Le général d’armée Pierre de Villiers et général d’armée Günter Weiler, coprésidents du Groupe franco-allemand de coopération militaire, reviennent sur cinquante ans de coopération franco-allemande de défense. Interview croisée.
Quelle est la genèse de la coopération militaire franco-allemande ?
Général Weiler : A l’origine, il y a la conviction de deux hommes, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Tous deux sont conscients qu’il ne peut y avoir d’Europe sans un rapprochement entre la France et l’Allemagne et c’est pour cela qu’ils signent, le 22 janvier 1963, le traité de l’Élysée. Ce traité de l’amitié franco-allemande constitue le socle de la relation bilatérale entre les deux pays et une étape fondamentale de la réconciliation entre nos deux populations et pour les générations futures.
Vingt-cinq ans plus tard, précisément le 22 janvier 1988, est créé le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS). Un nouveau pas décisif dans la coopération entre nos deux pays est ainsi franchi, qui se traduit par la mise en œuvre d’une structure de travail permanente.
C’est à cette occasion que notre coopération est formalisée par la mise en place du Groupe franco-allemand de coopération militaire (GFACM) dont nous exerçons la coprésidence.
Quels sont concrètement les résultats des travaux de coopération ?
Général de Villiers : Les domaines de coopération sont réellement diversifiés et visent principalement à la mise en œuvre de projets concrets de niveaux opératif et tactique. L’objectif est de définir des projets qui représentent pour chacune des nations une réelle plus-value. Je souhaiterais illustrer le succès de cette coopération à travers quelques exemples. La Brigade franco-allemande (BFA) a été créée en 1989 et dispose de sept unités de manœuvre représentant environ 5 500 soldats.
La mise en œuvre de l’hélicoptère Tigre et de l’avion de transport A400M, ainsi que la revalorisation du système d’artillerie GMLRS [ guided multiple launch rocket system, NDLR] sont d’autres exemples significatifs de notre coopération.
Général Weiler : Nos deux marines constituent régulièrement une force commune, la Flotte navale franco-allemande (FNFA). Elles participent ainsi à des exercices internationaux et démontrent les liens étroits qui les unissent. Sur le plan de la logistique, nous avons par exemple conclu un accord en vue de mutualiser l’approvisionnement de nos forces stationnées sur le camp Warehouse, à Kaboul. Nous souhaitons à l’avenir adopter cette même approche du soutien commun du personnel sur d’autres théâtres d’opérations.
GAR (FRA) de Villiers : Au total une soixantaine de projets de coopération sont en cours, notamment dans le domaine de la formation. Nous devons aussi évoquer le réseau d’officiers d’échange mis en place afin de rendre cette coopération plus fluide et de créer les conditions nécessaires à la conduite d’opérations en commun. Parallèlement, le général Weiler et moi portons une attention particulière au domaine de la formation commune, qui permet de renforcer notre interopérabilité.
Quels sont les avantages retirés de cette coopération binationale ?
Général Weiler : Coopérer ensemble permet de réaliser des économies tout en conservant une capacité. C’est d’autant plus nécessaire que les contraintes pesant sur les budgets de la Défense sont de plus en plus sévères, en particulier dans les domaines de l’acquisition d’équipements en commun et de la mutualisation de la formation du personnel. C’est le cas, par exemple, de l’hélicoptère Tigre et des écoles de formation du Luc et de Fassberg où sont formés les pilotes et mécaniciens français et allemands. On peut également citer la formation commune de contrôleur tactique avancé, qui se déroule à l’école franco-allemande de l’appui aérien rapproché de Nancy-Ochey.
Général de Villiers : Le tandem franco-allemand représente une coopération exemplaire, visant à l’amélioration des capacités militaires communes. Chaque fois que nous adoptons des positions communes, cela nous permet ensuite de donner des impulsions déterminantes pour les projets de coopération internationale. Je pense notamment aux projets dits de pooling and sharing et de smart defence. C’est un avantage évident que d’avoir pu déjà définir en commun des besoins capacitaires et de mettre à la disposition d’autres nations les résultats de nos travaux.
Enfin, la connaissance mutuelle offre également des avantages considérables, car elle favorise le développement de l’interopérabilité entre soldats français et allemands. Ce qui est pratiqué ensemble lors de la formation initiale et lors d’entraînement peut d’autant mieux être mis en œuvre en temps de crise.
Quels sont les projets futurs déjà planifiés ?
Général Weiler : Je voudrais mettre l’accent sur les projets les plus emblématiques. Concernant nos armées de l’air, l’effort porte actuellement sur la mise en service de l’avion de transport A400M. Il s’agit aussi d’harmoniser nos capacités futures et nous avons déjà progressé dans le domaine des drones Medium Altitude Long Endurance (Male). La signature d’une déclaration commune sur ses caractéristiques techniques, en septembre 2012, constitue une première étape pour l’utilisation à venir d’un drone Male commun. Nos discussions ne se limitent pas à l’acquisition d’un nouvel équipement, mais portent également sur la mise sur pied d’une structure binationale et sur l’organisation d’une formation commune. Enfin, nous cherchons à renforcer notre coopération actuelle dans d’autres domaines comme le spatial.
Général de Villiers : Pour nos armées de terre, le pilier de la coopération reste la Brigade franco-allemande. Les efforts portent sur l’amélioration de l’interopérabilité, la formation commune et les opérations. En matière de soutien logistique, nous avons déjà mentionné l’exemple du ravitaillement commun à Kaboul. Nous avons l’intention d’élargir cette approche aux autres théâtres d’opérations en choisissant systématiquement des prestataires de services communs. Cette approche permet de réduire les coûts correspondants.
Général Weiler : Les services développent également des projets innovants. C’est le cas de nos deux services de santé, qui collaborent étroitement depuis des années. Au-delà de la coopération vécue chaque jour sur les théâtres d’opérations, de nouveaux projets sont à l’étude : la coopération entre hôpitaux, la surveillance de maladies infectieuses ayant un impact sur les opérations et la formation du personnel de santé. Au cours de l’année 2013, il est prévu de conduire un exercice d’interopérabilité concernant les soins aux blessés et leur évacuation.
Général de Villiers : Pour nos marines, l’amphibie représente un nouveau domaine de coopération. Nous cherchons à répondre du mieux possible aux besoins des Allemands de disposer d’un potentiel amphibie à moyen terme. Nous leur avons récemment ouvert un poste d’officier d’échange au sein de notre flottille amphibie. Nous travaillons ensemble et nous menons en commun nos missions dans le cadre de l’opération Atalante.
Comme vous pouvez le constater, la coopération militaire entre nos deux pays continue à se développer autour de projets concrets qui laissent augurer de liens de plus en plus étroits.
A l’heure du 50e anniversaire du traité de l’Elysée, il est important de dresser un bilan de tout ce que nous avons réalisé ensemble car c’est ce qui nous permet d’envisager l’avenir avec confiance.
Sources : EMA