Mon cher camarade,
Je profite de cette courte trêve de Pâques, propice à la respiration et au recul, pour vous écrire, un peu plus longuement que d’habitude, sur un sujet qui m’est cher : la persévérance.
Cette vertu essentielle du soldat n’a rien d’évident. Dans les difficultés – celles douloureuses de la guerre, comme celles pénibles du quotidien – nous sommes, assez fréquemment, tentés par le découragement. Moins par manque de force que par la défaillance, bien humaine, de notre volonté.
C’est d’autant plus vrai en ces temps où nous baignons dans la culture ambiante du « temps court » et du zapping qui ne valorise ni l’engagement, ni la patience, ni la persévérance. La jeune génération, à laquelle vous appartenez, est particulièrement concernée : tout l’attire, mais rien ne la retient. N’y voyez pas un reproche ! Une telle attitude, lorsqu’elle est maîtrisée, permet d’éviter le piège qui pouvait guetter, parfois, les générations plus anciennes : la routine.
Mais cette versatilité, lorsqu’elle est érigée en système, ouvre sur le vide. Le vide sur lequel, par définition, on ne peut rien construire de stable, de durable, de grand. Le vide que résume la trop fameuse question : « à quoi bon ? ».
A quoi bon m’engager, puisque toutes les causes se valent ? A quoi bon donner et me donner, si je n’en retire pas un bénéfice immédiat ? A quoi bon poursuivre, si je peux multiplier les expériences faciles ? A quoi bon risquer ma vie, si je peux tout aussi bien en changer ? Avec un tel raisonnement, une chose est sûre : il est illusoire d’espérer remporter la moindre victoire, pas plus sur soi-même que sur l’adversaire.
A rebours de cette attitude stérile, il y a la persévérance, car c’est par l’effort que l’on s’élève. La persévérance est une vertu essentielle du soldat, qui rime avec espérance. On ne trouve la force de persévérer que dans sa capacité à espérer. A l’appui de cette espérance, il y a une triple conviction :
La première est celle que nous nous battons, d’abord et avant tout, pour « gagner la paix ». L’idée que le Maréchal Foch a, ainsi, résumée : « Au-dessus de la guerre, il y a la paix, notre seule conquête ». Cette phrase est pleine d’actualité. Elle constitue notre véritable honneur de militaire.
La deuxième conviction est, en réalité, un constat : la victoire est le fruit d’efforts fructueux, certes, mais aussi d’efforts, en apparence immédiate, parfois infructueux. Tous convergent, pourtant, vers un seul et même but : opposer à l’ennemi une ténacité plus grande que la sienne. Autrement dit, le chemin vers la victoire ne pourra jamais se résumer à la simple somme des succès enregistrés. Il est jalonné d’échecs, obscurci par le doute, retardé par les revers. Comme l’a dit Churchill : « Le succès n’est pas final. L’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte ». Au terme du parcours, la victoire se donne toujours, non à celui qui aura rencontré un minimum d’obstacles, mais à celui qui aura su trouver la ressource pour les surmonter tous, avec constance et sans forcément compter son temps.
La troisième conviction, source d’espérance, pourrait se résumer ainsi : rien ne résiste à la conjugaison des volontés individuelles, mêmes fragiles. Je vous l’ai déjà écrit : notre trésor, c’est notre cohésion. C’est elle qui nous assure de pouvoir compter sur le camarade pour suppléer le « coup de mou », la petite défaillance qui ne manquera pas d’arriver. Mais c’est, aussi, en son nom et par sa force, qu’à notre tour, nous trouverons la ressource pour entraîner, derrière nous, le camarade saisi par le doute. La persévérance n’est pas seulement une vertu individuelle. C’est aussi une discipline collective, qui se forge à l’entraînement – notamment par le drill – et qui est la marque des belles troupes.
La force sans la persévérance n’est pas efficace. L’inverse est tout aussi vrai. Tout est une question d’équilibre ! L’équilibre dont je choisis de faire le thème de ma prochaine lettre.
Fraternellement,
Général d’armée Pierre de Villiers
Sources : État-major des armées
Droits : Ministère des Armées