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La revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017

Mise à jour  : 15/06/2018 - Direction : DGSE

1. Une France exposée et engagée

Les menaces et les risques identifiés dans le Livre blanc de 2013 se sont manifestés plus rapidement, avec une intensité plus forte qu’anticipé. Le terrorisme jihadiste, qui a frappé la France comme ses voisins européens, se recompose et s’étend à de nouvelles régions, en prospérant sur les situations de chaos, de guerre civile et sur les fragilités des Etats.

Il demeurera une menace prioritaire pour nos sociétés et nos populations.

Simultanément, l’Europe voit à ses portes un retour de la guerre ouverte et des démonstrations de force, ainsi qu’une concentration de défis sans précédent depuis la fin de la guerre froide : crise migratoire, vulnérabilités persistantes dans la bande sahélo-saharienne, déstabilisation durable au Proche et Moyen-Orient. Ce rapprochement des menaces et des crises s’ajoute aux tensions que connaît l’Union européenne (UE), confrontée depuis 2008 à des doutes et à des contestations internes.

Les effets des dérèglements climatiques, les risques pandémiques, les trafics et la criminalité organisée aggravent ces phénomènes en multipliant les vulnérabilités et les causes de déstabilisation. Les interdépendances que génèrent aujourd’hui les échanges de personnes, de biens et de données placent le continent européen au contact des tensions internationales, même des plus éloignées. Enfin, les moyens d’action, dans le cyberespace comme dans le champ de l’information, de plus en plus accessibles, exposent nos sociétés, nos populations, nos services publics et nos entreprises de manière plus directe à des ingérences ou des actions malveillantes, aux conséquences potentielles de grande ampleur.

Par leur simultanéité, leur complexité et leur dispersion géographique, les crises dans lesquelles les armées françaises sont engagées mettent leurs capacités et leurs ressources sous forte tension. Tout en garantissant la permanence et la sûreté de la dissuasion nucléaire, elles sont déployées au Sahel dans un cadre national, intégrées au Levant dans une coalition internationale, et participent en parallèle à la réassurance de nos alliés sur le flanc Est de l’Europe. Elles contribuent dans le même temps aux mesures de défense et de protection du territoire national et de ses approches.

2. Un environnement stratégique instable et incertain

Le système international issu de la guerre froide cède la place à un environnement multipolaire en profonde mutation, dont l’instabilité et l’imprévisibilité sont les figures dominantes. L’affirmation militaire d’un nombre croissant de puissances, établies ou émergentes, dans des régions sous tension (Levant, golfe Arabo-Persique, Asie), s’accompagne de politiques de rapports de forces, voire de fait accompli. Elle nourrit également des logiques de compétition, pour l’accès aux ressources et pour le contrôle des espaces stratégiques, matériels et immatériels (maritime, aérien, espace exo-atmosphérique, espace numérique).

Ces évolutions se doublent d’une contestation directe des institutions internationales et des normes censées encadrer le recours à la force, et d’une poursuite préoccupante des logiques de prolifération, des armes de destruction massive comme de leurs vecteurs.

A l’appui de ces stratégies de puissance, le développement de nouveaux modes opératoires, basés sur l’ambiguïté des intentions, la combinaison de moyens d’actions – militaires ou non – à des fins d’intimidation ou de déstabilisation, comporte des risques élevés d’escalade.

3. Des conflits plus durs, des adversaires potentiels mieux armés

L’accroissement des arsenaux, la dissémination d’équipements conventionnels modernes et les progrès technologiques permettent à un nombre croissant d’acteurs, étatiques ou non, de se doter de moyens militaires avancés. En parallèle, la diffusion des nouvelles technologies, issues du monde civil, rend largement accessibles des capacités possédées il y a peu par les seuls Etats.

