L’appui au retour de l’Etat et à la réimplantation des forces armées et des forces de sécurité constitue l’un des efforts de la force Barkhane dans la bande sahélo-sahélienne. Sans sécurité ni administration durable le retour à une vie « normale » est une chimère. C’est dans ce contexte que nous rencontrons, à Labbézanga, le colonel Michel, représentant du commandant de la force Barkhane à Gao.
Pouvez-vous nous parler du symbole de Labbézanga ?
Labbézanga, pour paraphraser Victor Hugo (Les Châtiments, 1853), montre que l’espoir a changé de camp et le combat a changé d’âme. C’est le retour des soldats maliens dans un camp dont ils avaient dû se désengager il y a plusieurs mois sous la pression des groupes armés terroristes (GAT). C’est le retour des Forces armées maliennes (FAMa) et dans leur sillage, de l’administration de la République du Mali qui est permis par la construction de ce camp. Ce sont leurs actions accompagnées par celles de la force conjointe du G5 (FC-G5) Sahel, de la MINUSMA et de Barkhane qui permettent la sécurisation de cette zone. Ainsi Labbézanga plante un jalon concret dans l’affaiblissement des GAT, c’est une nouvelle défaite de l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) et un succès pour les FAMa.
Les FAMa, avec l’appui de la force Barkhane, investissent un nouveau fort en étoile, en quoi cela est un signe, un enjeu fort ?
Le fort en étoile est la reprise de concepts anciens, bien connus par l’armée française. Mais il a fait l’objet d’une réflexion commune avec les FAMa pour profiter de leur connaissance de l’ennemi et du terrain. Entre partenaires, avec nos expériences, nous avons développé ce nouveau concept de fort. Ce camp démontre la volonté commune de mettre sur le terrain des structures fortes et visibles, capables de montrer à la population et aux terroristes la volonté des FAMa de s’enraciner dans le paysage. Elle sera aussi le signe des futures implantations puisqu’elle a vocation à être un modèle qui sera développé je l’espère dans l’ensemble du Liptako.
Une colonne foraine s’est récemment déployée à Labbézanga pour ramener des services publics « itinérants » dans les endroits reculés. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet, sur sa déclinaison concrète sur le terrain et sur les perspectives qu’elle offre ?
Nous savons que les tactiques d’implantation des groupes terroristes sont de faire fuir les structures de l’Etat, les structures sociales et même les structures religieuses afin de substituer leurs propres structures mortifères. La colonne foraine marque le retour de l’Etat et de son administration civile sur le site de Labbézanga et démontre l’engagement de l’Etat et des FAMa dans la reconquête de ces espaces. Cette colonne foraine, organisée par les FAMa va offrir des perspectives de sécurisation et de stabilisation de la population. En effet, à partir du moment où l’administration va retrouver entre autres sa capacité d’éducation, de justice et d’état civil, cela signera un retour vers la vie normale qui devrait faire école dans ces zones. De plus, le retour de la sécurité ramène aussi un certain nombre d’organisations non gouvernementales qui ont pour but d’améliorer la vie des citoyens, tout ça permet de rentrer dans un cycle vertueux de retour à la paix.
La population, comme toujours, est l’enjeu central de la lutte anti-terroriste. De quelles données objectives disposez-vous pour traduire ce qu’elle ressent sur Labbézanga ?
Ce qui est intéressant à Labbézanga, où je me suis rendu deux fois ces dernières semaines, c’est l’accueil enthousiaste qui a été réservé aux FAMa et aux autorités civiles et militaires que j’ai accompagnées dans cette ville. On sentait un vrai désir d’Etat, un vrai désir de la population de parler, de demander, de discuter avec les autorités civiles pour raconter ces années où elle avait été privée de sécurité, de cette présence de l’Etat, et où les choses avaient été laissées à l’abandon et à l’arbitraire. La population s’est réellement réinstallée à Labbézanga, tous en témoignent.
Et finalement ce qui est le plus impressionnant, c’est cette joie des retrouvailles entre une population et son armée. En témoigne l’élan de solidarité impulsé parles jeunes du village qui ont contribué à la remise en état des abords l’ancien camp des forces armées maliennes. A titre d’exemple également le maire du village à livrer une déclaration touchante dans laquelle il exprimait : « maintenant que vous êtes là on va vous protéger pour que vous restiez ».
Quelle a été la coordination entre tous les acteurs pour un retour de l’armée malienne à Labbézanga ?
La coordination qui s’est mis en place pour ce projet est, je trouve, exemplaire. C’est d’abord une coordination étroite des acteurs civils et militaires maliens qui a permis ce retour à Labbézanga. Retour pour lequel ils ont réussi à faire partager leur vision à de nombreux partenaires ; la force Barkhane avec qui ils ont travaillé le concept du camp en étoile, les camarades allemands de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) qui sont en train de réaliser un check point moderne. Ils ont étudié la conception de ce poste avec les maliens pour comprendre les besoins des forces de défense et de sécurité intérieures (FDSI) maliennes et construire un outil de contrôle efficace. Mais c’est aussi les Nigériens et bien évidemment la FC-G5 Sahel qui ont participé à la sécurisation de Labbézanga par leur action dans toute la zone des trois frontières. C’est encore la MINUSMA qui a participé à la sécurisation de la route du village et qui aujourd’hui encore exerce une surveillance de la zone. Vous voyez que cette capacité à se coordonner a été quelque chose d’extrêmement important qui permet aujourd’hui ce succès global, sécuritaire et social qu’est la réoccupation de Labbézanga.
Les FAMa ont-ils regagné la confiance et les cœurs de la population dans cette zone ?
C’est indéniable, cette population attendait son armée avec beaucoup d’impatience et de joie. J’ai pu noter également l’organisation de match de foot entre les FAMa et les jeunes de Labbézanga. Match de foot au cours duquel on entendait des « Vive l’armée ». De manière assez pragmatique, plus d’une centaine de militaires qui reviennent, cela signifie la reprise d’une forme de vie sociale synonyme de vie économique qui repart dans le village avec des achats au marché par exemple. Maintenant, la balle est dans le camp de nos camarades maliens et en particulier du Bataillon de l’Armée Reconstituée (BAR) qui défend Labbézanga. Issu du processus de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) ce bataillon connait la zone et ses habitants, cela devrait favoriser leur intégration.
Plus globalement quels progrès majeurs notez-vous depuis votre arrivée au Mali?
Je suis arrivé depuis quelques mois mais je connais le théâtre pour avoir été présent en 2013 à Serval et avoir suivi ces trois dernières années la crise malienne depuis la Mauritanie voisine. Ce que je constate, c’est que dans un cadre multinational les FAMa ont progressé, la FC-G5 Sahel également. Je note dans tous mes rapports avec les officiers des initiatives, une conduite sur le terrain, un accompagnement au feu qui est extrêmement intéressant. Je pense aussi que Labbézanga est un marqueur important de cette reprise de confiance des FAMa dans leur capacité à pouvoir vaincre des GAT. Mais il faut rester lucide, cet important travail de montée en gamme doit se poursuivre.
Conduite par les armées françaises, en partenariat avec les pays du G5 Sahel, l’opération Barkhane a été lancée le 1eraoût 2014. Elle repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) : Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. Elle regroupe environ 5100 militaires dont la mission consiste à lutter contre les groupes armés terroristes et à soutenir les forces armées des pays partenaires afin qu’elles puissent prendre en compte cette menace.
Sources : État-major des armées
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