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[Salon du Livre] Ma blessure de guerre invisible

Mise à jour  : 13/03/2013 - Auteur : C. Boisgelot

Brisant le silence, ce militaire qui a depuis « déposé son treillis » témoigne de ces moments terrifiants et incompréhensibles, qu’il a vécus, après son retour de sa mission en Afghanistan. Une blessure de guerre invisible a sournoisement transformé le combattant en un homme abattu, enfermé dans une bulle asphyxiante. Il tente de comprendre les raisons et les mécanismes qui ont déclenché, sans qu’il ne s’en rende compte, sa descente aux enfers dans l’univers du stress post traumatique.

Une interview à fleur de peau.

<< Quel était votre état d’esprit avant de prendre part à cette mission en Afghanistan ?

Heureux ! Je sentais monter l’envie, une sorte d’ivresse, d’exaltation, à l’idée que je vivrai bientôt sur le terrain, parmi mes camarades, ce pourquoi je m’étais engagé dans l’armée de Terre, par conviction et vocation. J’avais en mémoire des images de soldats français des différentes guerres et je souhaitais poursuivre ce qu’ils n’avaient jamais cessé de faire : me battre pour les libertés ! En m’engageant, je voulais devenir l’un des humbles maillons combattants au service de la Patrie, et m’inscrire, à mon niveau, dans l’histoire de mon pays. Pour me dire aussi, plus tard, comme tout homme qui se penche sur son passé : j’ai servi ma patrie, j’ai été utile à mon pays !

<<Comment a réagi votre entourage en apprenant votre départ ?

En 2008, lorsque je me suis porté volontaire pour une mission de 6 mois en Afghanistan, les réactions furent plus que sceptiques: « on n’a rien à faire là-bas. Après tout on n’est pas envahi. Ce n’est pas notre problème ! Toutes ces troupes envoyées en Afghanistan cela coûte cher au pays ! C’est du gaspillage...» Il fallait que je me justifie en permanence ! Moi, j’étais convaincu du bien-fondé de notre intervention. Nous partions encadrer, former l’armée afghane pour lui permettre de repousser les attaques de talibans et des terroristes qui, à l’époque, s’entraînaient dans les camps et bien sûr préserver la France menacée. Risquer sa vie pour préserver celle des autres était une cause noble à mes yeux. Protéger les libertés de tous était un devoir. Honneur, sentiment du devoir accompli, aider son prochain, servir les valeurs de la République, tel était le sens de mon engagement, depuis 19 ans !

<< Cette mission était donc l’aboutissement rêvé ?

Oh oui ! là je devais mettre en pratique mes aptitudes, maîtriser les savoir-faire ! Bonheurs simples, camaraderie, fatigue, conditions précaires, risque de mourir, angoisse, colère, fatalité, tout ce que j’ai éprouvé au cours de ma mission, je le raconte simplement dans les 95 premières pages de mon livre. Je n’étais qu’un parmi mes frères d’armes, tous unis par ce qu’on appelle la cohésion, l’esprit de fraternité, qui au sein d’une OMLT, dans des conditions de vie précaires, un isolement géographique, un environnement hostile, forgeaient notre force. Chaque jour, 2 soldats de la coalition tombaient au combat, dans une embuscade ou dans une explosion. Les drapeaux en berne faisaient désormais partie de ma vie…et je me demandais qui se souviendrait de leurs noms. Ce n’était pas la peur de mourir que je ressentais mais bien la crainte de l’oubli, car oublier ceux qui, au nom de la Nation, se sont sacrifiés, c’est comme s’ils étaient morts pour rien, en vain !

<< Comment s’est passé votre retour ?