Combinées à des modes d’action innovants, ces évolutions peuvent remettre en cause la supériorité opérationnelle et technologique des armées occidentales, dans tous les milieux : terrestre, naval, aérien, mais également dans l’espace numérique, qui devient un domaine d’affrontement potentiel à part entière, question qui pourrait également se poser à terme pour l’espace exo-atmosphérique. Elles rendent également les engagements systématiquement plus durs et plus coûteux, comme en témoignent déjà les conflits actuels.

En parallèle, les grandes puissances accélèrent leurs efforts sur les systèmes de très haute technologie, entraînant un risque de décrochage des capacités européennes.

4. Des ruptures technologiques, sources d’opportunités et de vulnérabilités nouvelles

Le rythme accéléré des révolutions technologiques ou des révolutions d’usage dans le domaine civil comporte de nombreuses applications militaires potentielles : intelligence artificielle, robotique, mise en réseau des systèmes ou biotechnologies. La capacité à intégrer ces bouleversements conditionne le maintien de notre supériorité opérationnelle.

Les progrès des technologies numériques les rendent indispensables au fonctionnement de nos sociétés, de l’Etat comme de nos armées. Caractérisé par la multiplicité de ses acteurs, privés et publics, un faible encadrement juridique et la difficulté d’attribution des attaques, le cyberespace est générateur de vulnérabilités nouvelles, qui font de notre souveraineté numérique un enjeu prioritaire.

5. Une ambition européenne et des partenariats forts

La France souhaite un renforcement de la défense européenne autour d’intérêts de sécurité partagés. Elle soutient le renforcement des outils de l’UE et de la Politique de sécurité et de défense commune, qu’il s’agisse de la coopération structurée permanente ou du fonds européen de défense.

Plus encore, comme l’a annoncé le Président de la République le 26 septembre à La Sorbonne, la France se propose de lancer de nouvelles dynamiques : l’Initiative européenne d’intervention (IEI), avec les partenaires disposant des capacités militaires et de la volonté politique pour s’engager à ses côtés, complétera ainsi les relations bilatérales de défense structurantes avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Elle permettra de développer une culture stratégique partagée entre Européens qui, si la situation l’exige, seront plus à même de s’engager ensemble demain. Au début de la prochaine décennie, l’objectif est que les Européens disposent d’un corps de doctrine commun, de la capacité à intervenir ensemble de façon crédible, et des instruments budgétaires communs adaptés.

En parallèle, la France continuera d’assumer pleinement ses responsabilités au sein de l’OTAN, y compris en matière de défense collective et de réassurance. Elle devra continuer à s’appuyer sur son réseau de partenariats à travers le monde, que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie-Pacifique.

6. Remonter en puissance : consolider notre autonomie stratégique

Seul pays européen (après le Brexit) membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et puissance nucléaire, membre fondateur de l’Union européenne et de l’OTAN, dotée d’un modèle d’armée complet, la France doit maintenir une double ambition : préserver son autonomie stratégique et aider à construire une Europe plus forte, face à la multiplication des défis communs.

La préservation de sa liberté d’appréciation, de décision et d’action s’appuiera en premier lieu sur le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, auquel devra s’ajouter la poursuite des efforts en matière de connaissance et d’anticipation, et en particulier dans le domaine du renseignement. Cette consolidation se traduira également par un resserrement des liens qui unissent les cinq fonctions stratégiques (dissuasion, prévention, protection, intervention, connaissance et anticipation), en particulier par un renforcement de nos capacités de prévention des conflits et des crises. Celles-ci reposeront sur une diplomatie forte et engagée, au service d’une approche globale articulant étroitement sécurité et développement.

La consolidation de notre autonomie stratégique devra enfin s’accompagner d’un indispensable renforcement de la résilience des fonctions comme des secteurs essentiels à la vie de la Nation, qui sont exposés à de nouvelles vulnérabilités

7. Remonter en puissance : conserver un modèle d’armée complet et équilibré

La préservation d’un modèle d’armée complet et équilibré est indispensable pour assurer à la France son indépendance nationale, son autonomie stratégique et sa liberté d’action.

