Article du général de brigade Pierre Chavancy, commandant la Task Force La Fayette en Afghanistan, paru dans La Croix le 15 juillet 2010.
Le 6 juillet, le sergent-chef Laurent MOSIC est mort au combat. Il est le 45e soldat français à tomber en Afghanistan, le 1904e de la coalition depuis le début de l’engagement des forces internationales en 2001.
Depuis Nijrab où je commande la brigade La Fayette, les moyens modernes de télécommunication me permettent chaque jour de constater la perplexité des opinions publiques occidentales frappées par les pertes douloureuses de nos camarades, mais aussi les critiques parfois taillées à l’emporte-pièces des « experts » de tous horizons, comme la remise en cause définitive de stratégies à peine leur mise en œuvre débutée.
Je connais les vertus du questionnement permanent, car l’ascèse rigoureuse du doute guide notre quotidien pour planifier et conduire des opérations difficiles, dans lesquelles aucune certitude n’a sa place. Pour autant, je suis frappé du décalage entre la situation décrite et la situation réelle.
La situation aujourd’hui en Afghanistan est bien sûr contrastée suivant les provinces. La corruption doit être combattue, l’administration locale est encore balbutiante. Mais il y a des progrès tangibles, indéniables, qui provoquent, en réaction, la violence redoublée des insurgés.
Il y a deux ans, lorsque la France a pris le commandement de la région de Kaboul, beaucoup prétendaient que jamais les forces afghanes ne seraient capables de nous succéder efficacement. 5 mois plus tard, l’armée et la police nationales assuraient la sécurité de leur capitale et de ses 3 millions d’habitants – nos forces se positionnant alors en soutien. Kaboul est une première étape encourageante. Les attentats terroristes spectaculaires commis récemment ne démentent pas cette réussite car à chaque fois ce sont les forces afghanes qui réagissent en première ligne avec efficacité.
Il y a deux ans, lorsque nous avons perdu au combat 10 camarades dans la vallée d’Uzbeen en Surobi, beaucoup rappelaient alors que les Soviétiques aussi y avaient perdu de nombreux soldats. Jamais nous ne pourrions nous y établir prédisait-on. Pourtant, 8 mois plus tard, une opération conjointe de l’armée nationale et d’un bataillon français permettait la construction d’un poste avancé au cœur de cette même vallée. Plus important encore, aujourd’hui, la population nous soutient et nous fournit des renseignements sur les caches d’armes et de munitions, parfois nous les remet en mains propres.
Il y a deux ans, lorsque nous avons déployé un bataillon dans la province de Kapisa, beaucoup annonçaient que jamais nous ne pourrions circuler librement dans ce sanctuaire taliban et que nous y perdrions 3 soldats par semaine. 20 mois plus tard, 6 postes ont été construits sur l’axe principal traversant la Kapisa et la Surobi, permettant ainsi aux forces afghanes et françaises d’assurer une présence permanente le long de la vallée de Tagab et aux civils afghans d’y circuler. Résultat visible de cette avancée, les marchés locaux sont à nouveau achalandés, réduisant la misère et l’enclavement des esprits.
C’est un travail de longue haleine, mais nous observons sur le terrain les progrès accomplis. Nous les mesurons par exemple à l’augmentation de la fréquentation des shura (rassemblements des Anciens et des chefs traditionnels) avec les représentants de l’autorité afghane, parfois, alors même que les insurgés tentent le coup de feu à proximité. Un soutien à nos actions que l’on mesure également au nombre croissant d’Afghans qui se présentent à nous pour indiquer où se trouvent des engins explosifs, les trop meurtriers IED. Un tiers de ceux qui ont été neutralisés cette année l’ont été grâce aux informations transmises par la population. Un soutien que l’on constate lorsque de nombreux jeunes Afghans de Kapisa et de Surobi appellent les radios mises en place, tout simplement pour nous dire Tashakeur - merci.
Il y a huit ans l’armée et la police afghanes n’existaient pas. Certains, de manière lapidaire, les jugent aujourd’hui inefficaces. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas la réalité que je vois en Kapisa et en Surobi. Tous les jours, les soldats de la brigade La Fayette conduisent des opérations avec elles. Tous les jours je mesure leurs progrès. Ils comblent leurs lacunes avec constance : planification, logistique, manœuvre… Je veux témoigner de leur détermination à prendre en main la sécurité de leur pays. La crise qui le ravage est d’abord la leur.
Bien sûr, ces avancées ne sont pas toujours spectaculaires et sont contestées par les insurgés. Ces derniers ont accru leur pression sur les habitants et multiplié les actions de harcèlement contre les forces afghanes et les nôtres. Depuis plusieurs mois, ils tentent de préserver leur influence sur la population de Kapisa et de Surobi en employant tous les moyens, y compris les plus misérables. Ce regain de violence illustre que la situation reste précaire mais aussi, paradoxalement, que nous progressons.
La question aujourd’hui est de savoir si la population afghane va se résigner à nouveau à subir le joug des chefs de guerre et des trafiquants en tout genre, ou bien choisir de s’en libérer, avec notre aide. Il est encore trop tôt pour dire de quel côté elle va définitivement basculer. Nous pouvons espérer, d’ici un an, courant 2011, une évolution plus manifeste dans notre zone en Kapisa et Surobi, sous les effets conjugués de nos opérations militaires, de nos projets de développement et de l’aide à la gouvernance que nous mettons en place.
Aux côtés de leurs camarades afghans, nos soldats font preuve chaque jour de la détermination, de la résistance, de la clairvoyance et du sang froid indispensables à la conduite de cette mission au long cours. Quand il le faut, ils combattent avec compétence et opiniâtreté. Quand il le faut, ils agissent avec générosité et retenue. Leur capacité d’adaptation est remarquable.
A nous, leurs chefs, qui partageons avec eux chaque jour, les risques propres aux opérations militaires, les satisfactions devant les manifestations de reconnaissance, et la volonté farouche de maitriser l’emploi de la force, il appartient de témoigner de la valeur exemplaire de nos soldats, de vos soldats, et de leur ténacité dans la conduite des opérations.
Sources : EMA
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