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Stress post-traumatique : Témoignage d’un sergent-chef du 2e RIMa

Mise à jour  : 22/03/2013 - Auteur : C. Bobbera - Direction : DICOD

Engagé à 20 ans en 2001 au 2e RIMa, le sergent-chef Yohann Douady a servi en Bosnie, en Côte d’Ivoire et en Afghanistan. Des missions difficiles qui peuvent laisser des traces indélébiles. Parmi celles-ci, une l’a profondément marqué : la Côte d’Ivoire, en 2004. A son retour en France, il souffre de cauchemars récurrents qui le replongent dans les pires moments vécus. Le sergent-chef Douady est atteint de stress post-traumatique. Un mal aujourd’hui mieux pris en charge au sein des Armées. Témoignage.

A votre retour de Côte d’Ivoire, vous avez développé un syndrome post-traumatique. Quels sont les évènements qui l'ont déclenché ?

En 2004, avec le 2e Régiment d’infanterie de marine (2e RIMa), nous avons été déployés en Côte d’Ivoire, dans la ville de Bouaké. J’y ai vécu le bombardement du camp de la force Licorne. Ce bombardement a notamment coûté la vie à mon camarade, le caporal M. Quelques jours plus tard, le régiment a été envoyé à Abidjan pour secourir les ressortissants français. Nous nous sommes positionnés à l’hôtel Ivoire assiégé par des milliers de manifestants ivoiriens. Ce fut l’un des moments les plus éprouvants de cette mission. Pendant celle-ci, j’ai régulièrement pensé à la mort de mon ami. Elle m’a beaucoup affecté.

De retour en France j’ai découvert que ma famille avait elle aussi beaucoup souffert et qu’elle s’était posée énormément de questions sur ma mission en Côte d’Ivoire. J’en suis venu à m’interroger à mon tour : quel était le sens de mon action là-bas ? Il en a été de même pour la femme de mon camarade décédé. J’ai essayé de rester proche d’elle et d’être présent pour ses enfants. Je me suis ainsi alors retrouvé à revivre sans cesse les circonstances de sa mort. Peu à peu, j’ai sombré.

Comment se manifestaient vos troubles ?

Je ne dormais plus beaucoup et j’avais beaucoup de cauchemars durant lesquels je revivais les épisodes les plus éprouvants du siège de l’hôtel Ivoire. Ces évènements sont venus s’ajouter à la mort de mon ami. J’avais un sentiment de culpabilité depuis sa mort. Ma section devait relever la sienne. Je cherchais à donner un sens à tout ça.

Pour éviter les cauchemars, j’ai commencé par boire un verre avant de me coucher. Puis je me suis mis à boire plus régulièrement. Ce n’était plus un verre qu’il me fallait, mais une bouteille, puis deux.

Votre famille s’est-elle aperçue de votre changement de comportement ?

A l’époque, je ne voyais presque pas mes parents qui habitaient à l’autre bout de la France. Je passais mes examens pour devenir sous-officier. J’étais régulièrement en stage. Pendant un an et demi, j’ai ainsi changé cinq ou six fois d’officier encadrant. Les seules personnes qui me connaissaient vraiment et qui auraient pu se rendre compte de mon problème n’étaient pas là. Je m’isolais. Je ne voulais pas demander de l’aide. Je n’avais pas envie de passer pour un faible.

Comment avez-vous été diagnostiqué ?

C’est le médecin du régiment qui, après m’avoir vu éméché, m’a reçu dans son bureau. Il s’est rendu compte que je sombrais dans l’alcoolisme. On se connaissait depuis la Côte d’Ivoire. Il comprenait ce que j’avais pu endurer et il savait que je n’étais pas du genre à venir travailler après avoir bu de l’alcool. Il m’a expliqué qu’il comprenait ce qui m’arrivait et m’a suggéré de consulter un psychiatre. Je lui ai répondu que, de moi-même, je n’irais jamais voir un psy. Par contre, s’il m’en donnait l’ordre, j’obéirais. D’une certaine manière, il m’a sauvé. J’ai rencontré le professeur Boisseau, psychiatre militaire à Paris, qui m’a tout de suite pris en charge.

Lors de nos échanges, le professeur Boisseau a su trouver les bons mots et a su interpréter ma souffrance. A cette période, mon contrat arrivait à son terme. Je me suis dit : si je quitte l’armée, je quitterai mes problèmes. Bien évidemment, quand on souffre d’un stress post-traumatique, ce n’est pas aussi simple. Je ne sais pas si j’avais besoin ou envie de parler, mais nos discussions m’ont fait beaucoup de bien. Ça a été une soupape et un moyen de laisser échapper tous ces mauvais souvenirs et de me dire que je pouvais tourner la page. Il m'a également fait jurer de ne plus boire. Depuis, je suis sobre.

Aujourd’hui, quelle est votre vision du suivi psychologique des militaires ?

Il y a désormais beaucoup plus de prévention sur cette question du stress post-traumatique. Je l’ai constaté lorsque je suis parti en Afghanistan, en 2010. Au cours de cette mission, j’ai perdu mon binôme, le 1ère classe L. Après sa mort, nous avons tous été pris en charge. Par rapport à ce que j’ai connu auparavant, c’est une avancée énorme ! Avant même notre départ, plusieurs médecins sont venus à notre rencontre pour nous sensibiliser aux risques psychologiques. Sur le théâtre, nous avons également eu des entretiens avec des médecins. Au sas de fin de mission, à Chypre, nous avons été reçus par un psychologue. Et, de retour au régiment, un accompagnement total par les médecins militaires a été mis en place. Ils sont tous très impliqués dans leur travail. A chaque fois que je vois mon médecin, il me demande des nouvelles et reste toujours attentif à ce que je peux ressentir. A présent, je continue à penser tous les jours à mon ami L. et à ce qui s’est passé en Afghanistan. Mais, contrairement à mon retour de la Côte d’Ivoire, j’ai appris à gérer ce souvenir et à vivre avec.

Le sergent-chef Yohann Douady est l’auteur de l’ouvrage « D’une guerre à l’autre » publié récemment aux éditions Nimrod.


Sources : Ministère des Armées