opinion, comme les familles de nos soldats, veulent connaître, et cela me paraît légitime dans une démocratie comme la nôtre, l’utilité et les raisons de l’engagement militaire.

Dans ce contexte, la stratégie retrouve tout son intérêt parce qu’elle fixe le cadre, les voies et les moyens les plus sûrs pour atteindre la victoire, ou plus justement à propos des guerres contemporaines, ce que Liddell Hart qualifie « d’état de paix meilleur qu’au début des hostilités ».

Le sacrifice de « nos plus chers fils » ne se justifie alors, comme en 1914 ou en 1941 dans le désert libyen, que parce qu'ils sont chacun « une pièce de la mosaïque de la victoire ».

Occulter la primauté du caractère national de la stratégie, c'est affaiblir la cause de l’engagement armé, auprès de l'opinion comme des militaires. C'est prendre le risque de laisser émerger insidieusement la question fatidique "pour qui meurt-on", et de transformer nos soldats indifféremment en victimes, en mercenaires ou en parias de la société dont ils sont l’émanation.

Seule une cause nationale supérieure peut justifier de donner sa vie, de perdre un membre, ou l’esprit au combat.

Avoir une stratégie nationale, c'est donc se donner les moyens de rassembler l'opinion, les dirigeants politiques et l’armée autour d'une ambition collective et de renforcer la volonté d’agir.

Pour le militaire et ses proches, c’est avoir la conviction que le sacrifice éventuel ne sera pas vain, que le soldat sera un héros "mort pour la seule cause qui vaille le prix du sang : celle de son pays, celle de la France".

Je vous remercie.


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