Mon cher camarade,
Alors que je relisais, il y a quelques jours, La Pensée et la Guerre de Jean Guitton, j’ai relevé cette réflexion bien ciselée, à propos de « l’instant décisif », condition première du succès : « Il convient d’avoir patience pour l’attendre, vitesse pour le saisir, adresse pour l’exploiter ».
Se trouve, ainsi, parfaitement résumé ce dont j’ai choisi de vous parler, aujourd’hui : l’agilité. Vous l’avez compris, cette qualité ne se résume pas à la seule habileté, très utile au demeurant. Derrière l’agilité, on trouve, en réalité, trois caractères fondamentaux, que vous connaissez pour avoir entendu, un jour ou l’autre, ces mots du général Bigeard, à propos du soldat parachutiste, « souple, félin et manœuvrier ».
Être agile, c’est, donc, d’abord, être souple ! Il faut pour cela bannir toute forme de rigidité pour ne conserver que la rigueur. La rigidité est le symptôme de la paralysie. Elle conduit à l’immobilisme. C’est un piège. Aussi, pour travailler la souplesse, ne perdez jamais une occasion de sortir de votre zone de confort. Exposez-vous ! Pas, par bravade, au feu de l’ennemi, mais, utilement, dans des milieux et des domaines, nouveaux pour vous, où vous avez à découvrir et à apprendre. C’est comme cela que vous développerez une qualité indispensable à tout soldat, marin ou aviateur : la faculté d’adaptation.
S’adapter pour dominer et non pour être dominé ! Agilité ne signifie pas souplesse d’échine et absence de conviction ou de méthode. Ne soyez pas de ceux qui, à force de contorsions, font des sacs de nœuds et perdent le Nord. Restez ferme sur vos principes et vos valeurs. Soyez ouvert au compromis, mais hermétiquement fermé à toute forme de compromission. Tenez la position, en souplesse, mais debout.
L’agilité est, aussi, la marque du félin. Celui qui, après avoir eu la patience d’attendre, de très longues heures, qu’advienne le « bon moment », sait saisir, en un éclair, l’opportunité qui se présente à lui. Être agile, c’est donc savoir gérer, aussi bien, le temps long que l’immédiateté. C’est marier l’extrême patience avec la plus grande vivacité. C’est maîtriser ses émotions et savoir rassembler, en un instant, toutes ses forces pour bondir.
Facile à dire, me direz-vous… Vous avez raison. C’est plus facile à dire qu’à traduire dans la vraie vie ; là où rien n’est jamais aussi simple. Néanmoins, pour vous aider à rester maître de vous-même, comme de vos sentiments, je vous livre une petite maxime, qui m’a été bien utile, à de très nombreuses reprises : « le premier qui coince a perdu ». Cette petite phrase est d’autant plus utile, qu’elle se vérifie à coup sûr.
Enfin, pour être agile, vous devez savoir manœuvrer. Les aviateurs auraient pu dire « barriquer ». Les marins préfèreront l’expression « courir des bordées », bâbord et tribord amures, pour rejoindre un point que la direction du vent ne permet pas d’atteindre directement. Les terriens savent que la manœuvre est indispensable, en force ou en souplesse, en utilisant le terrain. Quoi qu’il en soit, pour réussir, la manœuvre suppose une belle agilité. Celle qui refuse les « schémas tout faits » et préfère ouvrir des voies nouvelles. C’est, ainsi, que vous pourrez avancer malgré des vents contraires et imposer la surprise à l’adversaire, en étant là où il ne vous attend pas.
N’oubliez pas : souples, félins et manœuvriers, pour gagner. Ce sont, d’ailleurs, ces mêmes qualités qui sont à l’œuvre dans le principe de l’innovation, qui sera le thème de ma prochaine lettre.
Agilement et fraternellement,
Général d’armée Pierre de Villiers
Sources : État-major des armées
Droits : Ministère des Armées