J’appréhendais les retrouvailles, sans trop savoir pourquoi. J’allais enfin pouvoir profiter des joies simples familiales et amicales, faire partager ma fierté d’avoir participé à une telle mission. Mais très vite je me suis rendu compte que je me faisais des illusions ! A mon retour j’ai été vite confronté à cette même incompréhension voire à des critiques et reproches. Nous avions risqué notre vie au nom des valeurs de la République et personne n’en n’avait conscience ! Autour de moi s’exprimait l’incompréhension quant à notre intervention. A cette méconnaissance totale s’ajoutait le manque d’intérêt sur nos conditions de vie, sur ces 6 mois vécus en Afghanistan. Très vite je sentais, après les premières questions, que j’ennuyais mes interlocuteurs. Alors on abordait d’autres sujets de conversations aussi futiles que superficielles à mes yeux. Je me sentais blessé, meurtri, coupé du monde, dans un autre monde.

<<Que pensiez-vous de la manière dont les medias relayaient ce qui se passait sur les théâtres d’opérations extérieures ?

J’avais le sentiment que l’opinion publique vivait dans le déni comme si, nous, soldats, étions invisibles et inutiles, sauf lorsque nous dépolluions les plages ou intervenions en cas de tempête! Les gens semblaient préférer suivre les aventures des people qui faisaient de plus en plus la Une des media. Parfois un bandeau défilait, neutre et lapidaire, annonçant la mort d’un soldat français en Afghanistan. Je m’interrogeais alors, révolté : le sacrifice d’un de mes frères d’armes ne valait-il donc seulement que quelques secondes dans un journal télévisé ? Dans cette course au spectaculaire, à l’audience, les péripéties amoureuses ou les comportements de telle ou telle célébrité arrivaient premiers au hit-parade de l’information. J’avais la rage au fond de moi ! Dans quel monde vivons-nous ? Quelles valeurs les medias transmettaient-ils ainsi aux jeunes générations en accordant la primeur à des scandales ou à des faits mineurs ? Pendant ce temps là…des milliers de militaires français déployés sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures se battaient pour le maintien de la paix, par devoir, au nom d’une certaine idée de la France.

<<Vous étiez donc profondément touché par le non regard des autres ?

Pire que cela ! Je me sentais incompris, solitaire, et j’ai plongé peu à peu dans un sombre désespoir. Alors j’ai dans ma tête, continué à vivre, à penser, à rêver Afghanistan. Le combattant aguerri que j’étais s’était transformé en un homme irascible, hypersensible, épuisé, manquant de confiance, enfermé dans une bulle asphyxiante, angoissante, un homme que personne, pas même moi, ne reconnaissait ! Au cours de cette descente sournoise aux enfers, les 7 premiers mois, je me suis, comme tant d’autres, voilé la face, ne pouvant tout simplement pas croire une seconde que le vaillant soldat que j’étais pouvait être atteint d’une blessure de guerre invisible ! C’est encore au sein de l’armée de Terre qu’une porte grande ouverte m’a permis de comprendre ce qui m’arrivait. Dans cette famille où l’esprit de camaraderie n’est pas un simple mot, il y a toujours une main fraternelle qui se tend : c’était ce jour-là celle du médecin qui m’accueillit, me rassurant, m’expliquant que j’avais besoin d’évacuer un trop plein de stress suite à une mission. C’est ainsi que grâce au savoir-faire des équipes médicales du service psychiatrique de l’hôpital des armées j’entamai le processus de cicatrisation de cette blessure. J’ai ainsi appris à vivre avec cette cicatrice qui fait partie de moi…en une tache indélébile.

Souffrant toujours cruellement d’un manque de reconnaissance, j’éprouvai un besoin viscéral d’exhorter cette mission. Je me suis alors lancé dans l’écriture, au pouvoir libérateur. Ce livre exutoire pourra peut-être aider certains de mes frères d’armes qui vivent la même blessure sans oser en parler ou se l’avouer…Ce modeste ouvrage va permettre de participer concrètement aux actions de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre (CABAT) puisque l’intégralité des droits d’auteur lui est reversée.

Ma blessure de guerre invisible, Sylvain Faviere, éditions Esprit com’

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