Vous trouverez ci-joint le discours de Florence Parly, ministre des Armées, à l’occasion du forum innovation défense 2021.
Seul le prononcé fait foi.
Discours de Florence Parly, Forum Innovation Défense, le 26 novembre 2021 (format pdf, 496.18 KB).
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le délégué général pour l’armement,
Madame la secrétaire générale pour l’administration,
Monsieur le directeur de l’agence de l’innovation de défense,
Mesdames et messieurs les officiers généraux,
Messieurs les présidents et directeurs généraux,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Je suis extrêmement heureuse d’être aujourd’hui au Forum innovation défense. C’est un moment fort pour le ministère des Armées car, vous l’avez dit monsieur le directeur, c’est le fruit de l’engagement intense de tous les services et le reflet d’une priorité absolue pour nos armées.
Une armée qui innove, c’est une armée qui ne dépose jamais les armes. Un pays qui innove, c’est un pays qui construit son autonomie stratégique. Innover, pour nous, c’est synonyme de protéger les Français aujourd’hui et demain.
Au ministère des Armées, l’innovation a toujours été au cœur de notre action.
Et quand j’ai créé ce forum innovation défense en 2018, dans les conditions et les circonstances que vous avez rappelées, c’était avec la volonté d’atteindre 3 objectifs :
1/ Tout d’abord, nous voulions créer un lieu de rencontres. Un lieu qui permette les échanges entre les grands acteurs du ministère des Armées, les industriels, les start-ups, les PME, les chercheurs, les scientifiques et les innovateurs. Cela peut sembler très simple, mais c’est absolument essentiel.
La première fois que j’ai échangé avec les équipes de la cellule innovation de la direction générale de l’armement, c’était en 2017. Et quand je leur ai demandé comment ils en étaient venus à développer l’innovation en santé qu’ils étaient en train de me présenter, l’un des porteurs de projet m’avait répondu que c’était le résultat d’une rencontre fortuite dans un ascenseur. Échangeant quelques mots, entre deux étages, il s’était en effet rendu compte que son voisin travaillait sur un projet qui pouvait intéresser le ministère des Armées.
2/ Et c’est donc le deuxième objectif du forum innovation défense : c’est d’être un ascenseur pour vos projets. Nous avons voulu que ce forum soit une rampe de lancement pour toutes les innovations qui servent la défense de notre pays. Et je dis cela en pensant tout particulièrement aux projets civils qui ignorent parfois tout le potentiel, caché mais bien réel, qu’ils contiennent pour des applications militaires.
Ce forum, c’est la vitrine de l’innovation de défense, et c’est la vitrine de l’innovation tout court, bien au-delà de la défense. C’est la vitrine des projets de celles et ceux qui osent tout et qui ne se résignent à rien.
3/ Le troisième objectif du premier forum en 2018, c’était de provoquer le big-bang de l’innovation de défense au ministère des Armées.
L’innovation, c’est dans l’ADN de notre ministère. Depuis 60 ans, la France a la chance de pouvoir s’appuyer sur l’excellence technique et l’expertise de la direction générale de l’armement. C’est grâce aux forces vives de l’innovation du CEA et de la DGA que la France est devenue une puissance nucléaire, une puissance spatiale, qui a maintenu son rang sur la scène internationale. Et je peux vous dire que le monde entier nous envie la DGA. Nombre de mes homologues étrangers m’ont dit, non sans une pointe d’envie, que nous étions chanceux d’avoir une maîtrise d’ouvrage à la pointe des défis technologiques.
Dans les armées aussi, l’innovation a toujours été présente et très active, j’ai pu le constater au cours de mes nouveaux déplacements dans les régiments, sur les bases navales et aériennes. Il y a aussi les forces spéciales qui ont leur propre manière d’innover et qui ont leur propre salon de l’innovation avec le SOFINS.
Enfin, l’innovation n’a pas de frontière au ministère des Armées, la preuve en est avec les diverses réalisations du secrétariat général pour l’administration pour mettre l’intelligence artificielle au service de nos agents.
Mais ce que je veux dire par « big-bang », c’est qu’il nous fallait organiser et structurer notre galaxie de l’innovation de défense. Et il manquait un maillon pour ça. Au ministère des Armées, avant 2018, l’innovation, c’était un labyrinthe. Il y avait une multitude de portes, des mondes qui ne communiquaient pas toujours entre eux et qui développaient leurs projets dans leur coin. Il manquait un lieu pour fédérer, pour attirer, pour accompagner ceux qui auraient pu être découragés par la complexité de notre organisation.
Le premier forum innovation défense a donc été l’acte fondateur de l’Agence de l’innovation de défense qui a soufflé sa troisième bougie cette année. Et pour tout vous dire, cette Agence est née de la conversation que j’ai eue avec cet ingénieur de la DGA qui me racontait son trajet en ascenseur avec son voisin. Parce que lorsqu’on est un innovateur, on ne sait pas forcément qui peut être intéressé par le projet que l’on porte. On ne sait pas toujours à quelle porte aller frapper.
En créant l’AID, nous avons créé le sésame de l’innovation de défense. Car l’AID est devenu le guichet unique du ministère, un guichet unique qui fonctionne dans deux sens : un lieu qui accueille les innovateurs bien sûr, mais qui permet aussi aux militaires et aux agents du ministère des Armées de penser leurs relations avec le monde civil. L’AID joue ainsi un rôle d’éclaireur de l’innovation en décelant les prochaines tendances.
Si l’AID a su s’imposer comme le chef d’orchestre de l’innovation au sein du ministère, au cours de ces trois dernières années, c’est aussi parce qu’elle a pu et su s’appuyer sur tout un réseau de l’innovation de défense qui s’est progressivement structuré à l’échelle nationale ; un réseau qui s’appuie sur des labs d’armées ainsi que sur les centres techniques de la DGA : en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d’Azur ; mais aussi en Île-de-France ou encore dans le Centre-Val de Loire, nous avons réussi à créer des synergies entre les tissus industriel, académique, technique et militaire dans nos territoires. Et à Paris, nous avons aussi créé l’IdLab, un tiers lieu d’idéation, d’expérimentation et d’accélération des projets qui présentent un intérêt pour nos armées. Près d’une centaine de projets sont déjà passés à l’IdLab.
J’ai aussi une conviction, c’est que l’innovation n’est jamais aussi pertinente que lorsqu’elle naît du terrain. Depuis 3 ans, nous avons renforcé l’accompagnement et la valorisation de l’innovation participative. Et j’aurai le plaisir de remettre dans quelques instants le premier trophée des innovateurs de la défense, un prix que j’ai souhaité créer pour récompenser les idées ingénieuses des agents du ministère des Armées. Cette année, le prix récompensera des projets qui abordent la thématique des « champs immatériels ». Il sera étendu aux trois espaces de confrontations historiques, au MCO, au soutien du combattant et au management lors de la prochaine édition.
Alors, aujourd’hui, nous pouvons être fiers de notre galaxie de l’innovation de défense. Si elle a pu prendre tout son essor depuis 3 ans, c’est grâce à l’engagement de tous au ministère des Armées, ainsi que grâce aux investissements que nous y avons consacrés. L’innovation, vous le savez, c’est un des piliers de la loi de programmation militaire voulue par le Président de la République, et cela se traduit par une hausse progressive des investissements sans précédent. Ils vont atteindre, en 2022, 1 milliard d’euros par an. C’est 38 % de plus qu’au cours de la précédente loi de programmation militaire.
Cette hausse des crédits bénéficie d’une part à l’innovation planifiée, et d’autre part à l’innovation ouverte, c’est-à-dire l’innovation au rythme du monde qui bouge.
L’innovation planifiée, c’est notamment ce que la DGA fait avec beaucoup de talent, depuis 60 ans.
La semaine dernière, nous avons assuré, avec succès, la mise en orbite de la constellation de satellites CERES. Et si la France s’est dotée du premier système en Europe capable de détecter et localiser depuis l’espace tout type de signaux électromagnétiques en provenance de radars ou de centres de télécommunication, c’est parce que la DGA a su anticiper et investir pendant des dizaines d’années dans des technologies de pointe qui ont façonné ces objets spatiaux.
Mais l’innovation planifiée, celle du temps long, ne suffit pas. Car il nous faut faire face à l’accélération du tempo des nouvelles technologies pour ne pas être déclassé et pour avoir toujours un temps d’avance.
Et j’insiste sur ce point. Actuellement, nous prenons des décisions concernant les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3e génération, ces sous-marins seront encore sous les mers en 2090. Est-ce qu’on peut imaginer un sous-marin de 2090 avec des technologies vieilles de 70 ans ? Évidemment, non.
Il est absolument essentiel que nous soyons capables d’intégrer l’innovation dans nos systèmes d’armes au fur et à mesure des avancées, un peu comme nous le faisons avec les mises à jour sur nos smartphones. L’image est un peu réductrice, j’en conviens. Mais personne n’achète un nouveau téléphone à chaque fois qu’une nouvelle application ou qu’une nouvelle mise à jour est disponible. Je compte donc sur toutes et tous pour accroître notre agilité dans la conduite des programmes d’armement.
Puisque je vous parlais de CERES, je reviens quelques minutes sur l’innovation ouverte dans le domaine du spatial. L’exploitation des potentialités offertes par le « NewSpace » doit permettre de réduire les coûts et les délais, et d’étendre le réseau d’opérateurs de confiance pour des missions souveraines en s’appuyant également sur des start-ups & des PME françaises. C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous encourageons.
C’est d’ailleurs pour cela que nous avons lancé le projet d’innovation KERAUNOS, avec l’objectif d’expérimenter une liaison de communication optique, à base de laser haut débit, entre un nano-satellite de 20 kg et une petite station sol sur Terre.
Pour cela, nous travaillons avec les start-ups Unseelabs et Cailabs, pionnières dans leurs technologies, et que le ministère des Armées accompagne avec le fonds Definvest, doté de 100 millions d’euros pour accompagner les entreprises françaises dont le savoir-faire est essentiel à la performance des systèmes de défense.
Au ministère des Armées, nous avons développé une multitude d’outils pour financer et accompagner les projets innovants. Dans cette palette d’outils, je pense aux appels à projets lancés par l’AID, au Fonds Innovation Défense, qui est doté de 200 millions d’euros, et qui est récemment entré au capital de deux pépites françaises dans le domaine des technologies quantiques, Pasqal et Quandela que vous pourrez rencontrer sur ce forum. Parce que le besoin de financement des start-ups et PME françaises pouvant proposer des applications pour la défense ne doit pas être un problème.
Et je salue, au passage, l’excellente initiative de France Angels de créer un réseau dédié de Défense Angels, initiative qui est le fruit d’un groupe de réflexion de l’École de Guerre, de propositions du GICAT et d’un rapport parlementaire sur le financement de la base industrielle et technologique de défense. Intervenant au stade d’amorçage des start-ups, le véhicule d’investissement « Défense Angels » sera ainsi complémentaire des outils que le ministère des Armées a lui-même développés.
Pour ce 3e forum innovation défense, j’avais à cœur de vous donner des nouvelles des projets qui ont marqué l’innovation de défense au cours des années précédentes et qui progressent.
Monsieur le directeur, vous l’avez rappelé, le premier FID avait été l’occasion de mettre en avant un projet qui pourrait paraître fou, celui du Flyboard de Franky Zapata. Si l’AID s’est intéressée à ce projet, c’est parce que d’autres nations expérimentent cette nouvelle forme d’« hyper-mobilité » et parce que nos forces spéciales pourraient y trouver des applications dans le futur.
Depuis 2018, nous avons ainsi financé le projet de Flyboard Air avec une subvention du dispositif RAPID. Les travaux réalisés ont permis d’améliorer la discrétion acoustique, l’autonomie du Flyboard et d’optimiser la masse de son moteur. Prochainement, les forces spéciales expérimenteront une plateforme volante individuelle, pilotée, dérivée du Flyboard-R, laissant le pilote libre de ses pieds et de ses mains. J’attends de voir cela.
Innover, c’est aussi sauver des vies. Dans le domaine de la santé, le projet Plyo développée par une médecin-chef et une pharmacienne du service de santé des Armées a révolutionné la médecine de guerre. Il s’agit d’un kit de plasma lyophilisé, c’est-à-dire du sang en poudre qui, au contact de l’eau, devient utilisable en moins de 6 minutes sur un patient, sans qu’il soit nécessaire de connaître son groupe sanguin.
Aujourd’hui, ce plasma lyophilisé est utilisé au sein des hôpitaux d’instruction des armées, il est utilisé au combat, au sein de nos armées ainsi que d’armées partenaires.
Cette création est désormais complétée par le STOD (sang total O déleucocyté), qui trouve son innovation dans la pratique : à savoir disposer de poches de sang universel transfusable jusqu’à l’extrême avant sur les théâtres d’opération et qui se conserve 21 jours.
Innover, c’est aussi imaginer et anticiper les prochains champs de conflictualité. Et c’est ce que nous explorons avec la Red Team qui s’est mise en ordre de bataille, depuis son lancement au cours du FID digital, c’était il y a un an. Cette équipe d’auteurs de science-fiction chargée de se projeter à l’horizon 2030-2060 pour imaginer les menaces du futur, a présenté ses premiers scénarios sur la thématique des « nouveaux pirates ».
Ces scénarios nous font entrevoir les possibilités d’une nouvelle forme de menace combinant des capacités dans la manipulation de l’information, de désinformation, de cybernétique, de psychologie, d’ingénierie sociale, de biotechnologies et que l’on pourrait résumer en une sorte de nouvelle forme de guerre : la guerre cognitive.
La guerre cognitive, c’est la capacité à exploiter les vulnérabilités du cerveau humain en ayant recours à toutes les méthodes que je viens de citer.
Dans le contexte où, avec le chef d’état-major des armées, nous avons récemment présenté la doctrine militaire de lutte informatique d’influence pour pouvoir protéger nos armées des tentatives de désinformation et de manipulation de l’information dans le cadre de nos opérations, c’est un domaine qui ne relève pas du tout de la science-fiction.
C’est pourquoi le ministère des Armées lancera d’ici la fin de cette année un nouveau projet qui s’appelle MYRIADE et qui aura pour mission de nous permettre de mieux comprendre, d’anticiper et d’identifier les facteurs critiques de ce nouveau domaine potentiel de conflictualité, dans une démarche innovante impliquant plusieurs services du ministère et pouvant associer des PME et des start-ups sur la question des menaces cognitives.
À chaque forum innovation défense, évidemment, ses nouveautés : cette année, parmi plus de 100 projets sélectionnés, vous avez l’occasion de vous plonger dans le cockpit du futur, de passer du temps avec la Red Team ou bien de découvrir la dernière innovation du service de santé des armées, je veux parler de la culture de peau autologue permettant de créer, à partir de quelques millimètres de peau, 1 m² de peau totalement naturelle. C’est une innovation qui nous permettra d’améliorer considérablement la prise en charge des grands brûlés, que ce soit sur les théâtres de guerre, ou, peut-être dans quelques années, dans les hôpitaux français. Et elle fait d’ailleurs écho au projet Blocprint de bio-impression de peau qui avait été présenté au premier FID en 2018.
Enfin, pour les adeptes des jeux vidéo, je suis très fière de vous annoncer le lancement du projet d’e-sport LNX. La pratique compétitive de jeux vidéo est désormais reconnue comme une discipline sportive à part entière. Et c’est un secteur qui présente un potentiel très élevé pour susciter des projets de recherche, en particulier dans le domaine cognitif et dans celui de la formation.
Demain, piloter un char de combat comme le Griffon, ce ne sera pas si différent que de s’orienter dans un jeu vidéo à l’aide d’un joystick.
Alors il y a évidemment un potentiel d’attractivité et de rayonnement considérable : nos militaires sont jeunes, Fifa et Battlefield font souvent partie de leur environnement quotidien.
Le ministère des Armées a donc l’ambition d’investir ce champ de l’e-sport. Je tiens à saluer les initiatives qui ont déjà été lancées par les armées dans ce domaine. Nous allons encore plus loin aujourd’hui avec LNX, une initiative tripartite qui associe l’AID, les Jeunes IHEDN et le club d’e-sport montpelliérain MTP E-sport afin d’offrir à nos armées une structure unique pour faire vivre leurs projets d’e-sport. Et pourquoi pas, un jour, doter le ministère des Armées d’une équipe de cyber-athlètes, tout comme d’autres Nations l’ont déjà fait.
Mesdames et messieurs,
Le big-bang de l’innovation de défense a bien eu lieu. Depuis 3 ans, le ministère des Armées a révolutionné sa façon d’accompagner l’innovation, de la faire grandir et de la faire vivre au profit de nos armées. Nous avons aussi mis l’accent sur des domaines essentiels, je pense à l’intelligence artificielle, au quantique ou au soldat augmenté. Autant de nouvelles technologies qui suscitent l’intérêt comme la crainte.
Dans son dictionnaire des idées reçues, Flaubert définit l’innovation comme « toujours dangereuse ». Sans aller jusqu’à l’excès et la diabolisation de l’innovation, nous avons parfaitement conscience que les nouvelles technologies posent des questions inédites, en particulier dans le domaine éthique.
Et c’est pourquoi j’ai souhaité créer un comité d’éthique de la défense en 2019. La création de ce comité répond à une question très simple : quel monde voulons-nous pour demain ? Quelle éthique aujourd’hui pour quelles armées demain ?
Le ministère des Armées est donc en ordre de bataille pour garder l’avantage sur le terrain. Mais soyez certains d’une chose : nous ne laisserons jamais une ambition de supériorité opérationnelle porter atteinte à l’intégrité de nos soldats et aux valeurs de la France.
Je vous souhaite un excellent FID 2021, merci de votre attention.