Accueil | Opérations | Missions réalisées | Monde | Opération Pamir (2001-2014) | Actualités | 12/03/09 - Afghanistan : 6 mois en Kapisa - Interview du colonel Aragones Opérations ... Actualités | 12/03/09 - Afghanistan : 6 mois en Kapisa - Interview du colonel Aragones

12/03/09 - Afghanistan : 6 mois en Kapisa - Interview du colonel Aragones

Mise à jour  : 28/06/2010

Jeudi 5 mars 2009, le colonel Jacques Aragones, chef de corps du 8ème RPIMa, qui a commandé le GTIA Kapisa de juillet à novembre 2008, a rencontré la presse. L'occasion de faire le bilan du premier mandat du GTIA Kapisa.

TEMOIGNAGE DU COLONEL ARAGONES

____________________

J'ai commandé le premier mandat du GTIA Kapisa, et je vais vous présenter un rapide bilan de notre action, deux mois et demi après mon retour.

" La Kapisa, une province agricole (…) peuplée au nord de Tadjiks et au sud de Pashtouns "

La province de la Kapisa, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'elle a la forme de l'Afrique, à peu près 60 kilomètres sur 60, environ 1 900 à 2 000 km², peuplée d'environ 300 à 350 000 habitants. L'action du GTIA se concentre dans la partie sud-est de la province où se trouve une vallée centrale, la vallée de Tagab sur laquelle débouche un système de vallées disposées en éventail. Les vallées perpendiculaires sont cerclées par des grands sommets qui atteignent plus de 4 000 mètres d'altitude. La province de la Kapisa est une région agricole. On y cultive essentiellement des fruits, des légumes, des oignons, la grenade etc. C'est une région également de passage avec la route de Djalalabad dans l'Est de l'Afghanistan qui rejoint Kaboul, et l'axe qui monte vers le Nord, et vers le Salang. La province de la Kapisa est une région peuplée essentiellement de Tadjiks au nord puisqu'elle est frontalière avec la vallée du Panshir, celle du commandant Massoud, et elle est peuplée de Pachtouns dans sa partie sud.

Je suis arrivé avec les premiers hommes du groupement tactique interarmes à la fin du mois de juin. Les opérations de relève se sont achevées à la fin du mois de juillet avec un peu moins de 650 hommes. Nous étions en mesure de remplir la totalité de nos missions avec l'ensemble des relèves effectuées et les capacités mises en place sur deux bases avancées début août. A nos côtés se trouvaient donc également un kandak de l'armée afghane, environ 250 hommes, et un détachement de liaison américain. En fait, si on compare aux dispositifs précédents des forces de la FIAS dans la province, on voit que le dispositif s'est étoffé dans la province : nous avons relevé 250 soldats américains en Kapisa, et en remontant encore un an en arrière, ils étaient une douzaine. Les OMLT françaises avaient également travaillé en Kapisa fin 2006 et début 2007 en encadrant sur cette zone des bataillons afghans dans lesquels ils étaient insérés durant l'hiver et le printemps.

La Kapisa est à environ trois heures de route de Kaboul par piste, à quelques minutes de vol de Bagram, la base américaine où se trouve l'état-major de l'Otan du commandement régional Est dont je dépendais. Dans ce commandement régional Est, opèrent des forces essentiellement américaines, mais également une brigade polonaise, quelques unités roumaines, et bien sûr des Français.

" reprendre l'initiative sur le terrain, produire de la sécurité, développer l'implication de la population "

Notre idée de manoeuvre au départ reposait sur un dispositif de réaction en chaîne. D'abord reprendre l'initiative sur le terrain, ensuite produire de la sécurité. Enfin mettre en place des actions de développement par des acteurs spécialisés en vue de développer l'implication de la population à leur environnement sécuritaire. Nous avons réussi, pendant les six mois de notre déploiement en Kapisa à prendre l'initiative de l'action aux insurgés. C'est une zone où la présence insurgés était avérée, et nous avons occupé le terrain jour après jour, vallée après vallée de sorte à réduire les capacités de déplacement, de regroupement des insurgés et donc leur liberté d'action dans la province de la Kapisa. De sorte aussi à limiter leur capacité à initier un contact avec nos troupes ou avec les troupes afghanes, et enfin bien sûr à réduire leur capacité de nuisance auprès de la population. De cette façon nous avons pu atteindre au fil des mois un point d'initiative tactique où ce sont nos actions qui généraient des accrochages avec l'ennemi, et plus seulement l'ennemi qui venait au contact.

