LCI
L'INVITE - Le 08/11/2004
Jean-François RABILLOUD
Pierre-Luc SEGUILLON, vous êtes en direct avec le chef d'état major des Armées, le général Henri BENTEGEAT.
Pierre-Luc SEGUILLON
Vous avez dit hier soir que l'armée française avait le contrôle de la situation en Côte d'Ivoire, est-ce que cela signifie l'arrêt des pillages et la sécurité assurée des biens et des personnes, notamment des ressortissants français en Côte d'Ivoire ?
Henri BENTEGEAT
Nous avons, comme vous le savez, 20.000 Français actuellement en Côte d'Ivoire, c'est-à-dire qu'il nous est impossible d'avoir un soldat derrière chaque Français. Ceci étant, nous sommes actuellement en mesure d'exercer nos deux missions en Côte d'Ivoire, la première qui est bien sûr prioritaire pour nous, c'est de la protection générale de nos ressortissants et la deuxième qui est l'application de la résolution des Nations unies, interdit à l'une des deux parties en conflit de reprendre l'avantage sur l'autre et les contraint de passer dans le cadre des accords de Marcoussis.
Pierre-Luc SEGUILLON
Est-ce que en l'état actuel de la situation, vous avez préparé, si c'était nécessaire, un plan d'évacuation des ressortissants français ? Est-ce que cette évacuation, si cela était nécessaire, pourrait se faire très rapidement ?
Henri BENTEGEAT
Bien sûr cette évacuation pourrait se faire, certainement pas très rapidement mais elle pourrait se faire. Bien sûr, nous avons planifié, nous planifions toujours tout, mais je crois que ça n'est absolument pas d'actualité maintenant. Aujourd'hui si vous voulez, depuis 24 heures nous avons récupéré et protégé à peu près un millier de personnes, ce sont des personnes directement menacées ou qui se sentaient directement menacées, mais la très grande majorité des Français sont restés dans leur maison. Ce que nous voulons d'abord, c'est assurer leur protection là où elles se trouvent. Et je crois que s'il n'y a pas d'erreur, si certains n'essaient de lancer de nouvelles provocations dans les jours à venir, normalement la situation devrait se calmer et nous devrions pouvoir, petit à petit, permettre à tout le monde de rentrer chez soi.
Pierre-Luc SEGUILLON
Alors vous avez actuellement un peu plus de 4.000 hommes en Côte d'Ivoire, vous comptez accroître cette force française de combien, et plus précisément est-ce que vous comptez faire appel aux forces françaises stationnées à Djibouti ?
Henri BENTEGEAT
En ce qui concerne les forces françaises stationnées à Djibouti, elles ont déjà participé à beaucoup d'opérations de maintien de la paix, dans lesquelles nous avons été engagées, mais elles ne sont pas concernées dans l'immédiat. Nous avons maintenant un peu plus de 5.000 hommes présents en Côte d'Ivoire. Nous avons en fait renforcé concrètement notre dispositif d'un peu plus de 700 hommes, dont un escadron de gendarmerie mobile.
Pierre-Luc SEGUILLON
Est-ce que les forces onusiennes qui sont là, les 6.000 hommes destinés à faire respecter les accords de Marcoussis, ont pu ou peuvent avoir un rôle dans le maintien de la sécurité des personnes ?
Henri BENTEGEAT
Elles ont d'abord un premier rôle, qui est essentiel et qui est essentiel pour nous aussi, qui est celui de faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité, comme je le disais tout à l'heure, et d'une manière générale les accords de Marcoussis et d'Accra. Ce rôle-là, elles l'ont rempli et elles continueront de le remplir, elles vont le remplir de mieux en mieux puisqu'elles ont désormais reçu les moyens du Conseil de sécurité pour exercer leur mission dans les meilleures conditions. Maintenant, en dehors de cette mission-là, elles concourent effectivement à la stabilité et à la sécurité générales, et nous avons bien l'intention de travailler très étroitement, comme nous l'avons toujours fait avec eux, dans les jours à venir.
Pierre-Luc SEGUILLON
Est-ce que dans leur entreprise de maintien de l'ordre et de la sécurité, précision de votre part, les forces françaises ont fait des victimes au niveau de la population ivoirienne, combien de victimes ?
Henri BENTEGEAT
Je crois qu'il ne faut pas oublier que nous avons eu 9 morts, plus de 35 blessés, que comme je l'ai déjà dit, on ne peut pas tuer impunément des soldats français. Les soldats français, après cette tuerie, agression totalement imprévue et dramatique, les soldats français ont réagi avec un calme, un sang froid, une retenue extrême. S'ils ne l'avaient pas fait, dans les circonstances dans lesquelles ils se sont trouvés face à des pillards, des voyous de toutes natures, des agressions qui se sont multipliées au cours des dernières 24 heures, il y aurait aujourd'hui des centaines de morts en Côte d'Ivoire. Ceci ne s'est pas produit parce que nos gens ont fait preuve d'une exceptionnelle retenue. Qu'il y ait eu, quand nous cherchions à extraire des ressortissants français qui étaient menacés, qu'il y ait eu dans des cas de légitime de défense, quelques victimes du côté de nos agresseurs, je ne le nie évidemment pas. Mais croyez-moi, le nombre a été extrêmement réduit, extrêmement limité, et n'a rien à voir avec l'horreur que ça aurait pu être si nos gens n'avaient pas fait preuve d'un très grand professionnalisme.
Pierre-Luc SEGUILLON
En ce qui concerne le raid des Ivoiriens à l'encontre de l'armée française à Bouaké, qui a fait 9 victimes, vous venez de l'évoquer, est-ce que ce raid n'aurait pas pu être évité par un désarmement le vendredi, voire le jeudi, de l'aviation ivoirienne, alors que celle-ci avait précisément commencé à rompre le cessez-le-feu et à bombarder les rebelles ?
Henri BENTEGEAT
Je crois qu'il faut que l'on soit très clair, nous avons une mission, la France ne fait pas ce qu'elle veut en Côte d'Ivoire.... Les forces françaises avaient reçu une mission des Nations unies qui était très claire, et cette mission n'était pas de régler elle-même tous les problèmes de désarmement et d'application des accords, cette mission était exclusivement de venir au secours des forces des Nations unies, des Casques bleus, si ceux-ci le demandaient. Nous n'avions donc pas à prendre l'initiative de désarmer, d'arrêter, d'interdire tout décollage des aéronefs militaires ivoiriens. Si l'ONUCI nous l'avait demandé nous l'aurions fait. Ceci n'a pas été le cas, pour des raisons qui étaient liées notamment aux règles d'engagement fixées aux Casques bleus, mais il est bien clair que chaque fois que les Casques bleus ont fait appel à nous, nous sommes intervenus.
Pierre-Luc SEGUILLON
A votre connaissance, ces avions russes, ces deux avions russes SUKHOI étaient pilotés par des mercenaires ?
Henri BENTEGEAT
Ces avions étaient pilotés à la fois par des mercenaires et par des pilotes ivoiriens.
Pierre-Luc SEGUILLON
Des mercenaires ukrainiens comme certains l'ont dit ?
Henri BENTEGEAT
Alors il y a des mercenaires de différents pays, je crois qu'il faut maintenant qu'on considère que cette page-là est tournée. Nous avons été agressés, nous avons répliqué... cette affaire est terminée pour nous. Depuis, il y a eu le discours du président GBAGBO, il y a un effort maintenant pour retourner à la norme et à la règle de droit, et c'est le seul objectif que nous poursuivons dans les jours à venir.
Pierre-Luc SEGUILLON
Mais comment est-ce que les mêmes causes ne vont pas avoir les mêmes effets dans l'avenir, est-ce qu'il n'y a pas une ambiguïté de la position de l'armée française, qui est à la fois là pour arbitrer et faire respecter les accords de Marcoussis, et en même temps, position peut-être jugée partisane par les Ivoiriens, protéger les intérêts français ?
Henri BENTEGEAT
L'armée française n'a pas de position, l'armée française n'a que les positions des missions que lui donne le président de la République. Deuxièmement, il n'y a pas d'ambiguïté, il y a une double mission qui est à la fois de faire appliquer les accords de Marcoussis et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, et la deuxième mission qui est une mission que nous avons partout dans le monde en permanence, qui est de protéger non pas les intérêts français, mais de protéger les ressortissants français, ressortissants français et étrangers parce qu'au passage, nous avons quand même, comme vous le savez, évacué un très grand nombre de Belges, d'Allemands, de Libanais depuis 2 jours.
Pierre-Luc SEGUILLON
Merci beaucoup mon général.
Henri BENTEGEAT
Mais je vous en prie. Au revoir Monsieur.
Sources : EMA
Droits : LCI