Discours Geneviève Darrieussecq - obsèques de Noella Rouget - 9 décembre 2020 (format pdf, 1016.19 KB).
Vous trouverez, ci-joint, le discours de Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, à l'occasion des obsèques de madame Noëlla Rouget, à Genève, le 9 décembre 2020.
Seul le prononcé fait foi.
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Mme la Présidente du conseil d’Etat du canton de Genève,
Monsieur le Président du grand conseil,
Monsieur le Maire de Genève,
Messieurs les membres du corps diplomatique,
Monsieur le député,
Monsieur le représentant de l’armée suisse, Brigadier
Messieurs les colonels,
Messieurs les représentants des cultes,
Chers membres de la famille et proches de Mme Rouget,
Mesdames, messieurs,
Noëlla, c’est d’abord un prénom, celui de l’espérance pour les chrétiens du monde entier, celui d’une foi familiale profondément enracinée, une foi en Dieu mais aussi une foi en l’humanité.
En tant que représentante du gouvernement de la République française et au nom du président de la République, c’est bien une figure d’espérance que je suis venue saluer, une incarnation de l’engagement et de la miséricorde, une femme courageuse et une ambassadrice de la liberté.
Au nom de son engagement pour la France et les valeurs universelles qu’elle porte, Noëlla Rouget a mérité l’hommage de tout le peuple français. Je me réjouis que cet hommage soit partagé et qu’il s’unisse dans un même temps, dans une même émotion, avec celui de nos amis de la Confédération suisse.
Ensemble, nous honorons celle qui fut un lien entre nos deux pays, celle qui a résisté et lutté dans les heures sombres, celle qui s’est accrochée à la vie et à l’espoir dans l’horreur des camps, celle qui suivant les volontés de son amour perdu a reconstruit une vie et fondé une famille, celle qui a tendu la main à son bourreau, celle qui, jusqu’au bout, a témoigné pour combattre l’oubli, celle qui a été une artisane du travail de mémoire.
Raconter Noëlla Rouget, c’est raconter le parcours de cette femme d’exception. C’est aller à la fois dans le plus effroyable de l’humanité comme dans le plus admirable, dans le plus cruel comme dans le plus charitable. Parler d’elle, c’est parler d’une vie d’engagement contre la haine et contre l’esprit de vengeance. C’est raconter un siècle de notre histoire, son siècle.
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Noëlla Paudeau a 20 ans quand le joug nazi s’impose sur les pavés d’Angers, quand la douceur angevine se fait obscurité. Institutrice, elle n’accepte ni les humiliations, ni les insultes faites à la liberté. Elle se révolte face au règne de l’arbitraire, face à l’effondrement de la France qu’elle aime.
Plier, non. Se résigner, jamais. Lorsqu’elle découvre l’existence d’une France qui résiste, qui poursuit le combat et refuse l’asservissement, elle le sait, elle en sera. A l’instar de milliers de jeunes femmes et jeunes hommes, Noëlla rejoint cette légion de la jeunesse combattant pour la liberté.
À son tour, elle rédige des tracts et les distribue. Les sacoches de sa bicyclette s’alourdissent rapidement des messages, des colis et parfois des armes qu’elle faisait transiter pour des mouvements et des réseaux de Résistance. Elles se remplissent également bientôt de l’amour d’Adrien TIGEOT, lui aussi instituteur et résistant, lui aussi soldat d’un idéal. Mais en écho de cette jeunesse dévouée et intrépide, les complices zélés de l’occupant, le bras armé de la collaboration, font leurs basse-œuvres. La vie de Noëlla bascule en juin 1943. Dénoncée et arrêtée, elle débute deux années d’enfermement qui la menèrent d’Angers à Ravensbrück. Son fiancé est de ces martyrs de la liberté qui achevèrent leur existence dans la clairière de Belle-Beille.
27 240 ! Tel fut le matricule de Noëlla dans l’enfer de Ravensbrück. Elle y est affectée aux travaux les plus durs. Malgré la fatigue et la maladie, la violence et les exécutions, elle s’est accrochée. Accrochée à sa foi, agrippée à la solidarité féminine, cramponnée à l’amitié et à ses compagnes de déportation : Geneviève DE GAULLE, Germaine TILLION ou Denise VERNAY. Ensemble, elles récitent, elles fredonnent, elles prient. Ensemble, elles restent humaines et se donnent la force de résister. Cette solidarité, cette sororité imprima, dans son cœur, un souvenir indélébile.
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Et c’est ici, en Suisse, que Noëlla Paudeau a trouvé la force de commencer une nouvelle vie. Bien que hantée par ces années d’effroi, elle se fit un devoir de vivre pleinement sa vie. Elle y fit rentrer l’amour en rencontrant Alain ROUGET. Elle la repeupla par la naissance de ses fils.
Son douloureux passé a ressurgi sous le nom et les traits de Jacques VASSEUR, responsable de tant de déportations et de tant de morts, responsable de son propre malheur. A rebours de l’opinion et malgré l’incompréhension de nombres de ces contemporains, parce qu’elle était contre la peine capitale, parce que la vengeance était contraire à son esprit, elle demanda et obtint la grâce pour son bourreau.
À la haine face à la haine, elle préféra le pardon et la mansuétude. Elle entretint durant de nombreuses années une correspondance avec lui. Pour tenter de comprendre et espérer des regrets qui ne vinrent jamais.
Pendant des années, la force de son témoignage n’a cessé d’alerter, d’émouvoir et de sensibiliser des générations entières. Elle aimait échanger et se faisait un devoir d’alerter les plus jeunes contre le négationnisme, le nationalisme, le totalitarisme…
Noëlla Rouget, vous avez, avec tant d’autres, allumé la flamme de la Résistance. Cette flamme, vous l’avez entretenue tout au long de votre vie. Vous nous la laissez aujourd’hui en héritage. Nous en prendrons soin.
La République française sera fidèle à votre souvenir, à vos leçons et à l’esprit de votre combat. Chère Noëlla ROUGET, « heureux qui comme Ulysse … », nous vous souhaitons un beau voyage et vous exprimons notre admiration et notre très profonde gratitude.
Vive la République !
Vive la France !
Vive la Confédération suisse !
Vive l’amitié franco-suisse !
Sources : Ministère des Armées