Les premières descriptions scientifiques des traumatismes psychiques datent de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Mais déjà les sociétés archaïques avaient compris que les guerriers ne souffraient pas seulement dans leur chair.
Dans les sociétés archaïques et dans l’Antiquité occidentale, les guerriers de retour dans leur pays n’étaient jamais considérés comme des hommes ordinaires. Fêtés comme des héros, ils étaient aussi considérés peu ou prou comme impurs. Ces sociétés anciennes avaient compris qu’un homme, qui a connu le chaos ultime du combat et versé le sang, même pour une cause noble et juste, était « passé dans un autre monde » et qu’il était devenu inapte à la vie « normale ». Il devait être purifié à travers une série d’épreuves initiatiques et sacrées avant de pouvoir être réintégré dans le groupe. De tels phénomènes observés par les ethnologues et les anthropologues, sont rapportés dans le vieux récit grec de L’Iliade.
Ces rites cessèrent peu à peu et, au moment de la grande révolution militaire des temps modernes (XVe-XVIIIe siècle), ils avaient entièrement disparu, au moins en Occident. Or, les nouveaux armements (en particulier les armes à feu) et les nouvelles formes des guerres engendrèrent d'autres traumatismes. Des problème sociaux surgirent, ne serait-ce que ceux liés à la taille des armées, qui avait alors augmenté dans des proportions considérables. On commença donc par apporter des réponses aux problèmes médicaux et surtout sociaux des anciens soldats, qui formaient de dangereuses bandes de délinquants lorsqu’ils étaient démobilisés. C’est pour ces raisons que Louis XIV créa l’Hôtel des Invalides, à Paris, et que des institutions semblables virent alors le jour un peu partout en Europe.
Les séquelles de la guerre industrielle
Restait la question « spirituelle », que l’on ne qualifiait pas encore de psychiatrique, et qui commença à se poser de façon toujours plus aiguë à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire avec le développement de la guerre industrielle et mécanisée. Car les nouvelles puissances de feu qui se déchaînèrent alors sur les champs de bataille créèrent des traumatismes psychiques tout autant que physiques.
Les premières descriptions scientifiques de ces phénomènes furent le fait des médecins militaires russes, durant la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Pendant la Première Guerre mondiale et ses déluges de projectiles d’artillerie, les médecins militaires britanniques élaborèrent le concept de Shell Shock, que l’on ne peut que rendre maladroitement en français par « choc psychique du à l’explosion proche d’un obus ». Mais nombre d’autorités militaires restaient encore réticentes à accepter de reconnaître cette réalité et refusaient de croire qu’un soldat ne présentant pas de lésions physiques soit autre chose qu’un simulateur et un lâche.
Violence reçue, violence donnée
Pourtant, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’armée américaine lança un vaste programme de recherche scientifique fondé sur l’analyse systématique des pertes psychiatriques, enregistrées par les forces des États-Unis durant ce conflit. La véritable psychiatrie militaire devint une discipline médicale à part entière, dont l’importance ne cessa de croître. Notons au passage que l’on préfère aujourd’hui les concepts de PTSD (Post Traumatic Stress Disease) et de Battle Fatigue plutôt que de Shell Shock, car ils prennent en compte non seulement la violence reçue, mais également la violence donnée. Toujours est-il que la reconnaissance de ces phénomènes mentaux par les autorités peut être considéré comme la suite logique de la reconnaissance des problèmes sociaux des anciens soldats.
À leur façon, la psychiatrie et la psychanalyse modernes assurent la fonction autrefois dévolue aux rites archaïques de purification des anciens guerriers.
Laurent Henninger, chargé d'études à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole Militaire
Article paru dans le numéro 316 d'Armée d'Aujourd'hui
Sources : Ministère des Armées