Dans un environnement opérationnel plus exigeant, ce modèle doit disposer de l’ensemble des aptitudes et des capacités nécessaires pour atteindre les effets militaires recherchés sur la totalité du spectre des menaces et des engagements possibles, y compris les plus critiques. Il doit notamment permettre de s’engager en opérations de haute intensité dans les milieux terrestre, maritime, aérien, et d’agir dans l’espace numérique.

Les armées françaises devront être en mesure d’agir de façon autonome dans les domaines de la dissuasion nucléaire, de la protection du territoire et de ses approches, du renseignement, du commandement des opérations, des opérations spéciales et dans l’espace numérique. Dans les autres domaines, les partenariats et coopérations amplifieront les capacités d’action de nos forces. Le modèle complet apporte à cet égard à la France la légitimité et la crédibilité indispensables pour générer des partenariats et tenir le rôle de nation-cadre, notamment grâce à la possession de certaines capacités clés, détenues par quelques rares puissances.

Afin de prendre en compte l’usure de notre outil militaire et la préparation de l’avenir, les efforts engagés au cours des lois de programmation précédentes doivent être maintenus, tandis que de nouveaux investissements doivent être consentis prioritairement sur certaines aptitudes, en particulier en matière de moyens de renseignement et de commandement, d’entrée en premier, de combat et de soutien.

Enfin, le maintien de l’attractivité des carrières et la fidélisation du personnel sont des enjeux qui exigent une amélioration de la vie quotidienne des militaires, la valorisation des carrières et une juste reconnaissance par la Nation de la spécificité de la mission des femmes et des hommes de la défense.

8. Remonter en puissance : une ambition industrielle et technologique réaffirmée

La France jouit d’un statut de grande puissance technologique grâce à une base industrielle et technologique de défense solide, qui regroupe une dizaine de grands groupes, plus de 4 000 PME et s’appuie sur 200 000 emplois en France. Sa vitalité garantit aux armées dans la durée l’accès à des équipements au meilleur niveau. L’entretien d’une ambition industrielle et technologique élevée est donc un enjeu de souveraineté et un pilier de notre autonomie stratégique.

La préparation de l’avenir est une clé de notre performance technologique : consacrer des financements élevés à la recherche et aux études amont garantira la capacité de l’écosystème français de défense à maintenir son positionnement sur la scène internationale et à produire les équipements dont les forces auront besoin. En parallèle, la poursuite d’une politique globale de soutien à l’innovation permettra d’identifier, de générer, de capter, d’expérimenter et de soutenir les transformations qu’elle entraîne, et de les intégrer de manière réactive.

Cette maîtrise technique est nécessaire à la construction de coopérations équilibrées : la France entend ainsi participer au développement d’une industrie européenne solide et cohérente, notamment par son implication dans le fonds européen de défense et par la réaffirmation de son ambition en matière de coopération technologique et industrielle.

Enfin, encore plus que par le passé, la France doit s’attacher à maintenir un équilibre entre la commande nationale, les activités civiles et l’export : celui-ci reste capital pour une industrie de défense compétitive et le maintien de l’ensemble de ses compétences.

9. L’innovation, au coeur de la démarche du ministère et des armées

Accompagner l’innovation et la révolution numérique doit également conduire à décloisonner davantage les domaines civil et militaire et introduire plus d’agilité : celle-ci doit influencer la conception et la conduite des opérations d’armement mais aussi, au-delà de la dimension technologique, inspirer de nouvelles relations entre le monde de la défense et l’ensemble des domaines de la recherche, pour renforcer les capacités de prospective et d’analyse, nourrir la réflexion stratégique et doctrinale et accroître notre agilité opérationnelle.

Plus largement, cet esprit d’innovation doit irriguer tout le ministère, son organisation, ses méthodes de travail, pour en faire évoluer la culture et accepter la part de risque dont il est indissociable. Le recrutement et la fidélisation des talents et des compétences, sur lesquels repose l’ensemble de l’écosystème de défense, constituent un enjeu majeur de cette transformation.


Sources : DGSE
Droits : DGSE