Lors du Ravitaillement à la mer effectué entre le BCR Somme et la FS Nivôse, le 28 avril dernier, le Vice-amiral Bruno Nielly, ALINDIEN, a brièvement embarqué à bord de la frégate de surveillance Nivôse. L'Amiral a accepté de répondre à nos questions. Les échanges ont naturellement traité des questions de piraterie.
Amiral, vous avez pris le commandement d'ALINDIEN le 4 août 2009. ALINDIEN contribue au soutien de la lutte contre la piraterie en Océan Indien, en particulier dans le cadre de l'opération Atalanta depuis ses débuts. Quels sont les moyens mis à disposition par la France à cette opération ?
En permanence, une frégate et un avion de patrouille maritime basé à Djibouti sont mis à disposition de l'opération. L'avion opère soit à partir de Djibouti, soit à partir de Mombasa, ou encore des Seychelles. Selon les périodes, des renforts sont déployés : on peut compter jusqu'à deux ou trois frégates, ou 2 frégates et un aviso. On peut même se réjouir d'avoir des bâtiments de passage, comme en ce moment le groupe Tonnerre-Georges Leygues, qui soutiennent également cette opération durant leur présence dans le nord de l'Océan Indien.
Quelle est votre vision de l'évolution de la piraterie dans le golfe d'Aden et le bassin somalien ces derniers mois ?
Depuis le début de cette opération, commencée il y a dix-huit mois, je crois que l'on peut se féliciter d'un premier bilan, qui est la quasi-sécurisation du tronçon de route maritime constitué par le Golfe d'Aden. Avec le dispositif de couloir recommandé pour les navires de commerce (IRTC), qui fait en permanence l'objet de patrouilles d'une demi-douzaine de bâtiments de guerre, il n'y a pratiquement plus d'attaques dans cette partie de l'Océan indien.
Le deuxième constat que l'on peut faire, c'est le réel succès obtenu dans la coordination des différentes opérations de lutte contre la piraterie qui sont actuellement en cours dans l'Océan indien et en particulier dans le bassin somalien au début de la période d'inter-mousson que nous vivons actuellement.
Les différentes opérations ont pu démanteler en quelques semaines près d'une quarantaine de groupes de pirates, ce qui porte un vrai coup au potentiel de soutien et d'attaque des pirates de Somalie.
La participation de la France à l'opération Atalanta n'a jamais été aussi importante en termes de moyens engagés. Comment voyez-vous la place de la marine nationale dans cette force navale européenne ?
Elle a, je le dis parce que je le sens, une place très importante, une place de tout premier plan. Pourquoi ? D'abord parce que notre pays a été moteur, au Conseil de sécurité, au sein de l'UE, pour promouvoir cette mobilisation internationale presque sans précédent dans le domaine maritime. Ensuite, parce que la Marine est engagée de manière continue, je l'ai dit, avec des frégates de surveillance basées à la Réunion, des frégates de type Lafayette qui sont déployées depuis la métropole, des patrouilleurs de haute mer ainsi que par un ou plusieurs avions de patrouille maritime du type Atlantique 2 ou Falcon 50.
Et le couple frégate porte-hélicoptères - avion de patrouille maritime est un couple irremplaçable pour la détection, l'interception, et la capture des groupes de pirates. La participation de la France est donc parfaitement adaptée aux besoins, et c'est pour ça que je dis que la France occupe l'une des premières places au sein de cette opération européenne.
Dans cette lutte au long cours, qui dure depuis un an et demi déjà dans le cadre d'Atalanta, quel est selon vous le (ou les) succès marquant à l'actif de la Marine nationale ?
Vous vous souvenez certainement des prises qui ont été effectuées par la frégate Floréal à la fin de l'année dernière, comme de celles réalisées par la frégate Nivôse au début du mois de mars de cette année. Ce n'est pas un concours : le succès ne se mesure pas au nombre de pirates capturés ou au nombre de groupes de pirates démantelés, mais l'intervention de ces frégates, de leurs équipages, leur permanence dans le bassin somalien qui est une des zones les plus difficiles à contrôler, apporte indéniablement de la sécurité au trafic marchand, justement parce qu'elle participe à démanteler les groupes de pirates partis en mer en nombre au début de la saison d'inter-mousson.
Le principal succès, c'est l'efficacité des moyens déployés. Ce succès repose sur l'intelligence tactique des équipages, leur pugnacité, leur imagination et l'excellente préparation à la mission.
Vous étiez il y a quelques années chef de la section Union européenne à l'Etat-major des Armées, puis directeur de cabinet du général Henri Bentégeat, président du Comité militaire de l'Union européenne (2006 - 2009). En quoi l'Europe est-elle une donnée fondamentale dans la réalisation d'un espace maritime sécurisé ?
La première raison réside dans le fait que la route maritime essentielle qui va de Malacca à Suez, et qui va du Golfe arabo-persique à Suez est pour l'Europe absolument stratégique. Plus de 90 % des marchandises consommées en Europe transitent par cette route, et plus de 30 % des ressources énergétiques consommées en Europe proviennent du golfe arabo-persique et empruntent cette route. Donc il n'est pas question pour l'Europe de laisser ne serait-ce qu'un tronçon de cette route menacé par un phénomène tel que la piraterie. L'Europe, d'abord, y défend ses intérêts.
Ensuite il faut souligner que l'opération Atalanta est la première opération navale de l'Union européenne. L'UE a conduit, depuis des années, des opérations militaires, mais c'est la première mission aéronavale. Et d'emblée, Atalanta a été un grand succès. Atalanta s'est imposée dans la zone comme l'opération leader, principalement parce que l'UE est la seule organisation internationale qui a été capable dans cette lutte contre la piraterie de proposer une approche globale, qui va de l'action militaire à l'action judiciaire et à la diffusion des bonnes pratiques vers les armateurs du monde entier. Avec les accords passés entre l'UE et les pays de la région comme le Kenya et les Seychelles, les militaires européens qui capturent des pirates savent que ces pirates seront remis à des autorités judiciaires et qu'ils seront jugés.
Je note enfin que c'est également l'Union européenne qui est à l'oeuvre avec la mission EUTM pour former, en Ouganda, des soldats somaliens (2000 en 2010), car la fin de la piraterie viendra avec la stabilisation de la Somalie qui nécessite des forces de sécurité entraînées.
A tous ces égards, l'Union européenne a joué, et continue de jouer un rôle de premier plan, celui d'un acteur stratégique majeur sur la scène internationale.
Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense