Ingénieur d’études au Gesma de la DGA à Brest, Thierry Vaillant n’est pas un druide adepte de radiesthésie. Il ne porte ni pendule, ni bracelets de cuivre. Et pourtant, c’est un peu le magnétiseur de la DGA. Incollable sur les aimants et la manière d’en mesurer la force, il travaille au quotidien sur ces questions de mesures magnétiques. Il vient d’être récompensé au prix de l’audace, pour son invention : un détecteur portatif permettant à des plongeurs démineurs de contrôler leur équipement. Soutenu dans son projet par la mission innovation participative du ministère de la Défense, il nous explique sa démarche, les tenants et les aboutissants de Matrack, son invention.
Vous avez mis au point une sorte de bâton qui est conçu pour anticiper des risques, pourquoi l’avoir baptisé « Matrack » ?
Thierry Vaillant : « Son nom qui signifie « Magnetic Anomaly TRACKer » était une analogie à sa forme et sa fonction. Long d’environ 25 cm, c’est un appareil de détection de moins d’un kilo. Il n’est branché à rien pour fonctionner. Utilisé avant de rentrer dans l’eau, il va permettre à un plongeur-démineur de s’autocontrôler physiquement pour savoir s’il ne va pas provoquer le déclenchement d’une mine à cause de son équipement. Le plongeur démineur est en effet équipé de matériaux qui sont censés ne pas être aimantés. Jusqu’à présent, non seulement, il testait son matériel dans un laboratoire mais qui plus est, il fallait qu’il l’y transporte. Dans l’action, il n’a pas accès à ce site d’expertise et parfois son matériel a été contrôlé 3 ou 6 mois plus tôt. Entre temps, quelques petites choses ont certainement été changées sur son équipement. Il a peut-être, lui même, réalisé dessus de la maintenance, ajouté des petits accessoires, etc. Il faut donc découvrir tout ce qui va pouvoir créer une aimantation, « un champ magnétique » ».
Votre invention ressemble étrangement aux détecteurs utilisés par le personnel de sécurité des aéroports ?
T.V. : « Oui, sauf que ceux des aéroports ont pour objectif de détecter des métaux. Avec Matrack, on peut désormais faire la même chose pour des ondes. Par expérience, je me suis aperçu en testant plus d’une trentaine d’équipements de plongeurs démineurs qu’il était difficile de les contrôler sous toutes les coutures. Souvent ces éléments, comme les appareils respiratoires, par exemple, sont lourds, encombrants et difficiles à manipuler pour les tester hors de l’eau. Matrack est plus pratique.
Ce nouvel appareil de mesure réussit à détecter une agrafe ou, plus infimes encore, de toutes petites particules de matières, susceptibles de dégager une aimantation.
S’il détecte une infime quantité d’un matériau aimanté, l’appareil émettra un son.
Comme le détecteur de métaux des aéroports, vous l’utilisez en balayage. Il émet un son et un voyant rouge clignote quand vous allez dépasser le seuil. »
Quelle est l’origine de votre idée de détecteur ?
V.T. : « En 2004-2005, en coopération à Washington, je suis allé revoir un moyen de mesures du magnétisme des appareils militaires de l’OTAN qui était obsolète. Il fallait le simplifier, en augmenter les performances, le réduire aux justes besoins. Après ces contrôles, nous nous sommes aperçus qu’il y avait une forte proportion d’appareils qui ne correspondaient plus aux normes. Or, les défauts constatés étaient liés aux accessoires, aux pièces détachées... tout ce qui finalement fait la vie de l’appareil. Ce dernier n’avait plus son état d’origine et le plaçait, de ce fait, en situation de risques. Ainsi, après avoir été testé en laboratoire et avoir été estimé fiable, il pouvait ne plus l’être au moment de son utilisation et mettre en danger l’individu qui l’employait. »
Quelle a été l’élément déclencheur qui vous a permis de passer de l’idée, à la mise en forme de votre projet ?
V.T. : « Je n’avais pas du tout entendu parler du Prix de l’Audace, ni même de la Mission innovation participative. À l’origine du projet, je travaillais sur des retours d’expériences de plongeurs. Ces derniers possédaient un appareil de contrôle. Toutefois, ils lui faisaient une confiance mitigée. À cela s’ajoutait une difficulté d’utilisation, tant du point de vue de sa manipulation que pour en interpréter les résultats. J’ai alors cherché à savoir pourquoi il n’y avait pas d’outil de contrôle, sur le modèle des détecteurs d’aéroport. On m’a laissé carte blanche. Après avoir cherché pendant deux ou trois mois à savoir si cela existait quelque part, je n’ai rien trouvé. Étant donné que j’avais été formé à la métrologie, la science de la mesure, je me suis lancé dans l’aventure. Tout seul, j’ai commencé mes expériences avec un bout de bois en guise de Matrack, j’ai étudié comment cela réagissait à partir d’hypothèses puis rajouté d’autres éléments électroniques, des petits objets à chaque fois. Mon prototype étant trop encombrant, j’ai fait appel à une PME locale à Brest qui a miniaturisé le design, la mécanique électronique, etc. On appelle cela un détecteur mais à la base, c’est de la mesure.»
Quelles ont été les différentes étapes de mises en forme de votre projet ?
V.T. : « J’ai travaillé seul pendant un an. Quand cela a commencé à faire du bruit, il y a eu une très forte implication et satisfaction des militaires à l’égard de cet appareil. Cela tombait à pic pour développer mon idée. J’ai écrit mon projet sur 5 à 7 pages fin janvier 2009, il a été récupéré par mon sous-directeur technique de l’époque qui l’a envoyé à la Mission innovation participative… « à l’insu de mon plein gré ». Ensuite, j’ai été contacté par cette organisation mi-février pour présenter mon projet à Paris en mars. La gestation du projet a duré 9 mois. Le financement est tombé en juin pour sa réalisation. Le contrat a été signé au mois de septembre et Matrack est sorti en novembre 2009. Les quatre valises ont été livrées au mois de février de cette année. Le lendemain, je les prenais pour me rendre chez les plongeurs démineurs et elles partaient sur les bateaux. »
Le souci d’anticipation a toujours été en toile de fond de votre projet. Quelle plus-value votre invention apporte-t-elle en dehors de son côté pratique ?
V.T. : « C’est un outil exploitable pour des applications militaires et de sécurité. Il peut intéresser des unités qui souhaitent des détections magnétiques de ces ordres de grandeurs. La grande innovation de cet appareil, c’est surtout sa fiabilité. Disponibles 24h/24, 365 jours par an, par paire dans une valise, le détecteur peut être vérifié en tant réel par un étalon. Cet étalon peut être comparé à un diapason qui prend en compte des normes de mesures référencées par l’OTAN. Il reste dans la valise et est contrôlé, tous les ans, par celui que je possède. Cela assure la crédibilité des mesures qu’il prend. À ce jour, il y a déjà quatre valises de réalisées. Une pour moi, afin de contrôler tous les autres Matrack et trois, pour les groupes de plongeurs démineurs d’Atlantique, de Manche-Mer du Nord et de Méditerranée. La marine s’équipera en totalité début 2011. Ainsi 18 valises seront livrées dans ses écoles de guerre des mines, à bord des chasseurs de mines, au sein des groupes de plongeurs démineurs. Peut-être qu’à plus long terme, tous les spécialistes du déminage ou des forces spéciales, tous les groupes qui seront confrontés aux mines magnétiques en seront dotés... En développant mon invention, j’ai toujours gardé l’idée de préserver l’intérêt collectif et qu’avec la DGA nous soyons meneurs. Ainsi Matrack permet d’acquérir une légitimité européenne dans le domaine des mesures magnétiques. »