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Discours de Florence Parly devant la commission des affaires étrangère, de la défense, et des forces armées du Sénat.

Mise à jour  : 17/03/2021

Discours de Florence Parly, ministre des Armées

Vous trouverez ci-joint le propos liminaire de Florence Parly, ministre des Armées, devant la commission des affaires étrangère, de la défense, et des forces armées du Sénat.

Seul le prononcé fait foi.

Propos liminaire de Florence Parly, audition devant la commission de la défense du Sénat, le 17 mars 2021 (format pdf, 629.89 KB).

Monsieur le président,

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs,

 

Tout d’abord, merci de m’accueillir aujourd’hui pour dresser le panorama de notre environnement stratégique.

 

Comme vous le savez, à son élection, le Président de la République avait souhaité procéder à une actualisation en quelque sorte du livre blanc, c’était la revue stratégique de 2017, avec un objectif : mener une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale pour pouvoir en tirer les conséquences pour notre défense.

 

Face à un monde totalement bouleversé par la crise sanitaire, il nous a semblé indispensable de procéder à une actualisation, une nouvelle analyse des menaces qui se posent à nous. Cette pandémie a été particulièrement révélatrice de l’incertitude et de l’imprévisibilité de l’environnement dans lequel nous évoluons. Le travail d’actualisation qui a été conduit a mis en lumière la persistance des menaces que nous avions identifiées en 2017. Dans certains domaines, il s’agit plus que d’une persistance, c’est un renforcement voire une accélération de ces tendances que nous observons actuellement : je pense en particulier au délitement de l’ordre international, à l’effritement du multilatéralisme, tout ceci se traduisant par un repli sur soi dangereux et par l’affirmation des logiques de puissances.

 

  1. [Quel contexte stratégique en 2021 ?]

 

Comme nous l’avions déjà identifié en 2017, la première menace à laquelle nous sommes confrontés et contre laquelle nous devons lutter, c’est le terrorisme. Sur le territoire national comme à l’étranger, il menace la sécurité des Français ainsi que nos intérêts nationaux. Nous le combattons au Levant, au Sahel, ainsi que sur notre propre sol. Nous sommes militairement engagés pour empêcher que ne s’implante un arc djihadiste du Golfe de Guinée jusqu’au théâtre irako-syrien, qui serait en mesure de projeter des attentats jusque sur notre territoire national.

La déstabilisation du monde que nous vivons est aussi due à l’émergence de nouveaux espaces de confrontation, aussi bien le cyberespace et la maîtrise de l’information, que les fonds sous-marins ou l’espace exo-atmosphérique, qui est devenu indispensable à la conduite de nos opérations et où certaines puissances réalisent déjà des manœuvres stratégiques. Nos compétiteurs y développent des stratégies hybrides qui s’inscrivent sous l’ombre portée de leur force conventionnelle, voire nucléaire, ce qui ne fait que renforcer l’ambiguïté de ces menaces et brouille les lignes entre guerre, crise et paix. Je peux notamment citer la Russie qui applique ce mode d’action hybride en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Ces activités opaques nous obligent à accroître nos capacités de renseignement pour les déceler, les caractériser et les attribuer, et nous conduisent à renouveler nos postures pour prendre en compte ces évolutions du jeu international.

 

Proche de nous, sur les flancs Nord et Est de l’Europe, la Russie développe depuis plusieurs années une stratégie de défiance afin de maîtriser son environnement proche. Ses démonstrations de forces se multiplient à mesure que ses capacités militaires se renouvellent. La Russie s’est par ailleurs imposée comme l’un de nos principaux compétiteurs stratégiques au Sud de la Méditerranée, au Levant et en Afrique, où elle cherche à sécuriser ses implantations, et où elle n’hésite pas à contester notre action ainsi que le modèle français, en s’appuyant sur des acteurs non-étatiques et des manœuvres de désinformation.

 

Parmi ces compétiteurs stratégiques au sud de la Méditerranée, on compte aussi la Turquie qui a été, ces derniers mois, un acteur déstabilisant, « perturbateur », qui a mené une politique extérieure offensive et agressive, notamment par l’organisation de campagnes de prospection gazière en Méditerranée orientale escortées par de nombreux navires de guerre. La Turquie cherche à s’imposer par la force et par le fait accompli : en violant l’embargo sur les armes en Libye ou bien en s’immisçant dans le conflit au Haut-Karabagh où elle a apporté un appui décisif à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, la Chine avance ses pions. Elle le fait partout où elle le peut dans le monde pour atteindre son objectif, qui est de se hisser au rang de première puissance mondiale d’ici 2049 :  sur les routes de la Soie, en Indopacifique, en Afrique, en Arctique et jusque dans nos territoires outre-mer, la Chine investit massivement et étend sa présence. Elle n’hésite plus à imposer son propre système de valeurs et à bafouer les règles internationales, notamment celles de la libre circulation dans les airs et sur les mers : il y a d’ailleurs depuis le 1er février, une loi qui autorise les garde-côtes chinois à employer des armes en vue de contraindre les navires étrangers à quitter les eaux revendiquées par la Chine. Dans le détroit de Formose, les avions chinois réalisent régulièrement des incursions dans l’espace aérien qui est contrôlé par Taiwan.

 

Toutes ces stratégies de puissance s’appuient sur des dynamiques de réarmement. Malgré la pandémie, on estime que les budgets de défense ont atteint en 2020 dans le monde 1.830 milliards de dollars, ce qui représente une progression par rapport à 2019 de 3,9%. C’est d’autant plus impressionnant lorsqu’on sait qu’en 2019, le montant total des budgets de la défense à l’échelle mondiale avait déjà augmenté de 4%, une augmentation considérée comme la plus forte progression de toute la décennie. Ces augmentations sont naturellement tirées par la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, qui ont vu leur budget de défense augmenter respectivement de 6,3 % et de 5,2 %. Les Etats-Unis représentent à eux seuls 40,3 % des dépenses mondiales avec 738 milliards de dollars, et la Chine en représente 10,6%, avec 208 milliards de dollars.

 

Il y a évidemment de la part de la Chine une volonté très forte de remettre en cause la puissance des Etats-Unis. Nous voyons des concurrences se développer dans tous les domaines, de la compétition commerciale jusqu’à la rivalité militaire. La Chine est ainsi devenue, au 3ème trimestre 2020, le premier partenaire commercial de l’Union européenne et a doublé pour la première fois les Etats-Unis, ce qui est la conséquence directe de l’épidémie de Covid-19.

Nos importations en provenance de la Chine ont augmenté de 4,5% par rapport à 2019, notamment dans les domaines médicaux et électroniques. C’est très révélateur de notre dépendance envers la Chine que nous devons absolument réduire, en particulier dans des domaines que je qualifierais de critiques. Je pourrais citer l’exemple de notre dépendance en minerais critiques, en terres rares, que nous importons de Chine et qui sont indispensables à la fabrication de nos matériels de défense, du Rafale aux drones, en passant par les équipements de télécommunications et les batteries mobiles de nos soldats. Cet enjeu d’accès aux ressources constitue un sujet très important pour nos Armées, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu qu’il soit au cœur de notre stratégie énergétique de défense. Malgré ses efforts pour développer le recyclage et l’écoconception, l’Union Européenne importe entre 75 à 100% des matières premières dont elle a besoin, comme le Cobalt, le Nickel, le Lithium ou le graphite naturel, qui sont utilisées pour la fabrication des batteries électriques.

 

 

  1. [Construire la souveraineté européenne : la réponse adaptée aux menaces recensées]

 

Ce contexte stratégique, certes très sombre, il ne faut pas non plus le regarder avec fatalité. Car nous avons les moyens d’agir.

 

Nous avons des forces armées très performantes, très entraînées et qui se perfectionnent chaque jour pour rester à la pointe des combats qui émergent. Je pense par exemple à l’exercice AsterX auquel le Président de la République a assisté vendredi dernier. Le tout premier exercice militaire spatial, où nous avons simulé une attaque de nos satellites.

 

Je pense aussi à un autre exercice, dont je voudrais maintenant vous révéler les grandes lignes, qui a été mené le 13 mars dernier, la semaine dernière. Les forces armées françaises ont conduit un exercice inédit de contre-terrorisme en Méditerranée, au large de la Crète.

Imaginez une prise d’otage sur un navire commercial : des terroristes qui prennent le contrôle d’un navire et qui en font une base de tir sur l’eau. Voilà le scénario qui a mobilisé toute la palette du haut du spectre de nos moyens terrestres, navals et aériens. En seulement quelques heures, des commandos marine ont été projetés par avion sur zone avec une embarcation légère d’assaut. Des Rafale et des hélicoptères Caracal ont décollé de France pour rejoindre le navire sous le contrôle des terroristes, à 2000 kilomètres de nos bases, et se sont engagés directement dans sa libération.

 

Cette manœuvre a mobilisé 450 militaires, des soldats de l’armée de terre, des aviateurs, des bâtiments de la Marine qui opèrent régulièrement dans cette zone, ainsi que d’importants moyens de commandement et de contrôle. L’assaut a été bref grâce à la très forte réactivité de nos forces et à la capacité de projection de nos armées.

 

Avec cet exercice au fond, nous portons un message. Sous notre vigilance française et européenne, ce message c’est que la Méditerranée ne sera jamais un espace de non-droit. J’attire votre attention sur le fait que seulement trois Nations dans le monde sont capables de conduire une telle opération, et la France est l’une d’elles. La France a la volonté de participer à la préservation de la sécurité et de la stabilité du bassin méditerranéen, aux côtés de ses alliés. En projetant à longue distance ses moyens d’intervention et en mettant en œuvre son savoir-faire exceptionnel, la France montre qu’elle a les moyens de se défendre avec ses alliés.

