L’histoire de l’infanterie française a connu de nombreux soubresauts. Parmi eux, la réorganisation de 1815, qui voit disparaître l’appellation « régiment d’infanterie ». Une expérimentation dictée par les circonstances qui, malgré sa brièveté, a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui.
En 1814, à la chute de l’Empire, Louis XVIII prône la réconciliation et s’appuie largement sur l’administration en place. Il est notamment persuadé que l’armée sera fidèle à son Roi comme elle l’était à son Empereur. Cette illusion ne survit pas au retour de Napoléon qui rallie toutes troupes qui lui sont opposées. En réaction, les anciens chefs chouans reprennent les armes et organisent des régiments de volontaires royaux. Alors que les armées européennes se pressent aux frontières, des affrontements se multiplient entre Royalistes et Bonapartistes, en particulier dans l’ouest de la France.
Après la défaite de Waterloo, la France est occupée par un million de soldats étrangers tandis que ce qu’il reste de l’armée impériale est cantonné au sud de la Loire. Dès le mois de juillet 1815, ayant perdu toute confiance en l’armée, Louis XVIII ordonne la dissolution de l’infanterie. À la place, il crée 87 légions interarmes, dotées chacune de deux bataillons d’infanterie de ligne, un bataillon de chasseurs à pied et trois compagnies pour le dépôt, les éclaireurs à cheval et l’artillerie. L’effectif cible est de 1 687 hommes, dont 103 officiers. Chaque légion prend le numéro de son département de formation. Par un hasard de l’histoire, celle de l’Ain, en Picardie, devient la première légion départementale, retrouvant ainsi le numéro du 1er régiment d’infanterie de ligne.
Si dès le mois d’octobre les colonels des légions sont nommés, dans les faits, le processus de constitution des régiments est plus lent. Tous les soldats remerciés en juillet doivent rejoindre le chef-lieu de leur département d’origine pour y être réformés ou mis en congé avant d’être réincorporés. Certains étant partis de chez eux depuis plus de vingt ans, ce retour forcé s’avère compliqué ; le roman Le colonel Chabert de Balzac fait écho à cette situation. Ce mouvement est également ralenti par les troupes d’occupation qui voient d’un mauvais œil un déplacement massif de soldats. Enfin, plusieurs commandants de garnison ralentissent la manœuvre. Ainsi, celui de Brest refuse de laisser partir les troupes qui gardent le port tant que la légion départementale ne sera pas en place pour prendre le relais. Or, ces soldats sont justement attendus dans un autre département pour y constituer le dépôt d’une légion. Toute cette réorganisation vise aussi à intégrer, dans les légions, les insurgés des cent jours, ces volontaires royaux qui, depuis l’été 1815, refusent de se disperser par crainte d’un démantèlement du Royaume au profit des Alliés.
Pour parvenir à recréer, à partir de tous ces hommes, une troupe cohérente et efficace, il faut toute la sagesse de l’encadrement, lui-même composé d’anciens ennemis. Par exemple, dans le Finistère, le colonel est un ancien émigré, le lieutenant-colonel est un vétéran de la Grande Armée et l’un des chefs de bataillon a gagné le surnom de « carnage » par sa férocité contre les Bonapartistes pendant les cent jours.
Néanmoins, la réforme de 1815 ne fonctionne pas complètement. Si l’amalgame ramène le calme, le recrutement exclusivement local s’avère incapable d’assurer une égalité suffisante entre les régiments. Certaines légions ne parviennent à constituer qu’un seul bataillon tandis que d’autres doivent refuser des hommes. En 1820, une nouvelle réorganisation voit donc la création de 80 régiments d’infanterie à la place des légions départementales. Ainsi, les 3 bataillons de la légion de l’Ain rejoignent Strasbourg pour former le 1er régiment d’infanterie de ligne, ancêtre du 1er régiment d’infanterie qui porte donc à double titre la devise « On ne relève pas Picardie ».
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