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Discours de Florence Parly, ministre des Armées, devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Mise à jour  : 20/01/2021

Vous trouverez ci-joint le propos liminaire de l’audition de Florence Parly, ministre des Armées, devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 20 janvier 2021.

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les Sénateurs,

 

Permettez-moi d’abord de vous renouveler tous mes vœux de bonne année en cette première audition de cette commission. Je voulais moi aussi vous dire combien je considérais que cette échange sur l’opération Barkhane était légitime, un an après le sommet de Pau. Je crois qu’en effet, le débat est utile.

Comme vous Monsieur le Président, vous comprendrez que je ne puisse pas entamer cet échange sans rendre hommage à nos soldats qui consacrent et qui donnent leur vie à ce combat. Je ne peux pas commencer sans évoquer les noms du sergent-chef Yvonne Huynh, du maréchal des logis Tanerii Mauri, du brigadier-chef Loïc Risser, du brigadier Quentin Pauchet, du brigadier Dorian Issakhanian.

Cinq militaires morts pour la France, tombés pour nous protéger, cinq noms qui résonneront à jamais dans nos mémoires. Nous leur avons rendu hommage au début du mois de janvier à Thierville-sur-Meuse puis à Haguenau – et je souhaite remercier ceux d’entre vous qui étaient présents pour leur rendre cet hommage. Le temps de l’hommage est infini. Et aujourd’hui, je crois peut-être que le plus bel hommage à leur rendre, c’est d’expliquer au mieux quel est ce combat pour lequel ils sont tombés, et quelle est cette mission en laquelle ils croyaient tant.

Je ne suis pas sûre d’expliquer toutes les questions, Monsieur le Président, que vous avez posées dans votre propos liminaire, mais je sais que les questions ultérieures me permettront de compléter ma réponse.

Je souhaiterais d’abord rappeler pourquoi nous sommes au Mali depuis 8 ans. Cela fait donc 8 ans que nous sommes engagés et sur le papier, 8 années d’engagement, c’est conséquent, et il ne faut jamais perdre de vue les raisons et les objectifs de notre engagement. Alors je voudrais commencer par quelques faits simples, que vous connaissez par cœur, mais qu’il me semble néanmoins indispensable de rappeler dans le cadre de cette audition.

Pourquoi sommes-nous intervenus au Mali ? Parce que les autorités maliennes nous l’ont demandé. Parce qu’en 2013, alors que des colonnes djihadistes fonçaient sur Bamako, les autorités maliennes nous ont appelés à l’aide afin d’éviter la chute de leur Etat et son naufrage dans le terrorisme islamiste.

Alors pourquoi, après 8 ans, sommes-nous toujours au Mali ? Parce que le Mali et ses voisins, le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso nous le demandent toujours ; ce sont les vœux qu’ils ont renouvelés sans ambiguïté et avec vigueur au sommet de Pau il y a exactement un an. Parce que combattre le terrorisme au Mali et plus largement au Sahel, c’est la deuxième raison, c’est protéger les citoyens français et européens. 

Alors au Sahel, la France et ses partenaires ont deux ennemis : ils sappellent Daech et Al-Qaïda. Et à vrai dire, peu importent les acronymes et le nom exact de leurs filiales locales, ce sont bien eux dont il s’agit. Deux multinationales du djihadisme, qui n’hésitent pas à déstabiliser les Etats, à soumettre les populations et à cibler de manière indiscriminée les civils pour parvenir à leurs fins ; ce sont deux multinationales djihadistes qui veulent aussi combattre la France et les Français partout où ils le peuvent, comme le prouvent toutes leurs publications qui sont des publications haineuses, comme vous le savez. Et rappelons-nous que ce sont ceux qui ont fomenté les attentats de Ouagadougou et de Grand Bassam, en 2016. Des attentats qui ont tué indistinctement des Français, des Européens et des personnes d’autres nationalités. Des Français qui étaient à la terrasse d’un café, qui étaient en vacances à la plage ou bien qui étaient là tout simplement pour travailler. Des Français qui ont été froidement assassinés d’une balle dans la tête. Et voilà leur idéologie mortifère : infliger le règne du chaos et de la terreur.

Au Sahel donc, la France se bat contre des terroristes qui torturent et assassinent des hommes, qui violent des femmes et qui tuent des enfants.

C’est ça la réalité. Et c’est pour cela que nous nous battons.

Si Daech et Al-Qaïda s’emparent du Sahel, s’ils en font un sanctuaire, alors il y a un risque de les voir s’étendre du Sahel à toute l’Afrique de l’Ouest. Il y a aussi un risque de voir la région déstabilisée devenir une sorte de base-arrière de multinationales terroristes qui par ailleurs menacent publiquement la France. Une base-arrière où il serait possible d’entraîner des djihadistes et de préparer de nouveaux attentats. On a d’ailleurs déjà vu ce que cela a donné en Afghanistan avant 2001, au Levant avant 2014.

