Unité de conseil auprès du centre de commandement des opérations interarmées irakien (Joint operations command – Irak - JOC-I), la Joint operations command advisory team (JOCAT) poursuit sa montée en puissance. Arrivé au terme de son mandat, le colonel Laurent, premier commandant de cette unité nous livre ses impressions et dresse le bilan de ce temps de commandement inédit.
Mon Colonel, au terme de ce premier mandat à la tête de cette unité, quel bilan retirez-vous de cette expérience tant interarmées qu’interalliée ?
- Ce premier mandat représente une expérience humaine, militaire et opérationnelle très forte. La relation avec le partenaire irakien a été riche, dans un pays à la sortie d'un conflit meurtrier et toujours en crise. La relation quotidienne avec les experts des 13 autres nations du JOCAT et le leadership américain au sein du Military advisory group (MAG) ont représenté également des expériences enrichissantes en raison des différences de culture et d'approche de l'efficacité opérationnelle d'un état-major opératif. Le bilan est très positif, car nous avons mis en place une structure qui doit permettre, en très étroite collaboration avec le partenaire irakien, de placer les Forces de sécurité irakienne (FSI) à un niveau opérationnel optimal selon des objectifs à court et moyen terme, leur permettant de conserver, avec leurs propres moyens et sur le long terme, l'ascendant sur Daech.
Quel principal fait marquant retenez-vous de ces six mois ?
- La relation avec les Irakiens et la place privilégiée de la France dans ce pays. Nous demeurons un allié fiable sur lequel les Irakiens comptent, et tous les membres de la coalition partagent ce sentiment envers les experts français. Grâce au souvenir favorable des collaborations franco-irakiennes passées (notamment la formation de pilotes et la formation en artillerie), l'équipe des experts français et moi-même, nous avons toujours été attendus et écoutés. Cela a grandement facilité notre tâche et nous avons tout fait pour être efficaces, mais aussi représentatifs, pour faciliter la tâche de nos successeurs, dans ce domaine immatériel diplomatique et militaire, basé sur une relation de confiance et d'estime.
En tant que « fondateur » de l’unité et compte tenu de l’ampleur de la tâche et des enjeux associés, par quoi avez-vous commencé en partant de rien ? Quelle a été, en quelque sorte, votre stratégie pour bâtir la structure ?
- L'objectif majeur était clair : il fallait passer de la phase III à la phase IV de l'opération OIR, dédiée à la stabilisation, en recentrant nos activités sur la mission de conseil auprès de l'état-major opérationnel irakien. Il fallait donc définir une feuille de route commune à la construction de toute entité : tout d'abord, arrivée des experts, installation des bureaux, des réseaux et des salles de briefing, définition d'un rythme de travail et d'objectifs à court et moyen terme. Nous sommes passés de 6 experts à 40 en fin de mandat. Après cette installation physique indispensable, le premier objectif était de mettre en place une relation de confiance avec le partenaire irakien, pour chaque expert du JOCAT. Puis de développer avec lui un rythme de réunions bilatérales pour définir les forces et faiblesses des FSI à ce niveau opératif. Ainsi, l'observation de leurs opérations quotidiennes et l'analyse de leur efficacité, à leurs côtés, ont permis d'identifier les voies d'amélioration et les priorités de cette mission de conseil. Les Irakiens possèdent de solides compétences militaires liées à l'expérience de nombreuses guerres et du matériel de bon niveau. Nous sommes là pour combler leurs lacunes en emploi des systèmes et en cycle de travail collaboratif et de décision, qui demeurent culturellement différents de nos références. Ainsi, quelques recettes d'emploi leur permettront d'optimiser certains moyens limités en nombre et de faire face à des engagements multiples, en planifiant et en gérant les priorités. L'approche globale du conflit avec les perspectives d'actions non cinétiques (information, influence) est également une priorité de conseil. Mais ces processus ne peuvent pas être maîtrisés parfaitement en quelques jours, c'est donc une mission qui connaîtra des résultats solides sur le long terme. Nous ne sommes pas dans le cadre d'un exercice, il s'agit d'une guerre contre des terroristes qui nécessitent des processus simples, efficaces et qui permettent de s'adapter à toute situation sur le terrain et pour lesquels nous devons vérifier ensuite la bonne utilisation en pratique, aux côtés de l'état-major irakien, le JOC-I. L'accompagnement pour les premières étapes est un facteur majeur d'efficacité et nécessite un engagement de chaque instant pour les experts de la coalition et du JOCAT.
Nous sommes loin de votre spécialité de contrôleur de circulation aérienne : quelles compétences et quelles aptitudes avez-vous le plus mises en œuvre au quotidien dans la réalisation de la mission qui vous était confiée ?
- Ma carrière de contrôleur aérien n'était effectivement pas au cœur des compétences nécessaires, sauf pour quelques réunions liées aux problématiques de maintenance aéronautique, d'espace et de déconfliction des moyens aériens, plus faciles à gérer en venant de ce milieu. Mais j'ai eu principalement des problématiques opérationnelles des forces terrestres et des opérations interarmées à optimiser. C'est surtout la formation générale d'officier de l'armée de l'air qui m'a permis de mettre en place une capacité d'organisation, de leadership et de sérieux. Ensuite, les qualifications opératives obtenues au cours de ma carrière m'ont permis d'apporter une expertise en organisation d'un état-major opératif, de rationaliser les processus d'état-major existants et de décrire les compétences interarmées à mettre en place de façon théorique, mais surtout pratique, adaptées à l'organisation spécifique des FCI et à la situation de l'ennemi.
Quel est le premier conseil que vous avez donné à vos interlocuteurs irakiens puis à votre successeur ?
- Les Irakiens ont conscience de leur besoin de progresser dans le travail collaboratif afin de présenter à la décision du chef les différentes options permettant d'obtenir les effets militaires de la campagne. Il a donc été simple de les conseiller de travailler ensemble, dans de nombreuses fonctions interarmées (renseignement, ciblage, influence, approche globale du conflit) en tentant de combattre leur culture du chef unique, qui quelquefois bloque les efforts. Mon successeur, le colonel Damien, arrive avec une expérience impressionnante de responsable en état-major opératif et dans différents domaines interarmées et militaires qui lui permettra sans nul doute de poursuivre et de développer la mission de conseil selon un plan qui doit continuellement s'adapter au contexte. Je lui ai conseillé de ne pas être trop frustré si les résultats ne sont pas immédiats et d'être patient.
Quelle est (ou quelles sont) la (les principale(s) difficulté(s) qui reste(nt) à aplanir, selon vous désormais ?
- La principale difficulté est de rester sur ce plan de conseil, sans en dévier trop selon les aléas, inévitables, de la vie quotidienne. Une mission de conseil s'entend comme une mission de long terme. Imaginer obtenir un changement et des résultats en une semaine sur des processus de travail collaboratif interarmées n'est pas réaliste, surtout lorsque l'on adapte des habitudes culturelles pour obtenir de meilleurs résultats. Mais c'est le lot de toute mission complexe, caractéristique du contexte en Irak et de cette mission de conseil.
Et maintenant ? Quelles perspectives au terme de ce mandat à court et moyen terme ?
Ce mandat de construction d'un état-major et d'une mission de conseil auprès d'un partenaire étranger me servira sans nul doute dans toute prochaine affectation pour laquelle l'activité sera de conduire un projet ou de gérer du personnel très varié.»
Lancée depuis le 19 septembre 2014, l’opération CHAMMAL représente le volet français de l’opération internationale INHERENT RESOLVE (OIR) rassemblant 80 pays et organisations. En coordination avec le gouvernement irakien et les alliés de la France présents dans la zone, l’opération CHAMMAL apporte un soutien militaire aux forces locales engagées dans la lutte contre Daech sur leur territoire. La Coalition internationale adapte en permanence son dispositif au Levant et la France poursuit son effort dans la région, car le combat contre le terrorisme continue. L’opération CHAMMAL se concentre désormais sur son pilier « appui » et compte 600 soldats insérés au sein des états-majors d’OIR ou sur les déploiements aériens et maritimes.
Sources : État-major des armées
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