La stabilisation et l'amélioration des conditions sécuritaire sur le terrain ont permis ensuite à la PRT (provincial reconstruction team) américaine, de pouvoir investir plus largement dans des programmes de développement et en particulier, pour l'année en cours, la réalisation d'un axe routier principal, asphalté, qui traversera la province du sud vers le nord, depuis le lac de Surobi jusqu'à Mamoud Raki, la capitale provinciale. Comme je vous l'ai dit, la Kapisa est une région agricole. La construction d'un axe routier solide permettra de désenclaver la région, de mettre en place de nouveaux postes de sécurité pour la police, pour l'armée afghane, et donc de développer le commerce et la circulation de la production agricole de la région. Cette route, dont les travaux ont déjà débuté, représente un investissement total de 24 millions de dollars. La PRT qui opère en Kapisa a déjà investi des sommes à peu près équivalentes au cours de l'année 2008 dans une trentaine de projets très variés, depuis la construction d'écoles, de centres municipaux, de bassins de rétention d'eau et l'amélioration de pistes et de routes.

Pour permettre ces actions, mon principal objectif était de produire de la sécurité. Pour cela, nous avons conduit nos actions selon trois axes.

- Le premier axe, ce sont des patrouilles quotidiennes, plus de 400 conduites en 6 mois. Ces patrouilles nous permettaient d'évoluer et de mesurer l'amélioration de la sécurité mais aussi de rester en contact direct avec la population, d'évaluer aussi leurs besoins sur le plan tant sécuritaire que civil.

- Deuxième axe, nous avons mené des opérations de grande ampleur. Toujours conjointes avec l'ANA et l'ANP, en engageant soit une, soit les deux unités de combat du GTIA, avec le soutien aérien de la coalition, et parfois aussi la participation des forces spéciales de la FIAS qui, dans notre zone, étaient américano-roumaines. Ces opérations visaient à déployer un dispositif plus important, à entrer en profondeur dans les vallées de façon à repousser graduellement les insurgés vers les fonds des vallées.

- Enfin le troisième axe était le soutien direct à la population. En plus des opérations de contrôle et de présence, le GTIA a conduit un nombre important d'actions dites civilo-militaires auprès de la population. Il ne s'agissait pas pour nous de conduire des actions humanitaires, car ce n'est ni notre rôle ni notre vocation. Il s'agissait de mettre en place de petits projets répondant aux besoins directs de la population. En particulier, nous avons pu mettre en place un éclairage urbain au marché à proximité de notre base avancée la plus au nord. Ce projet a été conduit avec le soutien des mairies du Tarn et des Castrais, le coeur du bataillon venant de Castres. Nous avons aussi distribué des kits scolaires, du matériel de première urgence pour des familles en difficulté, comme des vêtements chauds à l'approche de l'hiver. Nous avons aussi ouvert des consultations médicales au profit de la population, en liaison avec les dispensaires afghans de la province : en 6 mois, nous avons soigné 700 adultes, 400 enfants, soit sur nos bases, soit en se déplaçant directement dans les villages. Au total 107 Afghans dont le pronostic vital était engagé, ont été évacués d'urgence vers des installations hospitalières où ils ont pu être soignés.

Grâce à l'ensemble de ces actions, nous avons pu montrer à la population, patiemment, jour après jour, que nous étions bien au service de leur pays, au service des Afghans et donc à leur côté. Au fil des mois, et tout particulièrement sur les deux derniers mois, à partir de la mi-octobre, nous avons pu constater une évolution significative du comportement des populations présentes en Kapisa. Le soutien direct des civils afghans s'est développé avec le temps. Il s'est souvent traduit par des échanges directs, voire même par la fourniture d'informations sur les actions des insurgés, sur leurs méthodes etc. Grâce à ces renseignements nous avons pu mieux cibler nos actions.

La coordination de l'ensemble de ces actions avec le soutien de la population a porté ses fruits. Nous avons pu constater un recul des insurgés, un recul par rapport à l'axe central et un recul dans le fond des vallées. Nos successeurs, le GTIA deuxième mandat, principalement armé par le 27ème BCA, ont pu confirmer cette évaluation ponctuellement. Cela n'exclut pas bien sûr que les insurgés cherchent à reprendre pied sur l'axe principal et la vallée centrale.

" Nous n'avons pas un ennemi en Kapisa, mais plusieurs . (…) Ils ont deux cibles : nous-mêmes et les Afghans qui coopèrent avec nous ou aux projets de développement "

Qui sont nos ennemis en Kapisa ? En fait nous n'avons pas un ennemi en Kapisa, mais plusieurs. Les insurgés se présentent un peu comme un millefeuille.

A la base on trouve des intermittents, des gens qui rejoignent un groupe de combattants ou un autre, motivés souvent par quelques billets, particulièrement pendant les périodes creuses où l'activité agricole est moins importante.

Ensuite en deuxième niveau on trouve des trafiquants en tous genres, notamment des trafiquants de drogue, car la région est une zone de transit. Les réseaux organisés autour de cette activité génèrent forcément une insécurité criminelle. Les trafiquants sont des opportunistes de l'insécurité, ils cherchent à défendre leur territoire comme des gangs, parfois en s'alliant entre eux contre les forces de sécurité afghanes, parfois en s'affrontant les uns les autres.

Enfin le dernier niveau, les groupes de combattants les plus déterminés. Eux-mêmes sont divisés en trois sous-groupes essentiels. Les combattants du HiG, le réseau d'Hekmatyar, idéologiquement proches d'Al-Qaïda et rivaux de longue date des Talibans. Ensuite les Talibans eux-mêmes, souvent appelés étrangers en Kapisa, lorsqu'ils viennent d'une autre province, voisine ou même du sud. Et enfin de véritables étrangers, qui ne sont pas donc des Afghans, et qui sont liés au terrorisme international.

Ils ont deux cibles : nous-mêmes, les soldats du GTIA Kapisa qu'ils tentent de toucher pour montrer leur puissance, pour prouver à la population qu'ils sont capables de mener des actions contre nous et, en même temps, les Afghans qui coopèrent avec nous ou simplement dans des projets de développements de la PRT. Ces Afghans sont menacés, parfois exécutés ou utilisés comme des boucliers humains lors d'accrochages.

" mes hommes, mes soldats, ont assuré leur mission avec enthousiasme. Ils l'ont conduite de bout en bout toujours avec la même rigueur, malgré les accrochages, malgré des blessés, malgré aussi nos morts dans la vallée voisine d'Uzbeen "

Pour conclure sur ces 6 mois de travail, je peux vous dire que je suis particulièrement fier de l'action qui a été menée par mes hommes, parce que la mise en place de ce GTIA français en Kapisa était une expérience unique. Et nous avons pu la vivre ensemble. Il a fallu ouvrir cette zone, parce que même si nous avons succédé, comme je vous l'ai dit, aux unités américaines dans cette province, nous leur avons succédé avec des moyens beaucoup plus importants et donc des capacités d'action beaucoup plus larges. Nous étions plus de 600 militaires français, plus l'armée afghane et les forces spéciales, au total plus de 800 soldats de la coalition déployés dans la province. Il fallait donc mettre en place une nouvelle stratégie de façon à apporter la sécurité. Nous avons vécu cette mission comme une ouverture de théâtre, c'est-à-dire dans des conditions souvent rustiques, certains d'entre vous ont pu le mesurer d'ailleurs. Nous avons opéré dans des températures extrêmes. Ils ont, mes hommes, mes soldats, assuré leur mission avec enthousiasme. Ils l'ont conduite de bout en bout toujours avec la même rigueur, malgré les accrochages, malgré des blessés, malgré aussi nos morts dans la vallée voisine d'Uzbeen.

En 6 mois, nous avons eu une cinquantaine d'accrochages, soit environ un par semaine et par section. J'ai eu 15 blessés sous mes ordres, dont quatre ont été rapatriés en France. Nous n'avons eu aucun mort à déplorer dans la province, mais 8 hommes de mon régiment, qui étaient présents au sein du bataillon français de Kaboul, sont tombés en Uzbeen et 11 autres ont été blessés. L'opération du 18 août en vallée d'Uzbeen nous a rappelé que nous ne sommes pas immortels. Notre mission en Afghanistan, et en particulier en Kapisa, nous qui étions leurs voisins, nous a endurci. Elle nous a apporté aussi beaucoup d'humilité, parce que la remise en cause sur ce genre de théâtre, face à cet adversaire, doit être permanente.

Voilà. Je tiens tout particulièrement à saluer le courage de mes hommes. Ils n'étaient pas tous du 8ème RPIMa, vous l'avez bien compris. J'en avais aussi du 1er REC, du 17ème RGP de Montauban, et du 35ème RAP de Tarbes, sans oublier les unités insérées à ma force, en particulier le service de santé, les actions civilo-militaires et tous les individuels qui étaient présents au sein de ce bataillon. Voilà pourquoi l'histoire de ce premier GTIA, de ce premier mandat en Kapisa, n'est pas l'histoire d'un seul régiment mais bien celle de la synergie des unités de l'armée française en opération.

Je voulais profiter de l'occasion d'aujourd'hui pour saluer nos familles, celles de tous les gens qui étaient déployés parce que, depuis la France, ils nous ont soutenus tout au long de cette mission. Et quand on est déployé à 8 000 kilomètres de chez soi, je peux vous dire que le moral de la base arrière, le moral de la famille, est aussi essentiel que le nôtre parce qu'ils sont tous les deux intimement liés.

Pour conclure, j'ai une pensée particulière pour les familles de mes camarades qui sont tombés au combat, pour les familles de mes blessés, et j'espère, je formule le voeu que le sacrifice, le courage de mes hommes soit utile aux les Afghans, qu'il leur permette de retrouver un jour la paix parce qu'après 30 ans de guerre, je peux vous certifier qu'ils y aspirent tous. Et qu'il soit utile aussi pour nos concitoyens au nom desquels nous nous sommes battus là-bas, pour que cette région du monde ne redevienne pas un foyer du terrorisme international. Je suis un optimiste, j'ai confiance pour que ce voeu se réalise.

QUESTIONS-REPONSES

____________________

Question : Merci mon Colonel pour ce témoignage précis et émouvant. Vous n'avez pas précisé quelles étaient les relations hiérarchiques, opérationnelles avec les Américains ? Notamment avec l'état-major qui coordonnait je pense vos actions.

Le commandement régional Est est toujours assuré par un général américain. J'étais placé sous les ordres du général Schloesser, qui commande aux Etats-Unis la 101ème division aéroportée, celle du débarquement en Normandie, et ensuite sous les ordre du commandant de la brigade américaine qui était chargée en particulier de la protection de la base de Bagram et aussi de la région de la Kapisa, mais également de la Kuh-e-Sufi, le mouvement de terrain qui nous sépare la Kapisa de Kaboul.

Question : Avez-vous disposé des capacités suffisantes à votre mission ?

Les capacités dont je ne disposais pas en propre étaient fournies par l'OTAN. Dans le cadre des opérations de l'OTAN, nous mettions en place une stratégie pour notre zone, déterminions comment nous voulions agir ensuite, j'élaborais mes ordres et les présentais à mon échelon supérieur. Le commandement de la brigade validait les propositions et me fournissaient les appuis que je demandais. On a évoqué l'appui aérien, mais il y avait également l'appui hélicoptères, éventuellement les forces spéciales, toutes les capacités concourantes pour l'exécution de la mission.

Question : Mon colonel, vous avez parlé de ce qui a marché. Pouvez nous dire ce qui n'a pas marché, ou ce qui aurait pu marcher mieux et peut-être les demandes ou les remarques ou les souhaits que vous avez exprimés au plan essentiellement opérationnel et de l'organisation ? Ce que vous avez souhaité voir améliorer pour vos successeurs ?

En fait, avant le départ, on avait déjà bien travaillé sur le déploiement de ce bataillon, sur les conditions de son engagement et sa composition. Il y avait donc un gros effort de préparation, pour lequel nous nous sommes appuyés sur le processus du retour d'expérience. Celui des OMLT, celui de la mission Arès conduite par les forces spéciales. Si j'avais à reconduire une préparation aujourd'hui pour une relève, je referai exactement la même chose. Je n'y changerai pas un iota. Je ne veux pas dire que l'on a eu que des succès, mais nous avions bien ciblé nos besoins et finalement, au terme de ces 6 mois, lorsqu'il s'est agi de passer le manche à mon successeur, le colonel Le Nen, je lui ai livré le même dossier que nous avions utilisé parce qu'il me semblait totalement cohérent. Alors bien évidemment le RETEX est un processus permanent. Aussi, lorsque le colonel Le Nen reviendra, dans quatre mois et demi maintenant, il ne dira pas nécessairement que tout ce que je lui ai dit est encore valide. C'est dans ce cycle permanent que l'on inscrit notre préparation, de sorte à toujours être dans l'amélioration.

Question : Dans votre travail avec les Américains, est-ce qu'il y avait un réel partage du renseignement ? Quelles sont les formes de ce partage, et quelles sont les limites que vous avez pu observer ?

Dans le fonctionnement de mon bataillon, j'intégrais un détachement de liaison américain, initialement armé par 8 hommes. Son effectif a augmenté au fur et à mesure pour atteindre une vingtaine d'hommes répartis sur nos 2 bases.

Ce qu'il faut bien voir, c'est que dans ce type d'action du niveau du groupement tactique interarmes, le renseignement est essentiellement apporté par mes unités au contact du terrain. Bien sûr, il est complété, recoupé avec d'autres éléments qu'on peut acquérir par exemple avec des drones. Dans le processus de génération d'ordres que j'ai décrit tout à l'heure, si j'ai besoin d'un drone, j'en fais la demande à l'état-major de la brigade. Et je n'ai pas d'exemple où on me l'ait refusé. Le niveau de renseignement que je demandais à mon échelon supérieur est celui du renseignement tactique, bien souvent uniquement destiné à confirmer ce que moi je savais déjà. De mon côté, je faisais remonter le renseignement que nous avions acquis.

Question : Dans le cas où les Américains faisaient des opérations avec leurs forces spéciales pour intervenir sur un chef taliban qu'ils avaient repéré, ces opérations vous n'étiez pas sensé en être prévenu à l'avance, mais est-ce qu'en retour, vous aviez un retour d'expérience des prises qui avaient été faites ?

En tant que responsable de la sécurité de la province de la Kapisa, chaque fois que les forces américaines ou les forces spéciales conduisaient des opérations en Kapisa, elles se coordonnaient avec nous, ne serait-ce que pour prévenir de leur zone et horaire d'action pour éviter les tirs fratricides. Sur les résultats de leur action, lorsque j'étais concerné, oui, bien sûr, j'avais un retour de leur action, pas en termes d'effet obtenu mais en implications sur la population ou la zone donnée.

Question : est-ce que vous estimez que la durée de déploiement de six mois est optimale pour le contingent français sachant que par exemple les Américains ont des durées de déploiement plus longues ?

Concernant la durée de la mission, mon avis personnel est que 6 mois est une durée optimale. Optimale parce que, comme je l'ai dit, la mission est exigeante. Il n'y a bien sûr pas de week-end, pas vraiment de nuit non plus, donc très peu de repos. Si on veut garder un niveau d'investissement élevé, qui est celui aujourd'hui du soldat français, 6 mois me semblent être la durée optimale à ne pas dépasser. Au-delà, je ne l'ai pas vécu, mais je pense, qu'on passerait dans une autre logique qui est celle de " je suis là pour longtemps, donc il s'agit pour moi d'être et de durer ". Ensuite il ne faut pas oublier que même si les Américains font un an, parfois plus, ils ont des permissions en cours de déploiement, ce qui est extrêmement difficile à gérer. En tant que chef, vous savez, dès votre arrivée, que vous aurez toujours à pallier l'absence d'une partie de vos unités. Vous ne disposez donc pas de la totalité de vos moyens. Or j'ai disposé de la totalité de mes moyens pendant 6 mois.

Question : est-ce que vous en tant que forces militaires, vous vous devez de les protéger les ONG ?

Je manque d'expérience sur le sujet en Afghanistan, dans la mesure où la Kapisa est une province agricole, naturellement riche et autosuffisante au niveau alimentaire. Le problème pour les Afghans dans cette province est de pouvoir exporter leur production vers des marchés d'échange. Donc je n'ai pas eu à travailler avec des ONG. Par ailleurs, les ONG ne recherchent pas particulièrement la coordination avec l'action militaire, justement pour éviter l'assimilation entre les deux.

Enfin, en Afghanistan, il y a une police afghane et une armée afghane. Mon action est profit de ces forces de sécurité nationale. Si des ONG ont à travailler dans la zone, elles doivent se mettre avant tout en rapport avec les forces afghanes de sécurité, avant les forces de l'OTAN.

Question : Mon Colonel, l'OTAN va commencer à lutter contre l'opium. Est-ce que vous avez vu le début de cette répression ?

Non je n'ai pas vu d'action dans ma zone de responsabilité pendant notre mandat. C'est davantage une zone de circulation de la drogue que de culture. Mon action s'inscrivait vraiment dans l'établissement de la sécurité, avant même de combattre les trafics et les cultures au sein de la province. Une logique qui peut être différente en fonction des provinces. Par ailleurs, il existe des unités afghanes spécialisées dans l'élimination des cultures de drogue

Question : Mon Colonel, pour revenir sur le RETEX confirmez-vous qu'il existe encore aujourd'hui un certain vide juridique au traitement à réserver aux gens capturés, aux insurgés capturés, qu'ils soient prisonniers de guerre ou pas ?

L'Afghanistan est un Etat souverain. On n'est pas en guerre au sens juridique, donc le terme prisonnier de guerre ne s'applique pas. Lorsque nous interceptons des gens au cours de nos actions, nous pouvons les retenir jusqu'à 96 heures de façon à préciser quelle a été leur action dans la zone, leur implication dans l'insurrection. Ensuite, soit nous avons pu établir qu'ils n'avaient aucun lien et on les relâche, soit ils ont un lien et on les transfert aux forces de sécurité afghanes. C'est la règle que nous avons appliquée exactement comme tous les autres contingents de la FIAS.

Question : Un de vos commandants de compagnie ne tarissait pas d'éloge sur les grands chefs. Il voulait dire par là qu'aux échelons supérieurs, on avait très bien anticipé la situation de guerre dans laquelle on allait se trouver et il était ravi de la réponse qui avait été apportée. C'était plutôt surprenant. Est-ce que vous partagez cet avis ? A propos du délai des opérations, vous dites que 6 mois, c'est optimum, il ne faut pas dépasser, mais est-ce que 4 mois ce ne serait pas encore mieux ?

Alors je vais tout de suite répondre à cette seconde question. 6 mois c'est optimum parce que cela permet de concilier la durée nécessaire pour acquérir les connaissances de ce type de combat et en profiter sur le plan opérationnel en utilisant les connaissances acquises. A ce titre là, 4 mois peuvent être un peu court.

Concernant les propos que vous rapportez, je ne suis pas au courant. J'espère que c'est en effet un de mes capitaines qui ne tarissait pas d'éloges sur les grands chefs. Ce que je peux vous dire, c'est que toutes les demandes que j'ai faites d'évolution du matériel, d'adaptation du dispositif ont été satisfaites. Soit a priori, soit en cours de mandat. Nous avons bien conscience que lorsque nous demandons un matériel, cela requiert du temps, ne serait-ce que pour sa fabrication. Si aujourd'hui on veut acheter mille paires de lunettes de protection par exemple, il n'y a pas beaucoup d'industriels en France capables de vous livrer sans délai mille paires de lunettes du modèle que vous voulez. Donc, oui, mes subordonnés et moi le premier avons été très satisfaits de la prise en compte de nos demandes qui ont toujours débouché sur des dotations en matériel.

Par ailleurs, les ordres que j'ai reçus avant mon départ, les consignes personnelles du chef d'état-major des armées étaient d'une limpidité extrême. C'était particulièrement clair pour moi, et donc pour mes subordonnés.

Question : Est-ce que vous avez été témoin, pendant votre mission là-bas, de la coordination des insurgés ? Travaillaient-ils ensemble ou séparément ? Et deuxièmement, est-ce que vous avez pu tracer des actions ou des replis de combattants au Pakistan ?

Alors, concernant la coordination des ennemis, je pense que l'insurrection est opportuniste. Opportuniste sur les objectifs recherchés. Si, à un moment donné, ils ont des intérêts communs, ils vont coopérer, nous l'avons vu au cours des 6 mois. Si, au contraire, ils ont des rivalités, en particulier des problèmes de succession de chefs, d'autorité locale, ils peuvent aussi bien se battre entre eux, nous l'avons également vu. L'insurrection n'est pas monolithique. Il n'existe pas de général en chef de l'insurrection chargé de concevoir et de mettre en oeuvre des plans contre la coalition ou contre les Français déployés en Kapisa.

Concernant le Pakistan, la Kapisa en est assez éloignée. Néanmoins, nous savons qu'il y a des mouvements.

Question : j'ai pu constater l'inverse, que nos soldats étaient bien entraînés et bien équipés. Maintenant est-ce que vous avez un RETEX : si j'étais le père Noël qu'est-ce que je pourrais apporter de plus à vos hommes pour la prochaine opération ?

Je ne connais pas de chef militaire à qui on propose de nouveaux matériels qui vous dirait non. Donc bien évidemment j'aurais une très longue liste à vous soumettre, mais rien qui ne me vienne en tête tout de suite. Dans le domaine de l'équipement, on peut toujours aller plus loin, c'est évident.

Question : Ne demanderiez-vous pas des hélicoptères ?

Par exemple. Mais vous savez, chaque fois que nous en avons fait les demandes, et parfois même sans en avoir fait la demande, nous avions toujours des hélicoptères d'appui présents. Nous n'étions qu'à 9 minutes de vol de Bagram. C'était vraiment très facile pour nous de les demander et de les avoir.

Question : Vous avez fait un bilan de vos opérations côté français, de vos blessés. Qu'en est-il de ceux d'en face ?

Lors des actions de combats, il est bien évident qu'en face, ils ont aussi eu des pertes et donc des morts et des blessés. Les insurgés ont pour habitude de systématiquement, parfois d'ailleurs avec l'appui de la population, d'emmener leurs blessés et les cadavres. Nous n'avons donc pas tenu de comptes précis dans ce domaine-là. Ce n'est pas un indicateur en soi. La population lors de conversations après des actions de combat nous disait " tiens, là, hier, dans l'action, vous avez tué trois personnes ou vous avez tué deux personnes ". Mais cela ne permet pas de dresser un bilan fiable. Pour nous, l'indicateur de notre efficacité est bien plus de savoir ce que pense la population de nous : ont-ils bien intégré que nous étions là pour eux et pas comme des envahisseurs ?

Question : Mon Colonel, l'ANA est appelée dans quelques années à remplacer les forces de la FIAS. Que pensez-vous de sa motivation, de sa qualité d'entraînement et de votre propre capacité à entraîner leur motivation ?

Mon action était au côté de l'armée afghane, je n'étais ni chargé de sa formation ni de les encadrer pour des actions de combat. Pour cela, il y a les OMLT de la FIAS ou les ETT (Embedded Training Teams) américains avec qui nous agissions.

Je peux donc parler des opérations que nous avons conduites avec l'ANA et la police afghane. A chaque fois, ils nous apportaient une plus-value. A partir du moment où nous avons commencé à entrer en profondeur dans les vallées, nous avons eu besoin de contrôler les hauteurs et nos lignes arrières. Le rôle de l'ANA en la matière était décisif. De la même façon, quand l'ANA menait ses propres opérations, parce qu'ils ont aussi leurs propres opérations, ils leur arrivaient régulièrement de nous demander une équipe de contrôleurs et d'appui aérien, un détachement de liaison artillerie pour bénéficier de nos appuis. Il s'agissait vraiment d'actions communes, soit au profit de l'un, soit au profit de l'autre.

Ensuite, l'ANA, est une armée jeune. Elle en a toutes les caractéristiques et, en même temps, elle nous apporte des choses dont nous nous ne sommes pas dotées : elle est légère, connaît bien le terrain puisqu'ils ont parmi eux des gens qui peuvent être originaires de la province, et puis bien sûr elle maîtrise la langue alors que nous devons passer par des interprètes. Elle apporte donc une réelle plus-value, il y a une vraie synergie à trouver dans nos actions avec l'ANA.

Là encore je ne peux vous parler que de périodes de temps très réduites. Mais en six mois, sur les opérations que j'ai eues à mener avec eux, si au début, comme avec toute force avec laquelle on n'a jamais travaillé, il a fallu faire des petits calages pour qu'on soit bien tous sur la même logique. Au bout de 6 mois, c'était vraiment notre quotidien. Et je pense qu'aujourd'hui, le colonel Le Nen est passé à une vitesse supérieure dans ce domaine-là. Nous étions dans l'entrée en premier, dans l'ouverture, sur tous les plans.


Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense