Vous trouverez ci-joint et ci-dessous le discours de Florence Parly, ministre des Armées, lors d’un point d’étape sur la feuille de route de l’intelligence artificielle de défense, le lundi 10 mai 2021 à Creil.
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le sous-préfet,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les officiers généraux,
Monsieur le directeur de l’Agence de l’innovation de défense, cher Emmanuel Chiva,
Monsieur le président du comité d’éthique de la défense, cher Bernard, Monsieur le vice-président du comité d’éthique, Général
Mesdames et messieurs,
Je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui, sur la base aérienne 110 de Creil. C’est une journée que j’attendais car, s’il est exaltant d’engager de grandes transformations qui dessinent les armées de demain, il est encore plus enthousiasmant de les concrétiser et de venir en constater les premiers résultats.
Il y a deux ans, j’avais fait devant vous un constat : celui d’une course mondiale à l’intelligence artificielle, une course effrénée où le domaine de la défense occupe une place stratégique.
Nous avons bien compris que nous étions face à un nouveau virage technologique, économique, éthique aussi. Et pas question d’aller droit dans le mur.
Le Président de la République a souhaité que la France se mette en ordre de bataille pour saisir toutes les opportunités de l’intelligence artificielle et pour rejoindre les leaders en la matière. J’en ai donc fait une priorité de notre défense nationale, en nous dotant d’une doctrine et d’une feuille de route ambitieuse.
Cette feuille de route poursuit un objectif : garantir le plus haut niveau de protection des Français demain en développant une intelligence artificielle militaire de confiance, fiable, performante et robuste, dans tous les segments de la défense.
Car nous savons que l’intelligence artificielle est stratégique. Elle est indispensable pour garantir la supériorité opérationnelle des armées de demain. Bâtir une intelligence artificielle appliquée à la défense, maitrisée et souveraine, tel est notre défi.
Je vais commencer par vous donner un exemple très concret : vous savez certainement que la France, comme beaucoup d’autres grandes nations militaires, développe des planeurs hypersoniques. Notre démonstrateur V-MAX devrait accomplir prendre son premier vol dans les prochains mois. Ces planeurs hypersoniques sont capables de franchir les défenses aériennes les plus perfectionnées : ce sont des missiles qui pourront atteindre des vitesses inédites de 6 000 à 7 000 kilomètres par heure, autrement dit, parcourir la distance entre Dunkerque et Nice en 12 minutes.
Or, quand on dispose de seulement quelques dizaines de minutes pour prendre une décision éclairée dont dépend la vie de milliers de personnes, on peut dire que même la plus grande intelligence humaine fait face à quelques difficultés. Nous savons que nous aurons un besoin impérieux de l’intelligence artificielle pour envisager tous les scénarios dans un temps record, analyser toutes les réponses possibles, et agir dans le bon tempo.
L’intelligence artificielle est une arme redoutable en ce sens qu’elle a le pouvoir de décupler la force de frappe de toutes les autres. Elle a cette puissance de pouvoir s’immiscer dans tous les systèmes d’armes pour les mobiliser avec cent fois plus d’efficacité. Ce qui comptera prochainement, ce ne sera plus uniquement le nombre de chars d’assaut, de missiles ou de moyens de surveillance dont on dispose, mais la façon dont on coordonne leur emploi, dont on optimise leur déploiement sur une zone définie. C’est toute la force du combat collaboratif que nous développons dans le cadre du programme Scorpion ou encore du SCAF.
Au-delà de la collecte et du stockage des données, les armées, nos services de renseignement, la direction générale de l’armement, ont bien saisi l’impérieuse nécessité de les structurer, les analyser, les corréler, pour en extraire le renseignement dont nous avons besoin, optimiser nos capteurs, gagner en performance grâce à la maintenance prédictive ou encore aider à la planification de nos missions. Bien évidemment, les applications sont nombreuses et il s’agit là que de quelques illustrations de l’apport de l’intelligence artificielle pour éclairer nos décisions et conduire nos opérations.
J’ajouterai qu’au-delà des applications qui irriguent nos systèmes d’armes qui apportent une aide à la planification opérationnelle, nous avons recours à l’intelligence artificielle pour des métiers administratifs dans les finances ou encore les ressources humaines. Le secrétariat général de l’administration d’ailleurs, avec son Labo BI, recrute régulièrement de jeunes datascientists en alternance. Les réalisations du Labo BI ont même été reconnues au-delà des frontières du ministère des armées avec l’hébergement de sa plateforme Waked & Co sur la plateforme Covid 19 du ministère des solidarités et de la santé.
Alors, deux ans après le lancement de notre stratégie d’intelligence artificielle, où en sommes-nous ?
Pour commencer, nous avons créé et fédéré tout un écosystème de l’intelligence artificielle de défense en France. Acteurs académiques, institutionnels, industriels et PME concentrent leurs efforts pour mettre l’intelligence artificielle au service de nos systèmes d’armes. Et je tiens à saluer l’énergie et le travail considérable fournis en ce sens par la cellule de coordination de l’IA de défense, rattachée à l’Agence de l’innovation de défense.
Grâce à vous, nous disposons d’une équipe pour animer cet écosystème et le faire grandir : en détectant des startups souvent inconnues du monde de la défense dont les travaux peuvent avoir des applications militaires, en développant des partenariats avec de grands organismes de recherche académique français, et en initiant des coopérations en matière de recherche et développement avec nos alliés, je pense notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
Grâce à vous et grâce à la direction générale de l’armement, le développement d’une intelligence artificielle de confiance appliquée à la défense est une aventure collective à laquelle les grands maîtres d’œuvre industriels et les acteurs de notre BITD prennent toute leur part.
Je pense notamment au guide de recommandations pour la spécification et la qualification des systèmes intégrant de l’intelligence artificielle, que vous avez élaboré et dont la deuxième version a été récemment partagée avec nos partenaires industriels. Ce guide a vocation à créer un cadre sur tout le cycle de vie d’un système de défense, depuis la phase de spécification jusqu’à l’usage opérationnel, en passant par les étapes de conception et de qualification afin de disposer d’une IA interprétable, fiable et robuste. C’est ainsi que l’on bâtit une IA de confiance.
Au cours de ces deux dernières années, nous avons aussi noué plusieurs partenariats structurants avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ces partenariats sont vitaux. Ils nous permettent d’explorer les possibilités de l’intelligence artificielle dans des domaines aussi variés que la lutte anti-sous-marine ou la cyberprotection de nos objets connectés, en se nourrissant des avancées du monde civil.
Ces partenariats nous permettent aussi d’attirer de jeunes chercheurs spécialistes de l’intelligence artificielle et qui ont bénéficié des formations les plus récentes en la matière.
Car c’est un des défis majeurs que nous avions identifiés il y a deux ans : celui du recrutement. C’est un défi de taille, surtout lorsque l’on connaît l’attraction et la fascination que les géants de la tech peuvent provoquer auprès des jeunes ingénieurs et datascientists. Mais je suis convaincue que nous avons de nombreux atouts pour attirer des jeunes qui ont la volonté de participer à une aventure exigeante, tant d’un point de vue technique qu’éthique, le tout, au service de leur pays.
Depuis 2019, nous avons donc recruté 73 jeunes spécialistes en intelligence artificielle. D’ici 2023, ils seront 200.
Si nous pouvons aujourd’hui porter cette ambition en matière de recrutement, c’est grâce aux moyens exceptionnels offerts par la loi de programmation militaire. La LPM consacre d’ailleurs plus d’un demi-milliard d’euros au développement de l’intelligence artificielle sur la période 2019-2025. En 2021, 102 millions d’euros seront investis et l’effort ne fléchira pas avec plus de 110 millions d’euros programmés en 2022.
La semaine dernière, j’ai été auditionnée par le Parlement au sujet des ajustements que connaîtra la loi de programmation militaire 2019-2025 afin de conserver toute sa pertinence face à l’évolution des menaces. Ce travail est toujours en cours, mais je peux déjà vous dire que nous mettrons l’accent sur le développement des technologies d’intelligence artificielle indispensables au traitement massif de données.
Le traitement massif des données, c’est le nouveau nerf de la guerre. C’est ce qui nous permettra de prendre la bonne décision lorsqu’il s’agit d’exploiter quotidiennement des Teraoctets de données d’imagerie satellitaire. C’est aussi ce qui nous permettra d’améliorer le maintien en condition opérationnelle de nos aéronefs à partir de l’analyse des données de vol et d’un suivi précis de l’usage des équipements embarqués. C’est ce qui nous permettra d’élaborer des itinéraires qui minimiseront le passage de nos blindés en zone ennemie sur les théâtres d’opérations extérieures. C’est encore ce qui permettra d’intégrer des mécanismes intelligents dans les systèmes de combats des bâtiments de la Marine nationale.
En matière de traitement massif des données, nous ne pouvons donc dépendre de personne. C’est un enjeu de souveraineté essentiel. C’est pourquoi nous avons lancé en 2018 le programme national Artémis. Artémis, c’est une solution souveraine de traitement massif des données et d’algorithmes d’intelligence artificielle adaptée aux besoins de la défense. C’est un projet qui, à terme, réunira tous les ingrédients d’une IA appliquée à la défense : puissance de calcul, de la sécurité et de la modularité. Il offrira la boite à outils indispensable à une partie des développements à base d’IA du ministère des Armées.
Ce projet, né d’un partenariat d’innovation en 2017, a parcouru du chemin, beaucoup de chemin. Des démonstrateurs, dont on m’a présenté les premiers résultats aujourd’hui, ont déjà fait leurs preuves sur plusieurs applications à partir des données aussi riches et variées que celles du suivi de la santé des militaires, de la gestion de parcs de matériels militaires, de surveillance maritime ou pouvant intéresser la lutte informatique défensive. Les premiers résultats obtenus sont très encourageants, de nature à pleinement nous convaincre des bénéfices à tirer du déploiement d’Artémis notamment dans le domaine du renseignement, de la cyberdéfense ou de la maintenance. Et d’autres applications seront probablement à envisager très prochainement.
Nous sommes donc aujourd’hui prêts à avancer vers la préparation d’une phase d’industrialisation du projet. Et voudrais saluer l’initiative industrielle de Thales et Atos qui s’allient pour créer la Joint-Venture ATHEA. ATHEA unira le meilleur de leurs compétences en matière de big data et contribuera à l’étape d’industrialisation d’Artémis.
Sopra Steria et Capgemini poursuivront cette belle aventure aux côtés d’ATHEA et ils ne seront pas les seuls. Je ne peux malheureusement pas citer toutes les startups et PME qui œuvrent dans l’ombre en apportant leur pierre à l’édifice ARTEMIS, mais je les en remercie vivement. Je suis persuadée que d’autres les rejoindront dans les mois et années qui viennent ! Car je sais que depuis la genèse d’Artémis, de nombreuses grandes entreprises, PME, startups françaises et acteurs académiques ont développé leurs applications à base d’intelligence artificielle et pourront y trouver leur place au sein de cet écosystème.
D’ailleurs, et cela me tient particulièrement à cœur, les briques technologiques d’Artemis seront suffisamment ouvertes et modulaires, afin de favoriser les collaborations. Et je compte sur l’Agence du numérique de défense récemment créée, en lien avec ATHEA, pour animer et stimuler cet écosystème industriel et souverain.
Notre souveraineté se nourrit de la vitalité de notre BITD. Et il n’y a pas qu’Artemis. Aujourd’hui, j’ai assisté à la présentation des projets de Preligens, Storyzy, Synapse Défense. Il ne s’agit là que d’un échantillon du terreau de startups et PME françaises impliquées dans des projets d’IA de défense. Nous bénéficions du savoir-faire de plus de 100 PME françaises et près de 35% des investissements que nous avons réalisés dans l’IA en 2019 et en 2020 concernent des PME et des laboratoires.
Depuis deux ans, nous avons avancé à pas de géant pour bâtir une intelligence artificielle de défense de confiance. Et nous devrons continuer à accélérer nos efforts, car nous ne sommes pas les seuls à briser des plafonds de verre. A travers le monde, les plus grandes puissances militaires investissent des milliards dans la recherche en intelligence artificielle. Et c’est aujourd’hui la priorité de plusieurs de nos compétiteurs stratégiques. Certains d’entre eux auront peut-être moins de scrupules que la France et n’auront pas les mêmes objectifs que nous, à savoir développer une IA de défense de confiance et maitrisée.
L’intelligence artificielle et ses applications posent beaucoup de questions, c’est pour cette raison que j’avais pris la décision de créer un comité d’éthique de la défense. Ce comité a déjà remis deux avis dont un très récemment sur l’autonomie dans les systèmes d’armes létaux.
Je tiens à réaffirmer devant vous ce que j’avais dit à Saclay il y a deux ans. Car si beaucoup de choses ont changé depuis deux ans, nos engagements et nos valeurs, elles, sont immuables.
La France dit et dira toujours non aux robots-tueurs. La France refuse de confier la décision de vie ou de mort à une machine qui agirait de façon pleinement autonome et échapperait à tout contrôle humain. Les conclusions de l’avis du comité d’éthique confortent nos prises de positions depuis plusieurs années sur ce sujet des systèmes d’armes létaux autonomes. Je rappelle qu’au niveau international, c’est à l’initiative de la France que la question des « SALA » a été introduite aux Nations unies, dans l’enceinte de la Convention sur Certaines Armes Classiques à Genève.
Nous développons l’intelligence artificielle de défense selon trois grands principes : le respect du droit international, le maintien d’un contrôle humain suffisant, et la permanence de la responsabilité du commandement.
L’existence du comité d’éthique de la défense est aujourd’hui un réel atout. Parce que nous disposons d’une instance indépendante chargée d’étudier ainsi les enjeux éthiques des nouvelles technologies, nous pouvons libérer la recherche, explorer toutes les possibilités qu’offre l’intelligence artificielle, sans en dépasser les lignes rouges que nous avons tracées.
Le comité d’éthique est une boussole, nous savons que nous pouvons avancer avec confiance sans risquer de nous perdre. Pour continuer de bâtir une IA militaire de confiance.
Depuis deux ans nous en construisons solidement les fondations. Le cap est aujourd’hui tenu. Je mesure tout ce que nous avons déjà accompli et je sais que vous êtes prêts à aller de l’avant. Nous devons maintenant aller plus vite et plus fort.
Alors je compte sur vous. Je compte sur l’état-major des armées, la direction générale de l’armement, le secrétariat général pour l’administration, nos armées, l’agence de l’innovation de défense, nos services de renseignements mais également sur nos industriels pour continuer de mettre toute votre excellence au service du défi du siècle.
J’ai confiance en vous. J’ai confiance en notre réussite. Car j’ai une certitude : la supériorité opérationnelle du futur n’est pas seulement technologique. La formation de nos militaires et de nos agents, la résilience de nos armées et le moral de nos troupes, cela aucune intelligence artificielle ne pourra jamais les remplacer.
Vive la République ! Vive la France !
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