Mon cher camarade,
Les hommes raisonnent toujours avec une « guerre de retard ». Tel est le constat tristement lucide de Marc Bloch, dans L’Étrange défaite. Cet ouvrage, écrit à la fin de l’année 1940, résonne comme une exhortation pressante à conserver une « paix d’avance », par une vigilance redoublée vis-à-vis de tout ce qui mine, petit à petit, les équilibres chèrement acquis.
Car, la paix ne va jamais de soi ! Il faut la conquérir et, une fois conquise, la préserver. L’idée que, dans ce combat, la force serait dépassée est, évidemment, erronée. Mais croire que la force seule pourrait relever ce défi immense est une dangereuse illusion.
On ne compte plus les batailles gagnées, qui se sont soldées par des paix gâchées et, finalement, perdues ! Vérité simple que le maréchal Lyautey résumait ainsi : « Rien de durable ne se fonde sur la force ».
En mettant fin à une situation de chaos, en ruinant la puissance matérielle et morale de l’adversaire, l’action militaire permet de créer les conditions d’un retour à la paix. Pour cela, elle doit être préparée avec minutie et pensée à la lumière vive de l’engagement opérationnel. L’énoncé est évident. La réalité, beaucoup moins !
Je le dis souvent : « gagner la guerre ne suffit pas, et ne suffira jamais, à gagner la paix ». Une stratégie construite autour des seuls effets militaires passe à côté des racines de la violence qui se nourrissent du manque d’espoir, d’éducation, de justice, de développement…
La conquête de la paix exige, par conséquent, une action constructive qui permette que se dressent des échafaudages plutôt que ne se multiplient les ruines. Souvent qualifié de « soldat et bâtisseur », le militaire français y a sa part. Cette culture vient de loin. Le maréchal Lyautey - encore lui - offre le plus pur exemple de cet état d’esprit : « Tous les officiers savent s'emparer d'un village à l'aube ; moi, je veux des officiers qui sachent s'emparer d'un village à l'aube et y ouvrir le marché à midi ». A cet effet, il ne faut rien détruire – qui ne soit absolument nécessaire – mais, au contraire, tout relever et tout restaurer.
Le militaire y a sa part, mais il n’est, évidemment, pas en capacité d’y parvenir seul. C’est la raison pour laquelle, comme chef d’état-major des armées, j’insiste pour que l’effort de défense soit accompagné par un effort en matière de développement. Les deux font la paire ; une paire gagnante, à condition de ne pas être différée ou sous-dotée.
Pour terminer, je rappellerai simplement les mots que le général de Gaulle a prononcés, le 10 mai 1961, à l’occasion du transfert des cendres du maréchal Lyautey, du Maroc aux Invalides : « L’avenir n’est nulle part ailleurs que dans le développement ». Autrement dit, il ne peut y avoir de sécurité sans développement, ni de développement sans sécurité. C’est le prix à payer pour une paix durable, une paix d’avance. La victoire naît de cet équilibre. La victoire dont j’ai choisi de faire le thème de ma prochaine lettre.
Fraternellement,
Général d’armée Pierre de Villiers
Sources : État-major des armées
Droits : Ministère des Armées