124 noms ! Nous venons de les entendre un par un. 124 personnes : hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards… 124 destinées brisées par la barbarie nazie. Si ces noms sont sortis de l’oubli, nous vous le devons, mesdames, messieurs, les rescapés du massacre de Maillé. C’est votre parole qui a fait émerger le village-martyr de l’oubli mémoriel. Ainsi, monsieur Serge MARTIN, vous nous avez fait prendre conscience de la tragédie de Maillé
Si nous sommes réunis aujourd’hui à vos côtés pour cette commémoration, si tant d’autorités sont au rendez-vous sur cette belle terre de Touraine, c’est parce que le village martyr de Maillé est un lieu de la mémoire nationale.
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Madame la préfète d’Indre-et-Loire,
Monsieur le maire de Maillé,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les élus,
Monsieur le représentant du DMD, général,
Madame la directrice départementale de l’ONAC-VG,
Mesdames, messieurs les membres d’associations mémorielles et du monde combattant,
Chers porte-drapeaux
Mesdames, messieurs,
Depuis 75 ans, un deuil immense habite ce lieu. Certes, les cendres sont retombées et se sont dispersées. Certes, les ruines ne sont plus. Le village a été rebâti, la vie a repris ses droits depuis longtemps.
75 années ont passé depuis le 25 août 1944, deux ou trois générations se sont succédées. Mais, désormais, rien ne pourra effacer cette journée de la mémoire collective. Rien ne pourra effacer que, ce jour, Maillé a été outragée, brisée et martyrisée. Ici, l’humanité a cheminé au bord du néant.
Au nom du Gouvernement de la République française, je suis venue adresser l’affection de toute une Nation à un village martyr, à ses morts et à ses rescapés. Je suis venue vous dire que tout ce qui fait l’âme de la France s’insurge contre ce qui s’est passé ici.
L’abject et l’indicible ! Un crime contre l’homme qui fut prémédité et délibéré. Voilà ce que fut Maillé !
Les innocents dévorés par la terreur, les anonymes de la guerre pris par surprise et assassinés avec méthode. Voilà ce que fut Maillé !
Une ignominie ! Une sauvagerie à cent visages. Un déchaînement sans limite et sans pitié. Voilà ce que fut Maillé !
Mais je ne veux pas oublier que Maillé c’est aussi la renaissance après l’horreur. C’est la reconstruction d’un village et d’une communauté humaine. C’est la vie qui reprend ses droits et qui finalement triomphe toujours. Ce sont les survivants qui se tournent vers l’avenir.
Maillé était un village paisible, d’une soixantaine de maisons. Son église, son café, un village comme il y en a des dizaines en Touraine. Certes, c’est la guerre. Certes, des axes de communication importants le traversent.
Alors, qu’en ce mois d’août 1944, depuis les rives de la Normandie et de la Provence, le flot de la liberté recouvre peu à peu la France, les actes de Résistance se font plus marqués.
Alors que les cloches de la Libération sonnent à Paris, que la 2ème DB de LERCLERC entre dans la Ville-Lumière, que le drapeau français reprend ses droits dans la capitale, que la joie fait chavirer nombre de Français, c’est la barbarie qui frappe à la porte de Maillé. C’est la déshumanisation qui s’empare du village.
Sous prétexte d’opérations de représailles suite à des actions de résistance, les troupes allemandes et SS vont commettre une hécatombe et faire subir un calvaire à Maillé.
Ferme après ferme, maison après maison, porte après porte, pièce après pièce, dans les caves comme dans les rues, les bourreaux traquent les habitants et font couler le sang. Rien n’échappe à leur folie criminelle. Rien n’échappe à l’envie de mort, pas même le bétail, pas même les animaux. « Tout ce qu’ils voyaient vivant, était mort ».
Ils exécutent, fusillent, abattent. Souvent les yeux dans les yeux, souvent en face à face. Ils pillent et incendient. La meute des assassins s’applique dans sa sauvagerie radicale avec froideur, méthode et acharnement.
