La recherche de solutions pour se préparer face aux menaces épidémiques est l’un des grands axes de recherche de l’Agence de l’innovation de défense. C’est une des perspectives proposées par la thèse de Sonia Mion, qui avait pour objectif de bloquer la communication des bactéries afin de diminuer leur virulence et d’augmenter leur sensibilité aux traitements antimicrobiens
Photo d'illustration. Crédits : Bruno GOURBY - Service de santé des armées - Défense
Les bactéries sont des microorganismes omniprésents dans notre environnement et avec lesquels les humains entretiennent des relations souvent neutres ou bénéfiques. Il arrive cependant qu’un évènement comme une plaie ou une brûlure puisse entrainer dans certains cas la prolifération de bactéries pathogènes responsables d’infections, généralement soignées par antibiotiques. Malheureusement, leur utilisation massive a entrainé ces dernières années la sélection et la prolifération de bactéries résistantes à ces traitements, posant aujourd’hui un véritable problème de santé mondial. Le combattant quant à lui est souvent un polytraumatisé vulnérable aux germes multi résistants infectant fréquemment ses blessures de guerre. Dans ce contexte, il est donc urgent de trouver des traitements alternatifs pour traiter ces infections pouvant conduire à des impasses thérapeutiques.
Une solution prometteuse : bloquer la communication des bactéries
De nombreuses bactéries communiquent en utilisant de petites molécules « signal » sécrétées dans l'environnement. Ce système de communication, appelé Quorum Sensing (QS), leur permet ainsi de synchroniser leur comportement en fonction de leur nombre. Quand elles sont assez nombreuses, elles activent des comportements pouvant aggraver une infection. Elles produisent ainsi des molécules toxiques participant à leur virulence, des mécanismes de résistance aux antimicrobiens ainsi que la production de biofilm1. Ce dernier est notamment associé aux mécanismes de résistance aux antibiotiques et aux bactériophages.
Photo d'illustration. Crédits : Catherine PIAULT - armée de Terre - Défense
Une stratégie récente2 visant à inhiber la communication bactérienne s’est particulièrement distinguée. Elle pourrait renforcer voire remplacer les traitements antimicrobiens existants : le Quorum Quenching (QQ). Cette technique consiste à cibler le Quorum Sensing afin de bloquer la communication bactérienne. Elle peut se faire de deux manières : soit en empêchant les bactéries de produire ou de détecter les molécules « signal », soit en dégradant les molécules « signal » une fois sécrétées dans l’environnement. Le Quorum Quenching présente aussi l’avantage de ne pas induire la mort du microorganisme contrairement aux antibiotiques, ce qui permet de limiter l’apparition de phénomènes de résistance.
Image : Le quorum sensing gouverne la virulence de P. aeruginosa lors d'une infection. La figure présente les principaux mécanismes régulés par le quorum sensing intervenant dans l’infection et la résistance aux traitements. Adapté de Servier Medical Art, Licence sous Creative Common Attribution. 3.0 http://smart.servier.com/. Thèse Sonia Mion
Les résultats de la thèse de Sonia Mion
Dans sa thèse, Sonia Mion s’est particulièrement concentrée sur les effets de l’enzyme SsoPox sur deux espèces bactériennes : Pseudomonas aeruginosa, fréquemment associée aux infections de plaies chroniques et brûlures, résistant aux bactériophages ou aux antibiotiques, et Chromobacterium violaceum une bactérie environnementale. L’enzyme SsoPox est en effet capable de dégrader les molécules de communication de certaines bactéries.
Dans un premier temps, ses recherches ont démontré la capacité de l’enzyme SsoPox à diminuer la virulence de diverses souches de Pseudomonas aeruginosa. Elle prouve ainsi son intérêt en alternative ou en complément aux traitements antibiotiques ou bactériophages, lorsqu’ils se révèlent inefficaces. La capacité de SsoPox à altérer la régulation du système immunitaire adaptatif des bactéries, appelé CRISPR-Cas, a ensuite été évaluée et démontrée.
Enfin, l’étude de l’ensemble des protéines et des métabolites3 présents dans Chromobacterium violaceum a permis de comprendre en détail l’impact de SsoPox. Elle a aussi démontré son potentiel pour modifier les interactions de la bactérie envers d’autres bactéries, des levures, des cellules du système immunitaire ou encore des vers. Ces observations ouvrent de nouvelles perspectives concernant les effets de cette enzyme sur des microbiotes complexes.
Et ensuite ?
De nombreuses autres bactéries posant un problème dans la santé, l’environnement ou l’agroalimentaire, utilisent également le Quorum Sensing pour réguler leur comportement. Grâce à l’utilisation des différents outils développés au cours des recherches de Sonia Mion et à l’utilisation d’une nouvelle banque de variants de l’enzyme SsoPox, il sera désormais possible de caractériser les effets de l’enzyme sur plusieurs autres souches et de sélectionner les meilleures conditions de son application. Des modèles de culture complexe seront également mis au point afin d’étudier les effets de l’enzyme sur des microbiotes.
Sonia Mion a reçu le 2ème prix du jury au concours régional « Ma thèse en 180 secondes » et le 1er prix de la Présentation Orale au 27ème symposium de l’Ecole Doctorale 62. Elle est aujourd’hui chercheuse en microbiologie, axée sur des problématiques de protection de l’environnement.
Image : Figure récapitulative des impacts de SsoPox sur la virulence, la sensibilité aux antimicrobiens, la résistance aux bactériophages et les interactions bactériennes étudiés dans cette thèse.
1- Le biofilm protège les bactéries et leur permet de survivre dans des conditions environnementales hostiles.
2- Les recherches sur le Quorum Quenching ont débuté il y a une dizaine d’années quand au cours de recherche sur le Quorum Sensing les scientifiques se sont rendu compte que certaines molécules produites par des bactéries ou des plantes permettaient d’inhiber cette communication.
3- Les métabolites sont des composés organiques issus du métabolisme.
Droits : AID