Que ce soit dans ses buts ou dans ses moyens, dans son usage de la violence ou dans son extension dans le temps et l’espace, la guerre ne peut pas ne connaître aucune limite. La guerre ne peut donc pas s’étendre à l’infini.
AVERTISSEMENT : Les opinions émises dans ce document n’engagent que leurs auteurs. Elles ne constituent en aucune manière une position officielle du ministère de la défense ni institutionnelle.
La notion de guerre limitée, par contraste avec les deux guerres mondiales, s’impose comme une donnée d’évidence. Elle n’en est pas moins relative et ambiguë. Une guerre « sans limite » n’existe pas, dans l’histoire, et ce qui s’oppose à une guerre limitée n’est pas la guerre totale. Celle-ci se définit en effet par la mobilisation de toutes les ressources (humaines, économiques, matérielles et morales) des belligérants, ce qui n’implique pas nécessairement un usage illimité de la violence. Ainsi, la guerre de Sécession américaine, première guerre totale de l’ère industrielle, n’en était pas moins limitée quant à la violence exercée sur les populations civiles qui ont été, dans l’ensemble, épargnées. Le contraire d’une guerre limitée serait plutôt ce que Clausewitz appelait « la guerre absolue ». Mais le théoricien prussien la considérait comme un pur concept, que la réalité de la guerre pourrait approcher sans jamais l’atteindre.
Il n’existe donc que des guerres limitées selon certains aspects : par leur finalité, c’est-à-dire leur objectif politique ; par les moyens utilisés (la nature et la quantité des ressources humaines et matérielles mises en œuvre) ; par leur intensité (les modalités d’emploi de la violence) ; par leur durée et par leur extension géographique. Une guerre peut ainsi être limitée dans l’espace, mais motivée par une volonté d’anéantissement de l’adversaire, comme ce fut le cas pour la troisième guerre punique, qui vit la destruction complète de Carthage par les armées romaines. La guerre de Sept Ans, qui a opposé les grandes puissances de l’Europe sur plusieurs continents de 1756 à 1763, eut une grande extension dans l’espace et dans le temps, mais fut modérée quant à ses objectifs politiques. Celle des Malouines était limitée dans sa finalité ainsi que dans l’espace, le temps et les moyens.
L’exemple le plus souvent sollicité pour illustrer cette notion est celui des guerres du XVIIIe siècle. Limitées, elles le furent effectivement, selon la plupart des critères évoqués. Il s’agissait de conflits dont les enjeux demeuraient dynastiques et pas encore nationaux, dominés par la préoccupation d’un équilibre européen à maintenir. La violence ne s’y exerçait qu’entre combattants professionnels, dans l’espace clos du champ de bataille, où un droit de la guerre opérait, non seulement à l’égard des populations civiles, mais aussi pour les prisonniers et les blessés.
Mais on se gardera d’oublier que ces limitations ne concernaient qu’une aire culturelle bien circonscrite : celle des grandes puissances européennes. Les Écossais, par exemple, considérés comme des semi-barbares, en étaient exclus. La répression anglaise qui les a frappés en 1746 s’est traduite par des massacres de populations et des déportations dans les colonies. Si pour les Anglais il s’agissait bien d’un conflit limité, les Écossais ne l’ont pas perçu de cette façon.
Ce qui amène une autre relativisation de la notion de guerre limitée : elle n’est souvent conçue comme telle que par l’un des belligérants. Si la guerre du Vietnam était limitée du point de vue américain, elle constituait un enjeu vital pour leurs adversaires. Lors de la guerre Irak-Iran, Saddam Hussein a conçu son offensive comme une guerre limitée. Les Iraniens lui ont opposé une guerre totale et l’on vécue comme telle.
La guerre limitée est donc aussi une question de point de vue.
* Thierry Widemann est chargé d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).
Sources : Armées d’Aujourd’hui • numéro 353 • septembre 2010