Un bébé est abattu dans son berceau, des enfants meurent dans les bras de leurs parents, des enfants seuls succombent loin de leurs parents, des mères sont achevées devant leurs enfants. Des familles entières disparaissent. Des fratries sont emportées. 13 membres de la famille GUILLON sont ainsi assassinés. Vos parents, vos frères et vos sœurs trouvent la mort, cher Monsieur MARTIN. Votre grand-mère, votre mère et votre sœur, Madame CREUZON. L’effroi ne peut qu’être absolu devant l’incompréhensible.
Mais le travail des colonnes infernales n’est pas achevé. Dans l’après-midi, un déluge de feu s’abat sur le village. Près de 80 obus tombent sur les maisons encore debout.
C’est un village tout entier que l’on a cherché à anéantir, c’est une collectivité humaine que l’on a cherché à exterminer.
Maillé est une blessure, une blessure non-cicatrisée.
Le massacre de Maillé s’inscrit dans la longue liste des massacres et crimes commis par les hommes dans l’Histoire et notamment durant la Seconde Guerre mondiale. En France, c’est le deuxième par son importance, après Oradour-sur-Glane.
Sa date, le même jour que la Libération de Paris qui est devenue le symbole de la reconquête du territoire national ; la reconstruction du village en lieu et place des ruines ont dilué la mémoire du massacre.
Alors qu’Oradour est devenu le symbole de l’innocence abattue et de tous les massacres civils en France ; ici, l’oubli avait fait son œuvre. Il en résulte un sentiment d’abandon parfaitement compréhensible. Ce fut une injustice. Le Président de la République, Nicolas SARKOZY, l’a reconnu en 2008, ici même.
Le massacre de Maillé ne peut et ne doit pas être oublié. Il ne peut y avoir d’ignorance. Aucun des massacres de civils dans ces années terribles ne doit l’être. Et je veux penser ici à Vassieux-en-Vercors, Argenton-sur-Creuse, Tulle, Bagnères-de-Bigorre, Dun-les-Places, Buchères dans l’Aube ou encore Ascq dans le Nord.
Jamais, chers rescapés, nous ne laisserons ce crime sombrer dans l’oubli. La France s’est engagée à porter le souvenir de ce martyr et à le transmettre aux jeunes générations. Toujours, les jeunes doivent découvrir le sort des innocents. Inlassablement, la mémoire doit être transmise. C’était aussi le sens du message de Jean-Michel BLANQUER l’année dernière.
Continuellement, nous appellerons les jeunes générations au respect de la dignité humaine et à la nécessité de bâtir un monde toujours meilleur. C’est en se souvenant de ces évènements, que chacun doit comprendre que le fanatisme et le totalitarisme ne mènent à rien, qu’ils n’engendrent que le pire, qu’ils n’enfantent que la destruction et la haine. C’est en se souvenant de ces évènements, que chacun doit voir le cortège de souffrances qui accompagne la guerre et la barbarie.
C’est la promesse de la Nation. C’est l’engagement de la France.
La mémoire de Maillé est vivante. Elle l’est par l’association « Pour le Souvenir de Maillé ». Elle l’est aussi par « La Maison du Souvenir de Maillé » qui, depuis 13 ans, est un lieu d’accueil, de transmission, d’éducation, d’exposition et de recherche.
Je veux saluer toutes les équipes qui y œuvrent notamment auprès des nombreux scolaires.
Le ministère des Armées continuera à soutenir vos expositions et vos initiatives, notamment à travers le « réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains ».
Pour achever mon propos, je souhaite saluer le travail qui est accompli autour de l’amitié franco-allemande. Cette amitié est un bien précieux. Maillé le sait particulièrement, Maillé le sait dans sa chair.
Alors que pendant 75 ans, entre 1870 et 1945, nos pays se sont déchirés ; depuis 75 ans, nous sommes en paix. Et au lieu de détruire nous avons construit !
Vive la République !
Vive la France !