Et cela, c’est évidemment un risque pour la France et pour l’Europe. Nous ne voulons pas que le Sahel devienne une sorte d’académie du terrorisme. Et c’est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette évaluation qu’ils s’investissent chaque jour un peu plus au Sahel, chacun selon ses moyens, ses traditions, ses pratiques.

Cette mobilisation croissante de nos partenaires européens et internationaux a été accélérée, vous l’avez souligné, par le sommet de Pau, convoqué par le Président de la République il y a un an, alors que nous sortions d’une série de revers et d’attaques contre les armées maliennes et nigériennes.

Ce sommet nous a tout d’abord permis de fédérer les volontés : les pays du Sahel ont en effet exprimé leur adhésion et leur détermination politique à conduire ce combat avec l’aide de la France. Et depuis Pau, l’engagement des Sahéliens ne s’est plus démenti. Ce sommet nous a aussi permis de mobiliser la communauté internationale autour des enjeux sécuritaires au Sahel et de la nécessaire montée en puissance des forces armées locales, ce qui constitue aujourd’hui l’axe majeur de notre action, je vais y revenir.

Enfin ce sommet nous a permis d’inscrire formellement notre action dans une stratégie globale qui se déroule en quatre temps, ce sont les fameux quatre piliers du sommet de Pau :

·      Lutter contre les groupes armés terroristes ;

·      Renforcer les capacités des forces armées des Etats de la région ;

·      Appuyer un retour de l’État sur tout le territoire ;

·      Aider au développement.

 

Car nous le savons tous, nous ne parviendrons pas à la paix si nous concentrons uniquement nos efforts sur les opérations militaires. Nous ne pouvons pas gagner une guerre comme celle-ci seulement, si je puis dire, en neutralisant les terroristes, car avec le temps ils se régénèrent. Nous devons réussir à transformer les gains tactiques chèrement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux. Car l’objectif de l'action militaire, c’est de préparer le terrain et de créer un espace pour l'action politique et pour le développement.

Alors aujourd’hui, c’est-à-dire un an après le sommet de Pau, les premiers résultats sont là. La situation s’est améliorée. Je le dis évidemment avec une extrême prudence, mais néanmoins nous voyons plusieurs signaux positifs qui doivent nous encourager. Et vous m’offrez, Monsieur le Président, peut-être la possibilité d’exprimer dans le détail certaines actions concrètes que nous menons.

Je voudrais notamment revenir sur une initiative qui est née du sommet de Pau et qui s’appelle « Ménaka sans armes ». C’est une initiative qui est menée conjointement par les forces armées maliennes, les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015, ainsi qu’avec l’appui des Nations Unies et de la Force Barkhane. Cette initiative vise à réduire l’insécurité dans la ville de Ménaka, insécurité que vous connaissez bien car il s’agissait jusqu’à récemment d’un bastion des terroristes dans la région des Trois Frontières.

Concrètement, des FAMa et des casques bleus patrouillent dans la ville. Ils assurent une présence dissuasive et préventive.    

En ce début d’année 2021, la population, les autorités, les acteurs locaux et les partenaires sont unanimes : les résultats de cette initiative sont encourageants. Et je vous livrerai juste une phrase d’un Malien, représentant de la société civile locale qui a déclaré à l’Agence France Presse la chose suivante : « Avant à Ménaka, les gens ne dormaient pas, ils ne savaient pas à quoi s'en tenir. Maintenant, on arrive à dormir, même si la peur persiste. »

Je voudrais maintenant vous dire quelques mots de la Force Takuba qui a été lancée avec nos partenaires européens en mars de l’année dernière. Là aussi, on lit beaucoup de choses sur cette force et je voudrais profiter de l’opportunité que vous m’offrez pour dire peut-être plus précisément qui est cette force, comment elle est organisée, comme elle opère. C’est donc une force complètement nouvelle, qui est composée de forces spéciales européennes, qui est destinée à entrainer puis accompagner les forces maliennes dans leur combat contre le terrorisme.

Concrètement, comment cela marche ?

Il y a d’une part l’entraînement. Que faisons-nous ? Nous partageons nos savoir-faire, notre savoir-être et les actes réflexes d’un combattant avec les forces maliennes. Nous les entraînons à se déplacer, se protéger et réagir en cas d’attaque. Nous revoyons aussi le maniement des armes, nous les formons au respect des règles du droit international humanitaire et du droit des conflits armés.

