120 000 hectares. C’est la superficie de la « zone rouge » de 1918, qui recouvrait les 11 départements constituant le front de l’Ouest de la Première Guerre mondiale. La présence de milliers de cadavres et de millions de munitions non explosées ont transformé ces terres autrefois agricoles, déboisées depuis le haut Moyen Âge, en un paysage lunaire dont la vue saisissaient d’effroi ceux qui s’y rendaient dans l’immédiat après-guerre. Toute trace de végétation avait alors disparu.
Le secteur de Verdun (Meuse) a été particulièrement touché par les combats. La ville et ses alentours auraient reçu près de 60 millions d’obus, dont 15 millions n’auraient pas explosé. On imagine malaisément l’état du terrain après un pilonnage si soutenu. Entre le mercure et le plomb présents dans les obus et les douilles, les bactéries germant de la putréfaction des corps humains et animaux, les amas de métal et les restes de gaz, le terrain ne pouvait plus, en 1918, accueillir une quelconque activité humaine.
La qualification de « zone rouge » à propos du champ de bataille de Verdun, en plus des raisons sécuritaires évidentes, participe aussi à un devoir de mémoire. En 1918, il s’agissait d’un véritable cimetière national – avant que les dépouilles déterrées ne rejoignent les cimetières « classiques », puis la nécropole nationale de Douaumont.
Une loi promulguée le 17 avril 1919 transfère la propriété de ces terres à l’Etat, qui les décrète alors « zone rouge » interdite d’activités humaines. La nécessité de traiter ces terrains accidentés est immédiatement devenue évidente. Il a fallu nettoyer les sols des milliers de dépouilles et de restes humains – il en reste encore aujourd’hui un nombre non quantifiable –, « désobuser » la terre, et chlorer l’eau contaminée par la putréfaction de cadavres animaux. Cette dernière mesure a même reçu le nom, dans le grand public, de « verdunisation ».
Rapidement, l’Etat français, qui ne peut nettoyer l’ensemble des surfaces sinistrées, fait planter des arbres. Dans les années 1920, ce sont près de 36 millions d’arbres qui sont mis en terre. Cette reforestation rapide participe à la politique de mémoire alors adoptée : il faut un témoin visuel, en l’occurrence cette topographie bouleversée, pour rappeler l’indicible de la « der des der ». Le couvert forestier s’est reconstitué, les sols disloqués et retournés par les obus permettant aux racines de pénétrer facilement la terre friable. De nombreux résineux rustiques, comme l’épicéa ou le pin noir, peuplent ces lieux. Mais depuis 1973, cette flore résineuse s’est progressivement transformée en forêt feuillue, plus adaptée aux conditions naturelles de la région. Le hêtre est dorénavant la principale espèce de cet environnement boisé.
Si la taille de la « zone rouge » a diminué, elle n’a pour autant jamais disparu. Chaque année, près de 30 tonnes d’explosifs et de restes de munitions sont traités. Mais pour dépolluer totalement la zone, il faudrait anéantir des dizaines de milliers d’hectares de forêt, décaper la terre sur au moins un mètre de profondeur, et procéder à la détection électromagnétique des sols ainsi mis au jour.
Aujourd’hui étendue sur 10 hectares en surplomb de Verdun, la forêt domaniale de la ville est gérée par l’Office national des forêts. Tous les arbres y ont moins de 100 ans, car pas une seule espèce n’a survécu au déluge de fer de l’année 1916. Véritable lieu de mémoire à ciel ouvert, elle a par ailleurs été labellisée « forêt d’exception » en juin 2014, la deuxième labellisation de ce type en France après Fontainebleau.
Sources : Ministère des Armées