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Grande Guerre, le difficile choix des blessés sur le champ de bataille

Mise à jour  : 18/05/2021 - Direction : DICOD

Médecin militaire de 1914 à 1941, le docteur Pierre Heuraux a enregistré ses mémoires* sur bande audio en 1960. Il nous a légué un témoignage de ce qu’il a vécu lors de la Grande Guerre. Après avoir soutenu sa thèse en pleine bataille de Verdun et avoir soigné des blessés de cette même bataille au poste de secours à Esnes en Argonne (Meuse), le docteur Pierre Heuraux est nommé aide chirurgien en ambulance automobile n°9. Débute alors pour ce jeune médecin l’apprentissage de la chirurgie de guerre. Il décrit les blessures auxquelles il est confronté et le difficile choix des blessés à opérer en priorité. Le service de santé consacrera une exposition à ce médecin dans les hôpitaux militaires prochainement.

* Récit transcrit et annoté par Lodoïs Gravel, arrière-petit-fils de Pierre Heuraux

Je ne citerai pour exemple que le cas d’un blessé, qui était un officier, et qui a avait été envoyé sur l’ambulance 9, où j’étais l’aide chirurgien du professeur André1, professeur d’urologie à la faculté de Nancy, médecin personnel du maréchal Foch. Ce capitaine était considéré comme mourant et avait donc été mis par l’interne de garde, par le médecin major de première classe de garde, dans les tentes où étaient les blessés les plus graves, pour lesquels il n’y avait véritablement plus d’espoir.

Un coup de fil de Châlons (nous étions à ce moment-là à La Veuve2, près de Châlons-sur-Marne3) nous alerte sur ce capitaine qui avait une bipolaire, c'est-à-dire le crâne traversé de part en part, bipolaire qui était toujours mortelle à 99.5 %, et donc qui était jugée impossible à opérer par l’interne de garde. Or, il se trouvait que ce capitaine était le cousin du directeur des services de santé de Châlons. 

Bien entendu, alerté par ce coup de téléphone, mon chef, le professeur André, me dit : « Vous êtes au courant ? » - « Non, mais je vais me renseigner ». Le médecin de garde me dit : « Oui c’est le capitaine Edwist4, il est dans le coma, il a une bipolaire, il va mourir, on ne peut rien pour lui. Or, le médecin chef me dit : « Le directeur du service de santé de Châlons va arriver dans une heure en voiture, il faut tout de même tenter quelque chose ! ». Je dis à ce médecin chef : « Bien sûr ! je vais le faire monter en salle d’opération. On fera tout au moins une tentative, nous allons essayer ». Il dit : « Je l’opérerai moi-même, il y a 99 chances sur 100 qu’on ne puisse pas le tirer d’affaire ».

Et quand le directeur est arrivé une heure après, nous étions en train d’opérer, de trépaner et de mécher cette blessure épouvantable qu’était ce crâne traversé de part en part. Or, un de ces miracles de la chirurgie, comme il s’en produit quelques fois dans notre métier, a voulu que trois semaines après, ce capitaine se promène dans le petit jardin de l’ambulance, au bras de sa femme qui était venue le voir à 17 kilomètres du front. Voilà un miracle qui est dû à un coup de téléphone, il y en a eu quelques-uns. 

Mais il faut comprendre l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvions, les ordres que nous avions, les ordres c’était peut-être pas des ordres très humains, ils étaient de la guerre, ils étaient un peu logiques au point de vue des effectifs : « entre les blessés, si vous ne pouvez pas faire autrement bien sûr, commencez à soigner les blessés les moins graves et puis après, si vous avez le temps, occupez-vous des blessés les plus graves ». Dura lex sed lex. C’était la loi de la guerre, nous n’y pouvions rien. Nous étions attachés à une tâche véritablement magnifique mais ingrate parce qu’il fallait faire un choix, et il est toujours difficile de choisir. Parce que des fois, on choisit mal, on choisit à tort, l’esprit humain n’est pas toujours à la hauteur et le choix est souvent très difficile5 ».

 

 

 

1 Paul André (1869 – 1950) professeur de médecine à Nancy, compte parmi les pionniers de l’urologie en France (Cf. « Un siècle de chirurgie à NANCY (1874-1974) » par Antoine Beau).

2 La Veuve est une commune du département de la Marne située à 11 km de Châlons-en-Champagne.

³ La préfecture de la Marne, Châlons-sur-Marne, est devenue Châlons-en-Champagne en 1998.

4 Le nom du capitaine Edwist n’ayant pu être vérifié, il a été écrit phonétiquement.

5 Voir à ce propos : « Les médecins dans la Grande Guerre » de Sophie Delaporte, Bayard 2003


Sources : Ministère des Armées
Droits : EMA