Ce qui est plus novateur, c’est l’accompagnement au combat, en trois temps : nous leur apprenons à planifier une opération, à la conduire sur le terrain, et à en tirer une expérience, une analyse après action. Concrètement nous combattons ensemble : les Maliens avancent en binôme avec les militaires européens, ils apprennent à utiliser le réseau radio, coordonner les capacités dont ils disposent, planifier les ravitaillements en eau ou en essence, et évidemment engager une action de combat contre les terroristes.

C’est donc une formation qui est conduite de bout en bout, du premier jour d’engagement jusqu’à l’épreuve du feu.

Takuba, c’est aujourd’hui 8 pays européens partenaires mobilisés à nos côtés : la Suède, la République Tchèque, l’Estonie, l’Italie, le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. Et par ailleurs, il faut rappeler que nous sommes politiquement soutenus par l’Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne.

Alors depuis le 15 juillet, Takuba est une réalité opérationnelle et a entamé sa mission auprès des FAMa avec un premier déploiement qui est franco-estonien, qui est composé de 50 militaires (28 Français, 22 Estoniens). Et ce groupe franco-estonien a été engagé dans des opérations majeures, notamment les dernières que vous avez rappelées, menées par Barkhane au mois d’octobre, et a ainsi participé à la saisie de matériel des groupes terroristes. Le premier baptême du feu a été réalisé il y a quelques jours dans la région d’Ansongo près de la frontière du Mali et du Niger. La force en est sortie victorieuse. Et par ailleurs, le groupe franco-tchèque vient d’achever son déploiement et a déjà entamé son entrainement avec une unité malienne. Il sera d’ailleurs bientôt engagé à son tour en opération.

Quant au contingent suédois, il a également commencé son déploiement et il monte en puissance. Il sera composé d’environ 150 militaires, il sera stationné à Ménaka. Il comprendra 3 hélicoptères de manœuvre, un avion de transport tactique, un groupe de forces spéciales qui sera donc en mesure d’intervenir rapidement dans n’importe quel point de la région des trois frontières, complété d’une équipe chirurgicale. Il sera au complet dans quelques semaines.

Par ailleurs, d’autres contributions sont annoncées pour les prochains mois, notamment de la part du Danemark, du Portugal, de l’Ukraine, de la Grèce, de la Hongrie et de l’Italie, dont je voudrais préciser que son Parlement a autorisé en juillet le déploiement d’un contingent pouvant aller jusqu’à 200 militaires et 8 hélicoptères de manœuvre. L’Italie poursuit actuellement ses travaux de planification en vue d’un déploiement à partir de mars de cette année 

Takuba, vous l’avez compris, est et continuera d’être une priorité pour les armées en 2021, comme l’est la formation des forces armées sahéliennes.

En effet, là aussi je voudrais que nous nous remémorions quelques chiffres : car depuis 2014, ce sont 17 000 soldats du G5 Sahel qui ont été formés au combat par la force Barkhane dont 6 000 au cours de la seule année 2020 : cest-à-dire trois fois plus que les années précédentes. Alors je ne vous ai pas parlé de la force conjointe du G5 Sahel, mais je suis certaine que nous pourrons l’évoquer dans le cadre de vos questions.

J’en viens donc au mot de la fin.

Au Sahel, la France n’a pas d’agenda caché. Nous avons un seul objectif : lutter contre le terrorisme, comme nous le faisons dailleurs au Levant.

Alors moi aussi je lis la presse, et je voudrais redire avec force devant notre commission que dire que la France est engluée dans une guerre sans fin est faux. Nous l’avons dit, nous l’avons répété : avec nos partenaires internationaux, notre présence nest certainement pas éternelle, et nous ne resterons que le temps nécessaire pour que les forces armées de nos amis et partenaires sahéliens soient en mesure de mener ce combat elles-mêmes, et pas un jour de plus. C’est l’objectif vers lequel nos efforts collectifs convergent. 

Et comme le Président de la République a eu l’occasion de le dire hier lors de ses vœux aux Armées, je le cite : « les résultats obtenus par nos forces au Sahel, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, vont nous permettre d'ajuster notre effort. »

Nous aurons l’occasion de faire un bilan complet et détaillé de notre action lors du sommet de N’Djamena. Nous aurons l’occasion de discuter avec nos partenaires et nos alliés des orientations que nous souhaitons collectivement donner à notre engagement pour les mois à venir.

Aujourd’hui, je crois que si nous disions aux Français que leur sécurité serait mieux prise en compte si tous nos soldats de Barkhane rentraient demain, si nous disions cela aux Français, je crois que nous ne dirions pas la vérité. Même si je vous le redis haut et fort, notre présence n’est pas éternelle.

Je vous remercie de votre attention et je suis évidemment prête à répondre à vos questions ainsi qu’à celles que vous m’avez déjà posées.