Le ministère des Armées organise le Prix Clémenceau aux Invalides à Paris, un concours d’éloquence qui promeut les qualités que doit posséder un grand orateur. La finale de cette troisième édition a eu lieu ce lundi 31 mai 2021.
Six grandes écoles militaires ont présenté chacune un candidat qui ont confronté leur savoir-faire durant cette finale : l'École polytechnique, l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, l'École navale, l'École de l'air, l'École de santé des armées et l'École des commissaires des armées. Le jury était constitué de six hautes autorités militaires et civiles avec notamment Florence Parly, ministre des Armées, le chef d'état-major des Armées, le général François Lecointre, et le général Manuel Alvarez, directeur des Ressources humaines de l’armée de l’Air.
L’aspirant Maxence qui représentait l’École de l’air remporte fièrement la troisième place en présence de Mme le général Dominique Arbiol, commandant la base aérienne 701 et directrice générale de l’École de l’air. Il nous fait part de son ressenti : « Chaque geste a son importance et chaque mot peut couronner l'école que l'on représente. J’ai trouvé l’exercice plaisant et le Prix Clémenceau restera un excellent souvenir. » En effet, ses compétences oratoires, son humour et son ton persuasif ainsi que le contact qu’il a créé avec son public lui ont permis d’obtenir l’adhésion du jury. Des qualités repérées déjà par la plume du général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, membre du jury de la demi-finale. C’est pourquoi l’aspirant Maxence encourage « des générations d'autres beaux parleurs de monter à la tribune pour arracher la première place ».
Les cadres de l’École de l’air et notamment les enseignants du club d’éloquence tiennent à féliciter la prestation de l’aspirant Maxence : « Clôturer cette année d’entraînement par la participation de l’École de l’air au Prix Clémenceau était un grand plaisir », confie Aurélie Cuq, responsable de la cellule culturelle de l’École de l’air. En effet, tout au long de l’année, les élèves officiers sont coachés et conseillés pour se perfectionner à la prise de parole en public.
Éloquence de l’aspirant Maxence
Citation : « Ôtez l’armée, vous ôtez la guerre. » Victor HUGO
« Je vous dois des excuses. Toute ma vie durant, je me suis fourvoyé. Il y a quelques jours, je croyais encore, aveugle que j’étais, que les guerres n’étaient rien d’autre que des enchaînements terribles d’évènements malheureux. Des drames humains causés par des velléités d’expansion, des idéologies nationalistes, des fanatismes sinistres, de graves crises socio-économiques, des instabilités politiques. La vérité est beaucoup plus simple. La cause de la guerre, c’est moi. C’est vous, mon général. C’est nous. Ôtez l’armée, écrivait Victor Hugo. Vous ôtez la guerre. Je fus assailli d’émotions contraires quand je lus cette phrase pour la première fois. (Vous remarquerez comme je prends un ton plus intime, il paraît que cela crée un lien avec le public alors bon… Faites comme si ça marchait.) “Ôtez l’armée, vous ôtez la guerre.” D’abord, mes sourcils se sont froncés sous l’insulte, parce qu’il est clair, par une orgueilleuse synecdoque, qu’Hugo m’accuse directement d’être l’origine des innombrables déferlements de violence qui surgissent depuis les commencements de l’histoire humaine. Ensuite, mes épaules se sont voûtées de lassitude, parce qu’il fallut que ce musicien des mots dont j’admirais tant les compositions se dressât si nettement comme un adversaire à affronter. Enfin, mon âme s’embrasa de fierté car, si l’on peut calculer la valeur d’un homme par le nombre de ses ennemis, je me fis la réflexion que ma côte à l’Argus allait grimper en flèche, moi qui m’apprête à contredire, devant témoins, l’immortel Hugo. Puisqu’il faut connaître son ennemi mieux que soi-même, qui est Victor Hugo ? À tous les propriétaires des chevelures dans lesquelles je distingue les touches argentées de la sagesse, je vous promets d’en faire une présentation fidèle, car je ne doute point que vous ayez connu Hugo personnellement. Mesdames et Messieurs du jury, je vous dispense d’écouter, vous qui êtes infiniment cultivés, vous savez déjà. Hugo a vécu à l’époque bâtarde où l’on est trop jeune pour avoir connu les merveilles de Bonaparte, et trop vieux pour faire autre chose qu’en déplorer la disparition. Non content d’être un poète de génie, il est aussi dramaturge, romancier, dessinateur, et donne parfois son avis en politique, car il parcourt les siècles bénis où le talent est un prérequis pour devenir député. Bien, maintenant que tout le monde a conscience du monument de la littérature auquel je m’attaque, il est temps de choisir ses mots avec prudence. Victor Hugo est un penseur… Optimiste. Un idéaliste qui voit le meilleur dans la nature de l’homme. Il s’inscrit à la suite de Voltaire, de Rousseau, car chacun d’eux croit au progrès, c’est seulement que Rousseau a la particularité de croire qu’il peut aussi se faire à reculons. (Référence au mythe du bon sauvage. Quelques paires d’yeux s’illuminent, je peux donc reprendre).
Dans le monde optimal d’Hugo, les soldats sont les instruments tyranniques de la domination des rois (ce qui m’amène à questionner la pertinence de l’entretien d’une troupe armée en démocratie, mais passons). Les guerriers sont essentiels car ils tiennent les frontières artificielles mises en place par des moyens obscurs et fourbes pour diviser des hommes qui seraient autrement unis dans une paix harmonieuse. Et naturellement, ces guerriers, qui ne peuvent exister qu’en accomplissant ce pourquoi ils sont conçus, répandent sur le monde les affres des conflits, et sont suivis dans leur sillage par au moins trois des cavaliers de l’apocalypse ! Hugo nous présente des solutions en plus de constater le problème. Ôtez l’armée, vous ôtez la guerre. C’est pitié qu’il ne soit plus parmi nous. Je gage que sa politique résolve tous les problèmes de la France en une grosse matinée. Ôtez le travail, vous ôtez le chômage. Ôtez les lois, vous ôtez les crimes. Ôtez le racisme, vous ôtez l’extrême droite. Ôtez les féministes, vous ôtez les célibataires. Pourquoi rien de tout cela ne fonctionnerait ? D’abord, parce que dans une France sans chômage, crimes ou racisme, le Français trouverait des raisons de manifester, et ensuite parce qu’Hugo s’appuie sur un prérequis faux. Il suppose que les hommes, au fond, sont faits pour la paix. Ils seraient capables d’harmonie. De partager sans gronder, de consentir sans opposer. Comme si le partage était autre chose qu’une souffrance qu’on s’inflige ! Comme si le compromis n’était pas la reddition de l’esprit vaincu ! Monsieur Hugo devait être sans doute singulièrement aveugle pour ne pas remarquer qu’en France, on n’écoute pas pour comprendre mais avec l’intention de répondre. La guerre est inhérente à l’homme. C’est un être de conflits, qui forge sa volonté de fer sur l’enclume de ses batailles intérieures ! Il y a autant de guerres en lui que de parts ataviques, héritages des âges sombres, et c’est cette bête intérieure qui se fait jour dès qu’on gratte le vernis de sophistication polie des temps de paix. Il n’y pas de guerres sans hommes, mais il n’y a pas non plus d’hommes sans guerres ! Vouloir supprimer ce mal primordial, c’est retirer à l’homme l’espoir d’être plus grand, la volonté de devenir fort, la chance enfin d’être homme ! Hugo ignore, ou feint d’ignorer, que la France est un pays de conflits. Son histoire d’un millénaire est riche d’épopées et de contes épiques, elle est complexe parce qu’elle fut incertaine, elle n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle fut périlleuse. Ôtez le péril, Monsieur Hugo (et je passe à l’adresse directe pour la tension dramatique), ôtez le péril, Monsieur Hugo, et vous ôtez la gloire. Ôtez la gloire, vous ôtez la France. » |
Sources : armee de l Air et de l Espace
Droits : armee de l Air et de l Espace