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« Pour travailler bien, travaillons heureux » 3 questions à l’amiral Philippe COINDREAU, Major général des Armées (MGA)

Mise à jour  : 31/08/2018 - Direction : DICOD

Entré à l'École navale en septembre 1979, qualifié pilote de l'Aéronavale en 1984, l’Amiral Philippe COINDREAU est fort d’un beau parcours opérationnel (Opérations Silure 1985, Prométhée 1987, Epervier 1988, Trident 1999, Héraclès 2002, commandement de la force navale européenne dans le cadre de l’opération Atalante en 2010, puis de la Task Force 473 - Unified Protector - en 2011). Après avoir commandé la Force d’Action Navale en 2013, il est désigné sous-chef d’état-major “performance” de l’état-major des armées (EMA) en 2015, avant d’être nommé Major général des armées à compter du 1er septembre 2016.
A l’aube de son départ du service actif, il a choisi nos pages pour faire passer quelques messages.

  1. Peu savent que le récent changement de modèle « partager tout sauf » dans les armées, c’est vous. Vous vous voyez comme « guide » en appui du CEMA, gardien du temps court et long et arbitre sur les sujets sensibles, qu’ils soient interarmées, interministériels ou plus politiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L’EMA est un état-major de niveau stratégique, qui voit haut et loin. Il lui faut « penser » l’avenir à travers les travaux de prospective et d’anticipation. Ses travaux sont destinés à donner au CEMA les éléments nécessaires à l’exercice de ses responsabilités de commandant des opérations, de préparation de l’avenir (l’approche capacitaire), de préparation à l’engagement des forces (cohérence organique), et de conseiller du Gouvernement. En animant et coordonnant ces travaux, je suis le garant et le liant de leur cohérence. Je me bats donc au quotidien pour préserver au CEMA sa hauteur de vue dans son rôle d’aide à la réflexion et la conception, et éviter qu’il ne soit tiré vers le bas par la tyrannie du quotidien et l’immédiateté de l’information et de la communication.

« Rien sauf devient tout sauf »: au-delà de permettre au CEMA d’assumer ses responsabilités précisées plus haut, une de mes préoccupations permanentes est de faire jouer à l’EMA le rôle de « Monsieur Plus », au sens de plus-value, dans les débats interarmées et de jouer plus largement la carte de la subsidiarité. Inutile en effet de demander à l’EMA de se positionner là où les armées individuellement sont mieux à même de faire. Son rôle au contraire est d’être à la fois le facilitateur, le coordonnateur et l’arbitre lorsque nécessaire en gardant à l’esprit l’objectif de la supériorité opérationnelle actuelle et future. Pour être en mesure de jouer ce rôle, il faut largement partager l’information, la mettre en perspective mais aussi savoir rappeler les prérogatives de chacun.

  1. Vous insistez souvent sur le fait que les opérations sont le fil rouge de notre action. Est-ce encore nécessaire de le justifier ?

Le besoin opérationnel est le dénominateur commun de l’ensemble de notre action. Sa satisfaction relève de la responsabilité directe du CEMA et ici, il ne s’agit pas d’une obligation de moyens - même si je considère comme positive l’issue de la revue stratégique et de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) - mais de résultats. La préparation de l’avenir est donc une nécessité et une force du ministère des Armées pour préserver notre supériorité opérationnelle et l’ouvrage doit être remis sur le métier en permanence pour ne pas décrocher. Pour moi, la complémentarité des notions de prospective et d’anticipation stratégiques et celle d’innovation sont cruciales pour être en cible tant opérationnelle, que militaire ou politique.

La prospective stratégique (à horizon 10-20 ans), qui alimente la stratégie militaire générale, nous donne la capacité d’apprécier et d’évaluer les évolutions susceptibles d’avoir un impact sur la mise en œuvre de notre politique de défense et l’évolution de l’outil militaire. L’anticipation stratégique (à horizon 6 à 24 mois) permet au CEMA d’orienter les forces vers un engagement à cet horizon et de donner les ordres qui en découlent. Elle englobe l’évolution des scénarios et des cadres d’engagement des forces françaises, les besoins capacitaires nouveaux ou les réajustements organiques et permet de répondre de façon pertinente à la pression opérationnelle, politique et sociétale. L’innovation, enfin, doit couvrir tous les champs : opérations, capacités militaires, soutiens communs et spécialisés, fonctionnement, administration. Qu’elle soit planifiée ou d’opportunité, l’innovation nous permet de nous adapter en permanence (capacités, usages, organisation) dans un monde en mouvement et face à des adversaires eux-mêmes très agiles.

Une des responsabilités de l’EMA, pour laquelle sa légitimité est indiscutable, c’est justement de mettre l’ensemble des travaux et des réflexions conduits au sein des armées dans cette perspective opérationnelle, c’est ce que j’appelle « le fil rouge des opérations ».

  1. Donnons au soutien le moyen de soutenir au mieux. Vous avez souligné cette préoccupation lors de votre dernière adresse à l’EMA. Quels sont les efforts à produire ?

La LPM prévoit quatre axes majeurs incarnant les priorités de la Revue stratégique. Elle sanctuarise également les financements afférents à :

  • l’amélioration des conditions de vie et de fonctionnement courant des armées ;
  • la nécessaire modernisation des équipements et le comblement des réductions capacitaires ;
  • l’autonomie stratégique et la coopération, notamment avec nos partenaires européens ;
  • l’innovation et la transformation.

L’effort inscrit de 295 Md€ sur 2019-25, portant le budget du ministère des armées à 2% du PIB à l’horizon 2025, est un engagement politique fort qui témoigne de la prise de conscience du besoin de sécurité exprimé par les Français. Mais l’équilibre de cette LPM entre fonctionnement et investissement a été délicat à trouver tant les coupes budgétaires précédentes nous avaient coûté en termes de ressources et de moyens. La situation inquiétante du soutien – en dépit des efforts importants de fusion et d’optimisation pour limiter les effets de ces coupes - et l’impact sur le maintien en condition opérationnelle en sont les conséquences immédiates. Il convient donc de suivre avec attention le déroulement de l’année 2018 et des toutes premières années de cette nouvelle LPM pour ajuster si nécessaire les priorités car nous le savons bien, une armée qui n’est plus capable de restaurer ses capacités (personnels et équipements) est une armée condamnée à perdre à court ou moyen terme.

Lors de ma dernière adresse à l’EMA, j’avais insisté sur le fait que la seule raison d’être de nos services interarmées était de satisfaire les besoins des armées et appelé les armées à l’indulgence face à l’ampleur de la transformation qui était en cours et à l’exigence une fois cette transformation terminée et les ressources ad hoc en place. Cette période est encore devant nous mais à notre portée désormais.


Sources : Ministère des Armées