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Guyane : dans la peau des militaires de l'opération Harpie

Mise à jour  : 17/09/2010

TEMOIGNAGE. Le capitaine Nicolas Bourbigot commande une section du 9e RIMa (régiment d’infanterie de Marine) actuellement engagée en Guyane dans le cadre de l’opération Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal et l’immigration clandestine. Il livre son récit d’une patrouille en forêt dans le secteur de Maripasoula.

« 06 septembre 2010. Un campement suspect a été repéré, probable repaire d’orpailleurs clandestins : nous partons pour une nouvelle mission en forêt. Je rassemble pour les briefer mes deux chefs de groupe, mon radio graphiste, mon auxiliaire sanitaire, les gendarmes qui nous accompagneront et mes deux piroguiers amérindiens. Mon adjoint restera sur le poste de contrôle fluvial (PCF) avec le reste de la section.

Je fixe l’effectif, l’armement embarqué, le paquetage, les moyens transmissions et sanitaires, et l’emplacement de chacun au sol et dans les pirogues. Je règle les derniers détails : gilets de sauvetage, carburant... Nous serons 20 militaires et gendarmes embarqués à bord de deux pirogues.

Pour que mes hommes s’imprègnent de notre mission, je déroule virtuellement l’opération. Le transit vers la zone sera long : trois heures de pirogue jusqu’au « dégrad » (zone d’accostage), avant de débarquer militaires et gendarmes qui mèneront l’opération de contrôle. Les procédures, les objectifs, bien que connus par chacun, sont rappelés, et j’anticipe au maximum les cas non conformes. Après une heure de briefing, plus de questions. Le départ est fixé au lendemain à 05h30.

Nous partons dans la nuit en toute discrétion. Longue descente du fleuve, le rythme est lent, propice à la préparation de la phase d’action que nous mèneront tout à l’heure. Mes hommes sont concentrés, professionnels, chacun a déjà l’esprit son rôle et sa place. Un de mes chefs de groupe marmonne, esquisse quelques gestes mesurés : je sais qu’il a besoin de vivre l’action dans sa tête avant de la jouer sur le terrain.

08h30, le temps s’accélère d’un coup : approche furtive de la rive, débarquement discret, puis les hommes s’emparent de l’objectif. Dans le camp, la chaleur est déjà épouvantable, du linge est étendu, il y a des odeurs de nourriture. Notre approche discrète a berné la « sonnette » (le guetteur chargé d’avertir les clandestins), la surprise est totale. Mes hommes courent sur les layons, encerclent le camp. Ils sont rodés à la manœuvre : quelques secondes et les premiers compte-rendus tombent, annonçant les premiers bilans. Les gendarmes interpellent, saisissent. Il faut faire vite avant que tout disparaissent.

Dans un coin plus calme, mon transmetteur établit une liaison satellite et monte un abri. Il fait partie des hommes que je connais depuis longtemps, mais je ne le sens pas partir en courant dans mon dos. Il se jette à l’eau et il me faut quelques secondes pour comprendre qu’il a récupéré une de nos pirogues partie à la dérive. Remontant trempé sur la rive, il comprend à mon regard que je suis fier de commander des hommes comme lui, militaires endurcis capables de passer instantanément d’une tâche minutieuse au sprint effrené. Je lui fais signe d’approcher, j’ai encore besoin de lui : armé de ses vagues notions de portugais, je l’envoie discuter avec un garimpeiros pour recueillir des informations.

A 09h00, le camp est fouillé dans tous ses recoins. Il y a 15 minutes, j’ai envoyé les premiers éléments en reconnaissance sur la piste à quads menant au « dégrad ». Il faut maintenant que je me déplace pour conserver la liaison radio avec eux. Je laisse une équipe en protection près des pirogues : elle fera le point des marchandises saisies et détruira le carburant saisi. Le stock de gazole des garimpeiros était mal camouflé. Alors que je m’engage sur la piste à quads, je me retourne : les deux mille quatre cents litres forment à présent un énorme brasier dont la fumée noire s’élève très haut dans le ciel.

14h00. Nous marchons à vive allure sur la piste. En silence. Les traits sont tirés, les hommes fatigués n’ont pas fait de pause pour manger. Les pisteurs amérindiens s’arrêtent brusquement. Sur un arbre, une marque et une branche cassée semble indiquer une direction. Derrière le premier rideau de végétation, un véritable gruyère formé par des petits layons. Toujours en silence, les équipes se séparent pour suivre les traces de bottes que nous découvrons au sol. Les pas nous mènent vers un arbre cathédrale, immense, ses racines hautes comme des murs formant des alcôves. A l’intérieur, surprise ! Plus d’une tonne de vivres. La fouille continue aux alentours. Plus loin c’est un quad, et plus loin encore une cache d’essence. Nouvelles saisies, nouvelles destructions, nouveaux brasiers…

Quelques heures de marche plus tard, un autre campement. Cette fois, l’alerte a fonctionné, personne sur le site. Dans un coin, des bacs de rétention sont pleins d’une eau immonde, huileuse, imprégnée de carburant et envahie de déchets. La puanteur de l’eau croupie n’arrête pas mes hommes : Bingo ! Sous la surface, des moteurs immergés par les orpailleurs qui espéraient les récupérer après notre passage. Il faut les sortir pour les détruire. Un dispositif de protection est mis en place et les gars se glissent dans l’eau.

Il est 18h00. Les moteurs ont été détruits avec des pots thermiques. Les hommes sont exténués mais arborent tous une mine réjouie, heureux d’avoir réussi leur mission. Le retour sur le PCF (point de contrôle fluvial) sera pour demain matin. Je laisse deux éléments en surveillance pour la nuit, un pour les pirogues, un sur le camp. Les sentinelles se mettent en place, OB (lunettes à amplificateur de lumière) sur le nez, armes dans les hamacs. Tout est en place pour la nuit, même les moustiques.

Le lendemain, 06h00 : départ. Encore une marche pénible dans la boue jusqu’aux pirogues, installées en bivouac tactique à 1km en amont du premier camp découvert hier. Derniers efforts pour se hisser dans les embarcations. Le retour vers le PCF est calme. Dans la pirogue, le soleil cogne fort. Arrivée au PCF, mes hommes se reconditionnent : douche, lessive, nettoyage de l’armement. Ils récupèrent. Assis à mon bureau, je rédige mes comptes rendus.

Demain, une nouvelle patrouille partira dans la forêt… ».


Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense