Philippe LEYMARIE
C'est une forteresse, non pas en Afrique, mais à quelques kilomètres de Paris, au Mont Valérien, là où ont été exécutés de nombreux résistants de la Seconde Guerre mondiale ; un casernement qui sert aujourd'hui de quartier général à l'EUFOR, la Force européenne au Tchad et en République centrafricaine, force militaire, 3.100 hommes sur le terrain, bientôt 3.700 dont une moitié de Français. Ce " QG " du Mont Valérien, avec ses soldats de 22 armées européennes différentes, est un vrai laboratoire, donc, de cette Europe de la Défense que le président SARKOZY rêve de faire progresser et cela, en dépit du " non " irlandais. Le commandant de l'EUFOR est justement, lui, un Irlandais, c'est le général Patrick NASH.
Journaliste
Général, comment gérer cette petite Babel que constitue votre état-major avec tellement de nationalités, plusieurs langages, même si l'anglais, bien sûr, est la principale langue ?
Général Patrick NASH, commandant de l'EUFOR
J'ai eu la chance d'avoir une certaine expérience dans le secteur international. D'abord avec les Nations unies, mais également avec l'Union européenne en 1996 pour une mission dans l'ex-Yougoslavie et dans les Balkans. J'avais eu à travailler dans un contexte international, là-bas. Il y a une chose très importante, dans ce genre de situation, c'est le stade de la formation. Vous devez expliquer aux gens quels sont vos objectifs ; vous devez expliquer à nouveau, vous devez expliquer une troisième fois, et ensuite, vous devez insister. Alors, vous avez une chance d'obtenir une cohésion de l'ensemble. Cela a été notre expérience et cela réclame, à la tête du management, pour quiconque travaille avec moi qui est associé, un dévouement constant de la part de beaucoup de gens, qui travaillent sans relâche pour être bien sûrs que vous formulez la question de manière simple et la réponse de manière encore plus simple et que vous gardez les gens concentrés vers le véritable but. Nous avons pas mal réussi de ce côté, jusqu'ici ; nous espérons que cela va continuer.
Philippe LEYMARIE
Cette Opération EUFOR Tchad/RCA qui est conduite depuis un Central opération, bien sûr, on l'appelle dans ce cas, le " Joc ", le Major Marc BILEN (phon), de l'Armée belge.
Journaliste
Qu'est-ce qu'on voit, là, Commandant ? On voit les différentes implantations de la Force ?
Commandant Marc BILEN, EUFOR, de l'Armée belge
On a ce qu'on appelle l'" area of operation ", la zone d'opération divisée en quatre parties distinctes ; on a le multi-bataillon Nord dédié au bataillon polonais qui est, pour le moment, planifié dans la zone d'Iriba. Ensuite, on a le bataillon multinational Centre, principalement français, basé à Fourchanah (phon), avec une partie de Slovènes ; et enfin, on a, dans le Sud, le bataillon irlandais basé à Gosbeda (phon), renforcé d'éléments néerlandais. Ensuite, on a, en République centrafricaine, un détachement français à Birao, de plus ou moins 200 personnes.
Journaliste
Qu'est-ce qu'on fait, dans votre centre de commandement ?
Commandant Marc BILEN
Dans notre centre de commandement, qu'on appelle " Joc ", donc " Joint operation center ", on " monitore " et on facilite les opérations en cours au Tchad et cela, pendant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On est le centre nerveux d'une part, mais également le point d'entrée pour toutes les informations qui nous viennent du théâtre, donc, du Tchad, d'une part et d'autre part, vers l'Union européenne à Bruxelles. Ces gens-là sont tout le temps présents, au courant de tout ce qui se passe ; tout événement anormal ou imprévu arrivera ici au " Joc " et en fonction du type d'incident, on va activer notre " chaîne " - entre guillemets - de commandement et en fonction d'un événement, c'est à partir d'ici qu'on va gérer l'incident et qu'on va pouvoir réagir. On va faire revenir la Direction, que ce soit, on va dire Renseignements, Personnel, Logistique, et
Journaliste
Vous avez des cartes
Commandant Marc BILEN
On a des cartes, je vais dire, traditionnelles comme avant, posées sur le mur, on utilise également des cartes au moyen informatique On tient évidemment les cartes à jour, que ce soit des troupes EUFOR actuellement déployées, évidemment, mais également des autres centres d'intérêt que nous avons ; donc le déploiement, par exemple, de la Minuv 4 ou des troupes tchadiennes en théâtre. Voilà.
Journaliste
Il y a un timing un peu de toute la journée ?
Commandant Marc BILEN
Oui, tout à fait, on a ce qu'on appelle le " battle rythm ", sur lequel tout le monde se base. Donc c'est étalé sur 24 heures. Tous les rendez-vous indispensables pour diriger les opérations. Au sein du " Joc ", on en a deux : celle à 9 h 30 qu'on appelle le " command docs (phon) of tate (phon) briefing " à propos des 24 dernières heures qui se sont déroulées, au niveau de toutes les branches, donc la branche Renseignement, la branche Opération, Logistique, de façon à le mettre au courant, au matin, de tout ce qui s'est passé durant les 24 dernières heures. La deuxième réunion importante que l'on tient au sein du " Joc " est à 17 heures, l'" update briefing ", pour, justement, donner les dernières nouvelles qui se sont déroulées, je vais dire, entre 10 heures du matin et 17 heures.
Philippe LEYMARIE
Mais comment conduire, depuis le Mont Valérien, une opération dont le théâtre de terrain est situé à plus de 5.000 kilomètres de l'Europe ? Réponse du " commandeur " de l'EUFOR.
Général Patrick NASH
J'avais une série de défis à relever. Le premier était de générer cette Force. Le second défi était de s'assurer que le concept d'opérations pouvait être traduit en un plan d'intervention sur le terrain, donc qui soit acceptable pour les Européens, pour les Nations contributrices ; et puis venait la question du déploiement. Cela a été entièrement mené par mon équipe, ici, au quartier général de l'EUFOR. Nous sommes ensuite arrivés au stade où nous pensions avoir une première capacité initiale, et c'est dans ce contexte que nous devions être sûrs que nous possédions les moyens nécessaires pour que le commandant de la Force donne l'ordre d'entamer l'opération sur le terrain. J'ai eu beaucoup de chance, j'ai eu des gens très professionnels, ici, j'ai eu un bon soutien de la France avec d'excellentes facilités du QG du Mont Valérien. Bien sûr, le monde est devenu beaucoup plus petit parce qu'il y a maintenant des communications fantastiques ; nous sommes en contact de bureau à bureau, avec les gens du Tchad, 24 heures sur 24.
Philippe LEYMARIE
Pour en arriver là, il a d'abord fallu relever aussi un défi logistique hors normes pour ce qui est la plus importante opération européenne jamais menée en Afrique. C'est l'Armée de l'air française qui a reçu la mission d'acheminer hommes et matériels et cela, en dépit, parfois, de grèves ou même d'attaques rebelles. Commandant François BERNIER (phon).
Commandant François BERNIER
La voie d'accès principale se fait d'Europe, à partir du port de Douala, au Cameroun, puisque je dirais, par voie maritime qui correspond, je dirais, à environ 70 % de l'ensemble des matériels transportés, donc c'est vraiment la part majeure du flux des matériels pour l'ensemble des composantes de la Force ; donc ce trajet maritime prend une vingtaine de jours, environ, à Douala. Ensuite, il faut une quinzaine de jours pour aller, par voie routière jusqu'à N'Djamena et à partir de N'Djamena, il faut encore une semaine pour atteindre Abéché qui est le site de l'Etat-major principal de l'EUFOR, et ensuite, environ deux jours pour rallier les différents sites des bataillons. Cela a concerné, en terme de matériels militaires à acheminer, de l'ordre de 1.000 véhicules, et de l'ordre de 900 containers, environ, pour la voie maritime. Donc les 30 % de flux restant par voie aérienne se sont faits d'Europe jusqu'à l'aéroport de N'Djamena avec une cadence d'environ un à deux gros porteurs aériens par jour, et dans ce cas-là, le fret correspondant est acheminé par voie routière de N'Djamena jusqu'à Abéché sur une durée d'environ 5 jours, de la même façon que pour le fret qui vient de Douala. La responsabilité de la projection dite " stratégique ", c'est-à-dire à partir de l'Europe jusqu'en Afrique, était de la responsabilité de chaque pays et je dirais, les pays principaux, à savoir l'Irlande, la Pologne et la France, ont affrété leurs propres navires et leurs propres avions pour acheminer ce matériel sur le théâtre. Nous avons manqué de matières premières en particulier, nous avons eu besoin d'importer du ciment, à raison de plusieurs milliers de tonnes pour construire les camps des bataillons, ainsi que le camp d'Abéché et puis l'extension de l'aéroport de N'Djamena. Nous importons également d'Europe les produits frais, ainsi que les rations de combat. Pour ce qui est de l'eau potable, nous, nous importons également d'Europe, mais nous pouvons également faire appel à des productions d'eau locales à N'Djamena et peut-être également à partir d'autres localités telles que, peut-être, Koufra en Libye.
Philippe LEYMARIE
Et le patron de l'EUFOR lui-même, le général Patrick NASH, n'est pas peu fier de ce qu'il considère comme sa première réussite : avoir relevé le défi logistique.
Général Patrick NASH
C'était un incroyable défi. Nous étions très nerveux au départ. Nous nous demandions si nous pourrions en venir à bout. Nous avons dû planifier cela durant des pois et des mois pour arriver au succès, mais nous avons eu la chance d'avoir des gens très capables sur le terrain, d'excellents logisticiens, multinationaux, surtout français, qui ont fait un énorme travail pour préparer le théâtre. C'est un exemple de ce que le soutien français nous a été d'un grand secours, car les Français avaient l'expérience de l'action, dans cette partie du monde. Nous avons encore quelques problèmes. Le bataillon polonais multinational se déploie actuellement ; nous devons être prudents car la saison des pluies approche à grands pas et nous nous inquiétons des difficultés que cela pourrait créer pour nous. Pour le moment, ça va. Nous avons eu des grands problèmes d'eau ; cela a été quelque chose pour moi, nous commençons à résoudre ces problèmes peu à peu ; il faut se souvenir qu'au Tchad, et en RCA, il y a peu de ressources disponibles sur place. Nous sommes conscients que nous ne devions absolument pas peser sur les populations appauvries du pays, que ce soit pour l'eau, pour la nourriture, les fournitures de bois ou de ciment. Nous avons dû ravitailler de manière totalement indépendante pour ne pas déstabiliser le marché local. Nous ne pouvions avoir une situation où les troupes de l'EUFOR capteraient toutes les ressources nécessaires sous prétexte de créer un environnement sécurisé, mais contribueraient, en fait, à appauvrir encore la population ! C'était impossible.
Philippe LEYMARIE
L'Opération EUFOR est sur le point de déclarer sa pleine capacité, puisqu'elle aura atteint, bientôt, son effectif complet. Elle est, selon ses chefs, d'une neutralité absolue sur le plan politique et tient à se distinguer de l'opération militaire bilatérale que continue de mener la France au Tchad, même si la forte participation française à l'EUFOR, c'est-à-dire la moitié de l'effectif, dans un pays où Paris a ses habitudes - et parfois mauvaises - n'a pas semblé poser de problèmes sur le terrain, aux autres participants.
Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense