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Traduire les pirates en justice, un casse-tête légal

Mise à jour  : 03/09/2010 - Auteur : Samantha Lille - Direction : DICOD

Dans le golfe d’Aden, au large de la Somalie, la piraterie est encore très présente. Si l’effort militaire naval se poursuit à travers l’opération Atalante, la traduction en justice des pirates reste un vrai problème. Selon le Danemark, 60% d’entre eux sont relâchés sans même avoir été jugés. Explication.

Emmanuel-Marie Peton doctorant en Droit à l’Université Panthéon-Assas, est chargé d’étude à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM), dans le domaine : "Enjeux juridiques de la défense". Il explique pourquoi il est aujourd’hui, difficile d’instruire les procès liés la piraterie, les législations n’étant pas adaptées.

Aujourd’hui, il paraît difficile d’instaurer un cadre légal pour lutter contre la piraterie…

La lutte contre la piraterie nourrit un premier paradoxe. S’agit-il d’une opération de police ou d’une opération militaire ?

Dans les différentes résolutions des Nations unies, le Conseil de sécurité est saisi au titre ‘d’une menace à la paix et à la sécurité internationale’. De facto, cette opération serait une opération militaire dans la mesure où lorsqu’il y a atteinte à la paix et à la sécurité internationale tout dispositif mis en œuvre est un dispositif militaire. Mais, la lutte contre la piraterie maritime relève des opérations de police en mer - le projet de loi sur la piraterie modifie à ce titre le Code de la Défense, se conformant ainsi à la Convention de Montego Bay*, qui qualifie ces opérations d’opérations de police. Cette qualification s’explique par le fait que la piraterie est un crime, et ne relève donc pas d’une opération de guerre. Le droit applicable est alors différent, puisque les pirates ne sont pas des combattants.

Que contient ce texte ?

La Convention de Montego Bay est la seule convention internationale évoquant la piraterie maritime. Elle comporte une obligation pour les Etats parties de lutter contre la piraterie et permet à tout Etat d’intervenir « en haute mer » ou « dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat » face à un acte de piraterie. C’est la résolution 1816 du Conseil de sécurité de l'Onu qui a autorisé les Etats à pénétrer dans les "dans les eaux territoriales de la Somalie » et «à utiliser (...) tous moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée (...) », en raison de la situation politique somalienne. Mais cette convention reconnaît surtout, la compétence universelle dans ce domaine. C’est ce qui permet à un Etat de juger tout auteur de l’infraction dans ses tribunaux, à la condition que son droit interne contienne une incrimination de piraterie.

Où en est-on au niveau du droit français ?

En France, l’infraction de piraterie a été inscrite au début du 19ème siècle, dans une loi de 1825 abrogée en 2007. Les opérations françaises concernant le Ponant, le Tanit et le Carré d’As ont été menées dans un cadre national non au titre de la piraterie mais bien au titre de la libération d’otages ressortissants français.

La France doit donc s’armer en droit interne. C’est là tout l’enjeu de l’actuel projet de loi sur la piraterie qui a été adopté au Sénat le 6 mai et qui doit maintenant être examiné à l’Assemblée Nationale. Si le texte est voté, il y a aura de nouveau, dans le droit pénal français une infraction de piraterie. La future loi devrait habiliter les juridictions nationales à juger les pirates capturés par des bâtiments français et permettrait de clarifier les pouvoirs des commandants de bâtiments ainsi que les conditions de détention à bord. En effet, dans l’arrêt Medvedyev de juillet 2008, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné la France pour avoir laissé une autorité judiciaire ne présentant pas les garanties d’indépendance prendre des mesures privatives de liberté sur un de ses bâtiments.

Actuellement, que se passe-t-il lorsque la Marine Nationale appréhende des pirates ?

La France comme bon nombre de pays européens remet ses prisonniers au Kenya ou aux Seychelles. A l’heure actuelle, leurs tribunaux et prisons sont saturés.

Ceci a conduit le Kenya à vouloir remettre en cause les accords passés avec l’Union européenne, voire à les dénoncer, craignant que les prisonniers n’attirent la mafia somalienne de la piraterie. En outre, selon lui, l’UE n’apporte pas suffisamment d’aide matérielle et financière dans le cadre de cette coopération. Depuis, l’Onu est venue renforcer l’aide juridictionnelle par des contributions financières importantes et l’inauguration le 24 juin d’un tribunal au Kenya. En outre, les discussions se poursuivent entre l’UE et d’autres Etats de la région, ceux qui offrent des garanties procédurales correspondant aux standards de protection des droits et libertés dans nos Etats, discussions auxquelles participe aussi activement l’Onu.

Quelles solutions peut-on envisager ?

Le Secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon a présenté fin août, aux membres du Conseil de sécurité, sept options pour traduire les pirates en justice. Les avis divergent. Certains préfèrent un règlement au niveau régional, d’autres optent pour une cour régionale et enfin certains évoquent l’idée d’une juridiction internationale.

La communauté internationale est-elle décidée à mettre en place de nouveaux mécanismes juridiques ?

L’investissement de l’ONU dans la région et la forte mobilisation des Etats, avec la présence de navires aussi bien chinois, russes, indiens, coréens, américains, etc., permettent de mesurer l’ampleur de l’engagement dans la lutte contre la piraterie. L’institutionnalisation d’un expert juridique pour la piraterie auprès du Secrétaire général de l’ONU, en la personne de Jack Lang, officialise davantage l’investissement des Nations unies pour tenter de résoudre ce problème dont on dit que la solution est à terre.

* : Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Adoptée en 1982, elle n’entre en vigueur qu’en 1994. La France l’a ratifiée en 1996.


Sources : Ministère des Armées