 

Car oui, nous avons les moyens mais nous devons le faire ensemble. C’est essentiel pour ne pas subir de déclassement stratégique.

 

Le renforcement de l’autonomie stratégique européenne est la solution pour faire face à ces nombreux défis, et ce en bonne intelligence avec l’OTAN évidemment. Car pour avoir une alliance atlantique forte, il faut aussi une Europe forte.

 

Cette Europe forte, c’est d’abord une Europe que je qualifierais de terrain. La Force Takuba que nous opérationnalisons en ce moment au Sahel est une grande réussite sur ce plan. De nombreux militaires issus des forces spéciales de différents pays européens combattent quotidiennement côte à côte contre le terrorisme. J’aurai l’occasion de m’entretenir prochainement à ce sujet avec mes homologues suédois, tchèque, estonien et italien, ainsi qu’avec des représentants d’autres pays qui réfléchissent à nous rejoindre. L’engagement des Européens au Sahel va évidemment bien au-delà de Takuba, ils sont très nombreux au sein de l’opération Barkhane ainsi que dans les missions de l’Union européenne et des Nations Unies.

 

Ainsi, de plus en plus d’Européens s’engagent pour lutter contre l’expansion de ces mouvements terroristes qui menacent directement le territoire européen. Et c’est une excellente nouvelle que l’Europe ose s’élever pour défendre ses intérêts, son territoire et ses citoyens. Cette dynamique européenne, nous la forgeons tous les jours davantage grâce à l’initiative européenne d’intervention.

 

La Présence Maritime Coordonnée qui sera prochainement expérimentée dans le Golfe de Guinée, où la piraterie reste malheureusement prégnante et qui fait l’objet d’un pillage de ses ressources, procède exactement de la même logique. Elle permettra de renforcer notre culture d’engagement en commun, tout en défendant le principe fondamental de liberté de circulation sur les mers.

 

Cette Europe forte dont je vous parle, c’est aussi une Europe industrielle et innovante. Le renforcement de notre interopérabilité se fera par le développement de capacités communes et la réduction de notre dépendance technologique et industrielle.

 

Aujourd’hui, nous devons mener à bien les projets capacitaires en cours avec l’Allemagne, je pense bien entendu au SCAF et au MGCS mais également au Tigre avec l’Espagne et à l’Eurodrone avec l’Italie.

Pour ce qui concerne le SCAF, avec ma collègue, ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, nous avons demandé aux industriels de poursuivre leurs discussions pour aboutir à un accord concernant le démonstrateur de l’avion. C’est une phase essentielle et une phase qui doit absolument tenir compte des grands principes que nous avions actés en 2017, c’est-à-dire l’identification de responsables pour chaque chantier du programme ainsi que le principe du meilleur athlète. C’est un principe sur lequel on ne peut pas transiger : pour nos militaires, pour les jeunes ingénieurs ou techniciens qui s’engageront dans ce projet, pour nos concitoyens, car nous devons être absolument certains que c’est bien la performance qui guide notre choix quand il s’agit de notre défense et que nos militaires seront équipés du meilleur armement possible.

 

Cette Europe forte, c’est également une Europe stratège, capable de nouer des partenariats forts qui lui permettront d’affirmer sa place sur la scène internationale. C’est enfin une Europe solidaire et résiliente, capable de mieux se défendre aux tentatives extérieures de division ou d’affaiblissement.

 

  1. [Conforter et poursuivre la remontée en puissance de notre outil de défense]

 

Pour construire cette Europe forte, nous avons évidemment besoin d’être plus forts au plan national. Et cela implique de poursuivre les efforts de remontée en puissance de nos armées, que nous mettons en œuvre depuis plus de 3 ans maintenant.

 

Je crois que nous pouvons avoir collectivement la satisfaction de dire que nous sommes sur la bonne voie. Le strict respect de la loi de programmation militaire en est la preuve. En 2020, les investissements d’équipements de défense se sont élevés à 28,1 milliards d’euros. On estime que 1 million d’euros de chiffre d’affaire réalisé dans le domaine de la défense génère entre 7 et 8 emplois, sans compter le domaine du bâtiment, des travaux publics, et des infrastructures. Ainsi, l’évolution de la ressource budgétaire prévue en LPM créerait environ 25 000 emplois directs supplémentaires d’ici à 2022 et jusqu’à 70 000 à l’horizon 2025.

 

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces dépenses profitent à tous. Une industrie de défense performante, ce sont des emplois pour les Français et des armées plus fortes. Des armées fortes, ce sont des Français protégés, et ce, en toutes circonstances. Nous pourrons d’ailleurs lors de vos questions évoquer peut-être plus en détail notre récente participation aux actions coup de poing de vaccination en France, ou au soutien particulier que nous apportons aux outre-mer pour faire face à la crise sanitaire.

 

Dans cet environnement stratégique dégradé, la vitalité, la force et l’agilité de nos armées seront essentielles pour garantir la sécurité et la protection de nos intérêts, de la France et des Français.

 

Merci beaucoup de votre attention et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.